mardi 8 octobre 2013

Le Journal d’un fou, une vision trop sage de la folie






Le genre : hin hin, regardez comme je suis fou quand je me frotte les mains en ricanant

Le Journal d’un fou, la nouvelle de Gogol, montre le basculement progressif d’un fonctionnaire médiocre, Poprichtchine, dans un monde délirant qu’il se crée et qui correspond, plus ou moins à ses rêves. Comme souvent chez Gogol, c’est le roman d’une vie routinière et médiocre, la chronique désabusée de la chute inévitable d’un homme à qui la société de classe de la Russie tsariste n’a jamais offert ne serait-ce que le rêve d’une évolution.

La salle de sous-sol du théâtre du Gymnase, voûtée, est une petite salle relativement intimiste, qui me fait pas mal penser à d’autres petits théâtres comme celui de Nesles dans le VIème, ou encore au Lucernaire. Petite scène, parfaite pour une pièce à un seul comédien, sur des textes sans décors, avec éventuellement quelques accessoires. Le Journal d’un fou pourrait donc être un choix de texte plutôt indiqué pour la salle. 

Malheureusement, le principal parti-pris de mis en scène est à mon avis un non-sens, qui nuit non seulement à l’œuvre, mais dessert également le comédien Syrus Shahidi, assez remarquable. Ce parti-pris, c’est de faire de Propichtchine un fou dès son apparition sur scène, un fou qui se rappellerait la montée de sa folie. C’est justement passer à côté de tout ce qui rend le texte de Gogol glaçant, le lent basculement vers la folie. 

C’est supposer que la folie a toujours été en lui, et non accepter cette terrifiante vérité, à savoir c’est la routine, la totale absence d’aspérité, la parfaite normalité de Proprichtchine qui l’a mené à refuser graduellement la réalité. En plaçant le personnage de l'autre côté de la barrière, la lecture est forcément au mieux compatissante, au pire ricanante. C'est un parti-pris qui me dérange foncièrement, puisqu'il exclut toute identification, alors que le sujet de l'aliénation par le travail des cadres intermédiaires méritait justement un parallèle et donne à la pièce un résonance contemporaine, gommée ici.

La vision de la folie elle-même est très télévisuelle, ou cinématographique, avec force ricanement, repli physique sur soi, retour vers l’enfance. Ce qui constitue là aussi une erreur. La permanence des dates dans le journal, même si ces dates perdent graduellement leur cohérence, traduit la logique du fou, la cohérence, du moins pour lui, de son parcours. Poprichtchine ne peut pas être cette misérable créature vaguement Golumesque, puisqu’il est certain de valoir mieux que tous les autres, puis d’être le roi d’Espagne.

C’est d’ailleurs dans ces moments que Syrus Shahidi tire son épingle du jeu et redonne du lustre à la pièce, quand son personnage s’enferme dans son délire. Il épouse parfaitement sa morgue, l’éclatement de la joie du médiocre qui triomphe enfin quand il comprend qu'il est en réalité aristocrate, et que "tout le monde au bureau" va être épaté. Il est aussi particulièrement on à la fin de la pièce, quand le fou comprend que, peut-être, il est fou, et retombe dans la logique du petit garçon qui cherche une protection.

C’est ce qui est vraiment dommage ici, l’acteur peut jouer les extrêmes, et parvient notamment à faire oublier son physique. Il est notamment fascinant quand il devient cet enfant pleurnichard qui réclame sa mère et ne veut que se protéger des coups, parvenant à rendre fragile un corps qui est loin de l’être. Or il est à mon avis sous employé, puisque la folie est ici sans nuance, alors qu’il aurait certainement été encore plus intéressant en jouant la médiocrité et la banalité, puis en laissant doucement s’immiscer puis éclater la folie.

Bref, à éventuellement voir pour la performance, une pièce courte, souffrant d’un léger manque d’ambition, mais bien menée par son interprète.

La minute geek : Une fois n’est pas coutume, et faute de matière, geekons littéraire. Si vous êtes nés entre 1980 et 1982 et que vous avez fait une terminale L, vous avez bien entendu déjà lu les Nouvelles de Petersbourg (si, c’était au programme de Lettres, tas de feignasses). 

Mais pour mieux voir toute la folie et l’absurdité de la Russie tsariste, je vous suggère les Ames Mortes, de Gogol également, une plongée absurde dans la vie de hobereaux de province qui refusent de vendre  à un escroc les actes de propriétés de leurs serfs morts. En tout cas le livre I. Après, le manuscrit ayant été en grande partie détruit par l’auteur, c’est un peu décousu, pour dire les choses poliment. Mais si le Satiricon de Pétrone vous a plu, ça ne devrait pas trop vous déranger.

La minute sériephile : pas grand-chose à vous dire. Si je dois associer les mots série et folie, je ne peux cela dit que vous engager à voir, ou revoir, la mini-série l’Hôpital et ses Fantômes de Lars von Trier, oppressante mais fascinante.

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