jeudi 24 octobre 2013

Gravity, l’écrasante force du vide





Le genre : Apollo 13 meets La philo selon Philippe

Quand j’ai vu que l’ensemble des critiques s’extasiait sur l’utilisation prodigieuse de la 3D, sur ce véritable « renouveau de la technique même du cinéma », j’ai commencé à me méfier. Quand j’ai vu que tout le monde restait très discret sur l’intrigue et l’écriture, j’ai senti le roussi. Gravity est au blockbuster hollywoodien ce qu’une Séparation est au film étranger en France, le film qu’on a pas le droit de ne pas aimer. Ce que j’appelle un film Callas, du nom du qualificatif que Télérama colle systématiquement à tout ce qui touche à la Callas, « forcément sublime ».

Forcément sublime, parce qu’Alfonso Cuaron a le vent en poupe depuis son premier film, qui parlait subtilement d’ambigüité et de désir, et depuis sa réécriture visuelle des Harry Potter (il a réalisé le 3, qui a donné le ton des suivants). Forcément sublime parce qu’il fait preuve d’une volonté manifeste de se démarquer d’une production devenue très standardisé, en minimisant les effets : 1h30, là où les productions s’allongent, uniquement 2 acteurs à l’écran, un film de dialogue et de réflexion sur la solitude (enfin ça, c'est ce qu'en a dit le dossier de presse). Forcément sublime donc, puisque Cuaron réussirait enfin à faire de la 3D la révolution promise, et non pas le gadget idiot qu’elle est.

Et, le fait, est qu’Alfonso Cuaron a tenté de faire de la 3D un vecteur d’émotion, a pensé son film de façon sensorielle autour de la 3D. Pour la première fois, il installe un rapport à l’espace (sans jeu de mot), pour lequel la 3D a une véritable valeur ajoutée, puisqu’elle permet physiquement, viscéralement, de mieux comprendre l’isolement, l’abattement et la perte de repères de son héroïne. Il réalise là un bel exercice de mise en scène, et un film d'action au suspense bien mené, je dois bien le reconnaître.

Mais c'est un peu le problème. Foncièrement, Gravity n'est que ça, un film d'action, bien conçu, certes. La salle ricane d'ailleurs franchement à la moitié des dialogues, ce qui n'est pas précisément bon signe sur la qualité des scènes hors action. La qualité de sa mise en scène ne peut pourtant pas masquer la pauvreté de ses dialogues, les tentatives de symbolisme franchement lourdingues et le vide sidéral (avec mauvais jeu de mot) de ses personnages. Le film suit une progression toute hollywoodienne, totalement invraisemblable dans ses péripéties, et franchement décevante par rapport à ce qui avait été vendu. Cuaron a oublié de faire de son film sur le vide une réflexion sur la solitude foncière de l'homme, pour n’être qu’un film catastrophe standard à gros budget. Pourquoi avoir justement recherché dans la forme à explorer plusieurs dimensions, littéralement, pour servir une histoire, qui elle, est tristement linéaire ?

Assez curieusement, Cuaron a d'ailleurs par sa mise en scène refusé de traiter son sujet, à savoir la solitude et la mort. L'angoisse devrait en partie venir de l'isolement absolu, et de l'absence de son, ce que nous dit le premier plan, qu'il n'y a pas de son dans l'espace. Le radeau de Bullock devrait être sa radio, la voix de Clooney... Et la terreur devrait venir du côté imprévisible, de ces débris mortels qui arrivent sans un son, dans un champ de vision limité par le casque, et donc du côté imprévisible et omniprésent du danger. Mais non, Cuaro a préféré noyer le tout dans une musique pompière classique, comme un blockbuster normal. De la même façon, plutôt que de se concentrer sur ses trop rares et très impressionnants plans en vue subjective, où, je le reconnais, on ressent la terreur et l'impuissance de ses personnages, il préfère faire de l'épate en plan large.

On touche là à un élément qui me frappe une fois encore dans la conception du film comme dans la critique du film. Je ne sais pas pourquoi tant de gens veulent absolument que la 3D soit une révolution. Mais ce n’est pas le cas, c’est au mieux un outil qui permet de travailler ses plans, au pire un gadget. Certes Cuaron est allé plus loin dans son utilisation que personne, et a pensé ses plans pour la 3D, ce que Cameron n’avait jamais fait, quoi qu’il en dise, dans Avatar. Or, penser ses plans c’est déjà pas mal, mais ça ne fait pas un « chef d’œuvre », mais si c'est là la nouvelle grammaire du cinéma, il va falloir songer à remplacer Citizen Kane par Transformers dans les cours d'histoire du cinéma.

Il n’a pensé son film que visuellement, et livre un scénario absolument vide, marqué par une totale absence de profondeur psychologique, et même une totale absence de jeu. Qu’on ne vienne pas me bassiner avec l’élégance de la simplicité ici, le suspense est présent, mais le scénario est totalement dénué du moindre enjeu dramatique. Or, à ce que je sache, Gravity n’est pas une performance d’art contemporain sur la sensation du vide ni une attraction pour le Futuroscope, c’est un film. Et un film que tout le monde est prié de trouver époustouflant, en prime!

Gravity sacrifie tout, absolument tout, à la prouesse technique, comme le faisait The Artist. Mais sérieusement, qui voudra revoir ça sur sa télé ? Qui pourra encore trouver un intérêt à ce film catastrophe aux péripéties ridicules une fois retiré l’écran géant ? Personne, parce que Gravity ne dégage aucune chaleur, aucune émotion, aucune humanité, ni même, au fond, aucune excitation une fois sorti de la salle. 

C’est un bel objet industriel, pas une œuvre d’art. C’est intéressant, mais ce n’est pas « génial ». Et, surtout, Gravity continue de creuser le fossé entre film à grand spectacle et film bien écrit, ce qui est plus inquiétant.

La minute geek: si vous en avez l’occasion, et puisqu’à ma connaissance les Etats-Unis sont de nouveau dotés d’une administration ouverte, allez jeter un coup d’œil à l’Air and Space Museum de Washington, et notamment aux vraies capsules des missions spatiales. Plus que tout film, ça vous fera comprendre la dose de courage, voire d’inconscience, qu’il faut pour être astronaute ! Des machins rafistolés au scotch, une barrière incroyablement fine pour ce protéger de ce vide si terrifiant…

La minute sériephile: pas d'inspiration, là.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire