Le genre : Demolition man années 2010
Je pourrai disserter à l’envi sur tout l’amour que je porte
au premier Star Trek de J.J. Abrams,
et sur l’ornière dont il sortait très intelligemment les séries. En
prenant un cast jeune et sexy, en y ajoutant sa maîtrise de l’action, en
multipliant les effets spéciaux, il dépoussiérait l’image d’une série
considérée, en partie à tort, comme ringarde et cheap. Il réussissait aussi le
tour de force de ne pas se mettre à dos les trekkies en écrivant un scénario
qui présentait une continuité temporelle différente, mais cohérente, lui
permettant donc de s’affranchir du « canon ».
Mais comme souvent chez lui, une fois la fascination de
créer un nouveau jouet passée, il s’en fout un peu. Pour le 2, il se met donc
en roue libre totale, se fout absolument de tout, de l’écriture, de la
cohérence, et fait mumuse.
Au plan scénaristique, on n’est pas loin du foutage de
gueule à plusieurs titres. Déjà, pour avoir constamment dit que le méchant n’est
pas Khan, alors que, ben en fait si. Sa première apparition est d’ailleurs
grotesque, la caméra braqué sur une moue bad-ass de Benedict Cumberbatch, où, je
suppose, tout le monde est censé se dire, « waouh, c’est le
méchant ». Excepté qu’on ne sait pas encore qu'il y a un méchant, puisque le personnage n’a
pas encore été évoqué, et que Cumberbatch vient de sortir une réplique anodine. Abrams
invente quand même là un genre nouveau, le film que tu ne comprends que si tu
as regardé la bande-annonce.
Le méchant, donc, c’est ce fameux Khan, qui est l’un des
personnages les plus marquants de la saga de Star Trek, assez peu encline aux
méchants incarnés, préférant des conflits plus larges et complexes dans ses
arcs narratifs. N'oublions pas que les films sont dérivés de séries, et non l'inverse. Après avoir intelligemment rebooté, pourquoi donc faire le
choix de reprendre une vieille recette et de ne pas créer des nouveaux horizons
un peu plus excitants ? Autre problème, Khan est censé être l’équivalent
d’un Hitler, qui a régné sur la moitié de la Terre avant de se faire exiler
dans l’espace. Mais quand ils le croisent et entendent son nom, personne ne
sait qui il est. Le programme d’histoire humaine de Starfleet Academy laisse
manifestement à désirer.
Cela dit, Abrams met de côté l’ensemble de la mythologie
propre à Khan pour se concentrer sur le fait que Khan est…méchant. Benedict
Cumberbatch va donc passer le film à serrer les mâchoires et à coller des
tartes à tout le monde. Le reste du film est à l’avenant, tout le cast court
(beaucoup), colle des tartes, et sort des vannes à trois sous en permanence. Into Darkness est un remarquable film
d’action du début des années 90, peut-être même un hommage voilé à Demolition Man.
C’est aussi l’une des faiblesses du scénario, réduire tous
les personnages secondaires à des accessoires pour répliques rigolotes. C’est
particulièrement vrai pour Anton Yelchin, réduit à tomber, régulièrement, et
faire rire avec son accent russe. Quand on sait l’intensité que l’acteur peut
déployer à jouer les gens au bord de la folie, c’est un peu dommage.
Sentant peut-être que les trekkies allaient plutôt mal le
prendre, Abrams remet de l’hommage geek par-ci par-là, un Tribble dans un coin,
Mc Coy qui sort une itération de la réplique fétiche du Docteur de la série Voyager, Leonard Nimoy qui fait un
coucou. Il va même jusqu’à inverser la scène culte du cri de rage contre Khan,
le plaçant dans la bouche de Spock et non plus Kirk. Mais cette scène, qui fait
vibrer d’émotion le petit cœur du fan, est ici trop vite vidée de son sens et
de son enjeu tragique, par une pirouette du scénario, dont les conséquences
universelles, légales et morales sont d’ailleurs curieusement laissées de côté.
On parle de rien moins que l’immortalité, mais bon, ça ne dérange personne.
Il n’en reste pas moins qu’Abrams est un excellent faiseur,
bourré de trouvailles et capables aussi de s’affranchir du canon élégamment,
notamment en situant une grosse scène d’action à San Francisco, ce que Star
Trek évitait en général soigneusement, ne serait-ce que pour éviter une vision
du futur trop datée. La première apparition de l’Enterprise, sous l’eau, et son
décollage fait aussi partie de ces moments inattendus et brillants qui
parsèment le film.
Ne nous méprenons, je n’ai rien contre cette idée, c’est
rythmé, j’ai passé un bon moment. Mais face aux ambitions affichées dans le
précédent, je trouve le film un peu léger. Si vous n’êtes pas un fan hardcore
de Star Trek, c’est un bon blockbuster. Sinon, vous risquez quand même un peu
de grincer des dents.
La minute geek :
dans l’une des premières scènes, Khan sauve la vie d’un enfant pour manipuler
son père. Les fans de Doctor Who auront reconnu Mickey Smith, éphémère
compagnon du Docteur (au sens de la série, n'allez pas vous faire d'idées sur mon mauvais esprit), l’homme qui « sauvera
l’univers avec un gros camion jaune ».
La minute sériephile :
quand je vous dis que Star Trek tient une part importante dans la culture
collective américaine, et particulièrement Khan, je ne délire pas. La preuve en est
le premier épisode de la saison 8 de Seinfeld, bourré de référence à Star Trek 2 et 3, notamment le fameux cri de Spock :
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