mercredi 12 juin 2013

L'Attentat, le terrorisme version chic pour les festivaliers





Le genre : Elephant en plus bavard

D'emblée, la parenté entre Elephant et l’Attentat m'a paru évidente . Les deux films partagent une volonté esthétique, plutôt contemplative, très forte, et les deux tentent le même numéro de funambule : donner un sens à la violence la plus aveugle, de comprendre, sans l’excuser, comment une personne intégrée bascule dans le meurtre d’innocents.

Le contexte est cela dit différent, et là ou Van Sant montrait la banalité de la vie d’une communauté sans histoire, dans laquelle surgit une horreur incompréhensible, Ziad Doueiri évoque deux communautés, l'une en lutte permanente contre le terrorisme et l'autre en proie à la répression permanente, les deux enfermées dans une logique qui ne permet pas de faire avancer la situation. Il est donc forcé de creuser davantage ses ses personnages principaux, et son contexte, pour éviter un prisme de lecture trop simple. 

L’un d’eux, Amine est un chirurgien arabe parfaitement intégré à Tel Aviv, titulaire de la nationalité israélienne et renommé. Sa vie bascule lorsqu’il apprend que son épouse, chrétienne et intégrée elle aussi est l’auteur d’un attentat suicide dans un restaurant. Il doit alors faire face à la violence des méthodes des enquêteurs, qui voient en lui un complice, accepter la vérité de la culpabilité de celle qu'il aime, puis tenter de comprendre comment il a pu vivre auprès de cette femme sans rien soupçonner. 

Autant le dire tout de suite, contrairement à la moitié de la salle, je n’ai pas lu le roman de Yasmina Khadra. Je l’ai commencé puis perdu. Mes commentaires porteront donc uniquement sur la façon dont le film traite les différentes questions du terrorisme, du fanatisme et de la répression. Sans être une enquête policière, ni un pamphlet géostratégique, le film s’attache essentiellement à suivre et à comprendre l’état d’esprit et les sentiments de son personnage principal, au fur et à mesure qu’il découvre l’implication de son épouse et cherche les responsables de son fanatisme. 

La première partie, avant l’attentat, le montre comme un athée idéaliste, qui croit foncièrement en la capacité des peuples israéliens et arabes à finir par s’entendre. Il est alors confronté aux services de sécurité israélien, qui veulent s’assurer qu’il ne fait pas, lui aussi, partie d’une cellule dormante parfaitement intégré. Son apparente intégration commence alors à montrer quelques failles. Le film joue toutefois une partition relativement subtile et montre, d’ailleurs, que, dès qu’il est blanchi, ses amis israéliens lui gardent sa confiance, et tentent même de l’aider à surmonter sa perte. 

Suit une troisième partie à la recherche de la cellule terroriste, cette fois dans les territoires palestiniens, où Amine découvre tout ce qu’il a abandonné, et notamment la misère de villes régulièrement bombardées. Le film, probablement comme le roman, veut alors certainement éviter un amalgame et montrer que l’attentat est lié à la misère, et non à une quelconque forme de fanatisme religieux, même si la religion est omniprésente. L’imam si virulent contre Israël a la radio s’avère peureux, tandis que surgit une autre face, un terrorisme athée mené par des chrétiens et des musulmans, fondé sur le ras-le-bol des bombardements les revendications territoriales. Pourquoi pas ?

Finalement, le film semble nous dire que, pour un homme comme Amine parfaitement intégré des dizaines de milliers de personnes souffrent, que la face souriante de la coopération n’est qu’une illusion, qui ne traite pas le problème de fond. Son épouse, d’ailleurs, finira par entrer dans la radicalité, alors qu’elle est elle-même intégrée, mais qu'elle ne peut supporter la réalité de ceux que vivent ses compatriotes. La conclusion laisse un Amine déchiré entre son attachement sincère à Israël et l’incompréhension de ses amis face à sa décision de ne pas dénoncer les cerveaux, pour ne pas rentrer dans le jeu d’un état répressif, dont il estime qu'Israël n'est pas digne. 

Là encore, Doueiri joue dans la subtilité, en faisant de son personnage un démocrate plus royaliste que le roi, finalement. C’est d’ailleurs peut-être ce qui me dérange un peu dans ce film. A vouloir expliquer l’inexplicable, sans être de parti-pris, le cinéaste fait de son personnage un genre de président Bartlett de West Wing, parfait en tout, toujours juste et démocrate, alors que tout dans son histoire devrait le pousser dans un camp ou dans l’autre. Un genre de centriste de combat (et pas un extrême centriste, l'extrême centre c'est mon positionnement personnel. Si, si, je vous assure, les deux notions sont différentes).

Sur le plan esthétique, manifestement, Doueiri s’est vraiment préoccupé de ses éclairages et de sa bande-son lancinante chic. Il peint une série de scènes très chics et léchées, mélangeant le silence, beaucoup, dans des scènes contemplatives d'Amine étant triste au soleil couchant sur un fond musical très Costes. Les dialogues tournent autour du pot, soit parce que chacun se réfugie derrière des postulats très théoriques pour justifier ses actions, soit pour éviter le malaise, le tout avec une avalanche de champ-contrechamp sur les visages de celui qui écoute, et se tait, plutôt que de celui qui parle. Tout ça est très durassien, très joli à regarder, mais un brin creux. 

Je ne suis jamais contre les parti-pris esthétiques, mais j’ai globalement été désarçonné par ce traitement mélancolique du sujet, finalement très proche de celui de Lost in Translation. J’en ai même fini par trouver dérangeant ce traitement de la crise existentielle d’Amine, dont on a surtout l’impression qu’il s’est fait larguer, ce qui ôte une bonne partie de la force du message.
 
Un film très bien réalisé, pas inintéressant dans sa démarche, mais pas très intéressant non plus. Il est difficile de faire un choix entre dire qu’il n’y aucune explication à la folie des hommes, comme le faisait Van Sant, ou tenter de la comprendre et donc de la justifier en partie. Mais, ici faute de décision, on erre comme Amine entre deux eaux. Et avec tant de chicitude dans cette errance que ça en devient ridicule. Comme une photo d'un BHL grognon dans un bâtiment en ruine de Syrie...

La minute geek : on apprend tout de même au passage qu’en arabe, Clark Kent s'appelle Nabil Fawzi dans les comics arabisé. Le S de son costume est lui aussi inversé, pour permettre la lecture de droite à gauche : 


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