lundi 17 juin 2013

Man of Steel and Substance





Le genre : Alchimie réussie

Et oui, une fois n’est pas coutume, grâce à mes contacts dans les réseaux de la finance internationale, j’ai pu aller voir Man of Steel en avant-première, et donc je peux publier la critique deux jours avant la sortie. Tiens, prends ça Télérama ! L’avantage aussi, c’est que je peux difficilement vous spoiler le film, puisque tout le monde en connaît déjà l’histoire.

Que font donc Nolan et Snyder de ce mythe archi-connu ? Un film époustouflant visuellement. Ce n’est pas très étonnant, si l’on songe que le tournage des scènes s’est terminé en 2011 et que depuis, le film était dans les mains des ingénieurs en effets spéciaux. Pour la première fois, un cinéaste peut se permettre de filmer toute la puissance délirante de Superman, de mettre en image le combat de deux hommes indestructibles et surpuissants, dans toute sa démesure. Et je peux vous dire que les immeubles morflent sacrément. Le tout sur la musique « discrète » de Hans Zimmer, la dernière heure est un festival épique rare.

Au-delà de l’aspect visuel propre à Snyder, le film détonne aussi par l’apport de Nolan, un questionnement assez absent d’habitude chez Superman sur l’étrangeté de Kal-El. Son père Jonathan Kent lui a toujours dit que le monde n’était pas prêt à l’accepter, pas encore, et fait de Clark Kent un homme en fuite, terrifié par ses possibilités et frustré par cette limite. Superman ne peut exister, parce que la Terre n’acceptera Kal-El que le jour où seuls ses pouvoirs pourront la sauver. Ici, Nolan prend tout le mythe à rebrousse-poil et fait de Clark un vagabond, qui change de nom et de ville régulièrement, puisqu’il ne peut s’empêcher de sauver des gens, et donc de montrer ses pouvoirs.

C’est ce que raconte le film, ce jour où Clark doit accepter son altérité pour devenir l’étendard d’un peuple qui le craint. La vision est plus sombre, Clark se demandant malgré tout s’il peut faire confiance aux hommes. La scène qui posera finalement les bases du Clark Kent à lunettes que l’on connaît rentre dans cette logique de relecture moderne et non d’adaptation, ce qui donne un sens nouveau à ce job de pigiste au Daily Planet. Le mythe classique du garçon timide, le journaliste à lunettes Clark Kent, qui s’avère avoir une double vie vole en éclat: le choix de devenir reporter vise explicitement à placer Superman au cœur du danger. C’est donc bien l’identité Kal-El qui prend le pas, et Clark Kent n’est bien qu’une construction abstraite de ce dernier, et non l’inverse.

Le tandem traite avec intelligence tous les autres éléments du mythe, notamment le costume, et même le nom, de Superman, maniant une ironie propre à notre époque, mais sans refuser toute émotion. A la différence du dernier Batman, l’incroyable force épique des scènes d’action autorise une forme de morgue dans les dialogues, et la petite dose d’ironie est alors bienvenue. Henri Cavill campe d’ailleurs un Superman un peu plus bad-ass que d’habitude, conscient de sa supériorité totale et donc moins moralisateur. Il affiche un demi-sourire permanent et se permet de se foutre ouvertement de certains personnages : à la question de savoir si Superman est un allié de l’Amérique, il répond donc avec ce demi-sourire mi- amusé mi- arrogant et son accent traînant (remarquable pour un Britannique) « I grew up in Kansas, can you do more American than that ? ».

Le film est également plus sombre dans la vision qu'il offre du conflit entre le général Zod et Jor-El, le père de Superman. Les deux souhaitent sauver Krypton, mais aucune des deux solutions n’est vraiment clean, entre Zod qui veut coloniser la Terre en tuant les humains et Jor-El qui voit en son fils un nouveau Dieu qui pourra « guider » les humains. L’une des répliques de Russel Crowe insiste d'ailleurs sur le fait qu’il souhaitait que Kal-El fasse l’expérience de l’humanité avant de « prendre sa décision", ce qui montre à mon sens toute l’ambiguïté du plan de Jor-El.

Zod, en revanche, est programmé génétiquement pour tout faire, y compris le pire, pour sauver Krypton. C’est un personnage finalement tragique, qui ne se fie qu’à une forme d’instinct qui constitue, ici littéralement, son être et n'a pas à proprement parler de libre-arbitre. Un personnage assez proche de Javert par bien des aspects. La confrontation finale entre Zod et Superman pose quant à elle la question de ce que Superman est prêt à sacrifier pour sauver les hommes, lui qui dispose de son libre-arbitre. 

Un choix mutuellement exclusif se pose alors entre protéger et tuer, question à laquelle le Joker confrontait déjà Batman, et l’ensemble de Gotham… Nolan nous offre une nouvelle réflexion de la dimension christique de Superman, en l’inversant : là où Jésus, Dieu dans un corps faible d’homme a accepté le sacrifice du corps, Superman, homme dans un corps divin, doit accepter de sacrifier une part de son âme, pour être le sauveur. Je doute d’ailleurs très fort que ce soit un hasard, mais Clark Kent dit à un moment qu’il a 33 ans…

Les deux visions s’enrichissent, et Snyder participe lui aussi à la réflexion d’ensemble que propose Man of Steel en remettant au cœur du film son obsession pour la narration, via le personnage de Loïs Lane. Elle comprend le secret de Clark très tôt et estime qu’elle doit le publier. Snyder continue à déployer sa thématique fétiche (à laquelle j’avais consacré ce post), en plaçant en contrepoint Perry White, le rédac-chef du Daily Planet, qui croit à l’histoire de Loïs, mais estime que le monde n’est pas prêt à la lire. Là encore, c’est bien l’acte de raconter qui rend la vérité effective. La première réplique de Clark à Loïs Lane est d'ailleurs édifiante sur l’importance de cet enjeu: « Maybe I don’t want you to tell my story ».

Bref, je ne trouve rien à redire. Plus profond et sombre que les précédents, incroyablement visuel, innovant dans les scènes d’action, c’est un reboot, qui, dans un genre différent, pose une mythologie aussi riche en questionnement que The Dark Knight avec son Joker nihiliste. Le tandem se permet même deux ouvertures de pistes intéressantes pour la suite, en montrant un satellite de Wayne Enterprises, et plusieurs camions et immeubles de la LexCorp… A suivre, donc.

La minute sériephile : Richard Schiff, le Toby de West Wing, et Christopher Meloni, le Keller de OZ ont des rôles assez importants et s’en sortent pas mal tous les deux.

Les deux minutes geeks : déjà, si vous voulez voir le geek dans son habitat naturel, l’avant-première, ça vaut son pesant d’or. Farandole de t-shirts Superman, ou, plus geek, de t-shirts « Kneel before Zod», voire de capes. Et, dès qu’un personnage ou un élément de la mythologie apparaît pour la première fois, explosion de joie, d’applaudissements, au point de noyer la bande-son ! Très impressionnant.

Et, si voulez faire du geekage de salon plus discret, et que vous aimez les BO de film, la bonus track de celle-ci est pas mal. C’est le « sketchbook » de Hans Zimmer, le morceau original de travail comprenant les trois thèmes principaux bruts (celui de Krypton, celui de Zod et de celui de Kal-El). C’est sur ce long morceau « bible » que reposent toutes les variations de chaque scène. Pas inintéressant de voir comment Zimmer travaille.

Un petit PS : tout le monde s’est ému du placement de produit de Nokia dans une des bandes annonces. Curieusement, la compagnie qui fait un placement de produit monstrueux dans ce film, ce n’est pourtant pas Nokia, mais IHOP, the International House of Pancakes, une chaîne de resto de petits déjeuners, via un certain nombre de scènes pas toujours très justifiées. Les mystères du marketing…

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