lundi 17 juin 2013

Man of Steel and Substance





Le genre : Alchimie réussie

Et oui, une fois n’est pas coutume, grâce à mes contacts dans les réseaux de la finance internationale, j’ai pu aller voir Man of Steel en avant-première, et donc je peux publier la critique deux jours avant la sortie. Tiens, prends ça Télérama ! L’avantage aussi, c’est que je peux difficilement vous spoiler le film, puisque tout le monde en connaît déjà l’histoire.

Que font donc Nolan et Snyder de ce mythe archi-connu ? Un film époustouflant visuellement. Ce n’est pas très étonnant, si l’on songe que le tournage des scènes s’est terminé en 2011 et que depuis, le film était dans les mains des ingénieurs en effets spéciaux. Pour la première fois, un cinéaste peut se permettre de filmer toute la puissance délirante de Superman, de mettre en image le combat de deux hommes indestructibles et surpuissants, dans toute sa démesure. Et je peux vous dire que les immeubles morflent sacrément. Le tout sur la musique « discrète » de Hans Zimmer, la dernière heure est un festival épique rare.

Au-delà de l’aspect visuel propre à Snyder, le film détonne aussi par l’apport de Nolan, un questionnement assez absent d’habitude chez Superman sur l’étrangeté de Kal-El. Son père Jonathan Kent lui a toujours dit que le monde n’était pas prêt à l’accepter, pas encore, et fait de Clark Kent un homme en fuite, terrifié par ses possibilités et frustré par cette limite. Superman ne peut exister, parce que la Terre n’acceptera Kal-El que le jour où seuls ses pouvoirs pourront la sauver. Ici, Nolan prend tout le mythe à rebrousse-poil et fait de Clark un vagabond, qui change de nom et de ville régulièrement, puisqu’il ne peut s’empêcher de sauver des gens, et donc de montrer ses pouvoirs.

C’est ce que raconte le film, ce jour où Clark doit accepter son altérité pour devenir l’étendard d’un peuple qui le craint. La vision est plus sombre, Clark se demandant malgré tout s’il peut faire confiance aux hommes. La scène qui posera finalement les bases du Clark Kent à lunettes que l’on connaît rentre dans cette logique de relecture moderne et non d’adaptation, ce qui donne un sens nouveau à ce job de pigiste au Daily Planet. Le mythe classique du garçon timide, le journaliste à lunettes Clark Kent, qui s’avère avoir une double vie vole en éclat: le choix de devenir reporter vise explicitement à placer Superman au cœur du danger. C’est donc bien l’identité Kal-El qui prend le pas, et Clark Kent n’est bien qu’une construction abstraite de ce dernier, et non l’inverse.

Le tandem traite avec intelligence tous les autres éléments du mythe, notamment le costume, et même le nom, de Superman, maniant une ironie propre à notre époque, mais sans refuser toute émotion. A la différence du dernier Batman, l’incroyable force épique des scènes d’action autorise une forme de morgue dans les dialogues, et la petite dose d’ironie est alors bienvenue. Henri Cavill campe d’ailleurs un Superman un peu plus bad-ass que d’habitude, conscient de sa supériorité totale et donc moins moralisateur. Il affiche un demi-sourire permanent et se permet de se foutre ouvertement de certains personnages : à la question de savoir si Superman est un allié de l’Amérique, il répond donc avec ce demi-sourire mi- amusé mi- arrogant et son accent traînant (remarquable pour un Britannique) « I grew up in Kansas, can you do more American than that ? ».

Le film est également plus sombre dans la vision qu'il offre du conflit entre le général Zod et Jor-El, le père de Superman. Les deux souhaitent sauver Krypton, mais aucune des deux solutions n’est vraiment clean, entre Zod qui veut coloniser la Terre en tuant les humains et Jor-El qui voit en son fils un nouveau Dieu qui pourra « guider » les humains. L’une des répliques de Russel Crowe insiste d'ailleurs sur le fait qu’il souhaitait que Kal-El fasse l’expérience de l’humanité avant de « prendre sa décision", ce qui montre à mon sens toute l’ambiguïté du plan de Jor-El.

Zod, en revanche, est programmé génétiquement pour tout faire, y compris le pire, pour sauver Krypton. C’est un personnage finalement tragique, qui ne se fie qu’à une forme d’instinct qui constitue, ici littéralement, son être et n'a pas à proprement parler de libre-arbitre. Un personnage assez proche de Javert par bien des aspects. La confrontation finale entre Zod et Superman pose quant à elle la question de ce que Superman est prêt à sacrifier pour sauver les hommes, lui qui dispose de son libre-arbitre. 

Un choix mutuellement exclusif se pose alors entre protéger et tuer, question à laquelle le Joker confrontait déjà Batman, et l’ensemble de Gotham… Nolan nous offre une nouvelle réflexion de la dimension christique de Superman, en l’inversant : là où Jésus, Dieu dans un corps faible d’homme a accepté le sacrifice du corps, Superman, homme dans un corps divin, doit accepter de sacrifier une part de son âme, pour être le sauveur. Je doute d’ailleurs très fort que ce soit un hasard, mais Clark Kent dit à un moment qu’il a 33 ans…

Les deux visions s’enrichissent, et Snyder participe lui aussi à la réflexion d’ensemble que propose Man of Steel en remettant au cœur du film son obsession pour la narration, via le personnage de Loïs Lane. Elle comprend le secret de Clark très tôt et estime qu’elle doit le publier. Snyder continue à déployer sa thématique fétiche (à laquelle j’avais consacré ce post), en plaçant en contrepoint Perry White, le rédac-chef du Daily Planet, qui croit à l’histoire de Loïs, mais estime que le monde n’est pas prêt à la lire. Là encore, c’est bien l’acte de raconter qui rend la vérité effective. La première réplique de Clark à Loïs Lane est d'ailleurs édifiante sur l’importance de cet enjeu: « Maybe I don’t want you to tell my story ».

Bref, je ne trouve rien à redire. Plus profond et sombre que les précédents, incroyablement visuel, innovant dans les scènes d’action, c’est un reboot, qui, dans un genre différent, pose une mythologie aussi riche en questionnement que The Dark Knight avec son Joker nihiliste. Le tandem se permet même deux ouvertures de pistes intéressantes pour la suite, en montrant un satellite de Wayne Enterprises, et plusieurs camions et immeubles de la LexCorp… A suivre, donc.

La minute sériephile : Richard Schiff, le Toby de West Wing, et Christopher Meloni, le Keller de OZ ont des rôles assez importants et s’en sortent pas mal tous les deux.

Les deux minutes geeks : déjà, si vous voulez voir le geek dans son habitat naturel, l’avant-première, ça vaut son pesant d’or. Farandole de t-shirts Superman, ou, plus geek, de t-shirts « Kneel before Zod», voire de capes. Et, dès qu’un personnage ou un élément de la mythologie apparaît pour la première fois, explosion de joie, d’applaudissements, au point de noyer la bande-son ! Très impressionnant.

Et, si voulez faire du geekage de salon plus discret, et que vous aimez les BO de film, la bonus track de celle-ci est pas mal. C’est le « sketchbook » de Hans Zimmer, le morceau original de travail comprenant les trois thèmes principaux bruts (celui de Krypton, celui de Zod et de celui de Kal-El). C’est sur ce long morceau « bible » que reposent toutes les variations de chaque scène. Pas inintéressant de voir comment Zimmer travaille.

Un petit PS : tout le monde s’est ému du placement de produit de Nokia dans une des bandes annonces. Curieusement, la compagnie qui fait un placement de produit monstrueux dans ce film, ce n’est pourtant pas Nokia, mais IHOP, the International House of Pancakes, une chaîne de resto de petits déjeuners, via un certain nombre de scènes pas toujours très justifiées. Les mystères du marketing…

Star Trek 2, Into Nonchalance




Le genre : Demolition man années 2010

Je pourrai disserter à l’envi sur tout l’amour que je porte au premier Star Trek de J.J. Abrams, et sur l’ornière dont il sortait très intelligemment les séries. En prenant un cast jeune et sexy, en y ajoutant sa maîtrise de l’action, en multipliant les effets spéciaux, il dépoussiérait l’image d’une série considérée, en partie à tort, comme ringarde et cheap. Il réussissait aussi le tour de force de ne pas se mettre à dos les trekkies en écrivant un scénario qui présentait une continuité temporelle différente, mais cohérente, lui permettant donc de s’affranchir du « canon ».

Mais comme souvent chez lui, une fois la fascination de créer un nouveau jouet passée, il s’en fout un peu. Pour le 2, il se met donc en roue libre totale, se fout absolument de tout, de l’écriture, de la cohérence, et fait mumuse.

Au plan scénaristique, on n’est pas loin du foutage de gueule à plusieurs titres. Déjà, pour avoir constamment dit que le méchant n’est pas Khan, alors que, ben en fait si. Sa première apparition est d’ailleurs grotesque, la caméra braqué sur une moue bad-ass de Benedict Cumberbatch, où, je suppose, tout le monde est censé se dire, « waouh, c’est le méchant ». Excepté qu’on ne sait pas encore qu'il y a un méchant, puisque le personnage n’a pas encore été évoqué, et que Cumberbatch vient de sortir une réplique anodine. Abrams invente quand même là un genre nouveau, le film que tu ne comprends que si tu as regardé la bande-annonce.

Le méchant, donc, c’est ce fameux Khan, qui est l’un des personnages les plus marquants de la saga de Star Trek, assez peu encline aux méchants incarnés, préférant des conflits plus larges et complexes dans ses arcs narratifs. N'oublions pas que les films sont dérivés de séries, et non l'inverse. Après avoir intelligemment rebooté, pourquoi donc faire le choix de reprendre une vieille recette et de ne pas créer des nouveaux horizons un peu plus excitants ? Autre problème, Khan est censé être l’équivalent d’un Hitler, qui a régné sur la moitié de la Terre avant de se faire exiler dans l’espace. Mais quand ils le croisent et entendent son nom, personne ne sait qui il est. Le programme d’histoire humaine de Starfleet Academy laisse manifestement à désirer.

Cela dit, Abrams met de côté l’ensemble de la mythologie propre à Khan pour se concentrer sur le fait que Khan est…méchant. Benedict Cumberbatch va donc passer le film à serrer les mâchoires et à coller des tartes à tout le monde. Le reste du film est à l’avenant, tout le cast court (beaucoup), colle des tartes, et sort des vannes à trois sous en permanence. Into Darkness est un remarquable film d’action du début des années 90, peut-être même un hommage voilé à Demolition Man.
C’est aussi l’une des faiblesses du scénario, réduire tous les personnages secondaires à des accessoires pour répliques rigolotes. C’est particulièrement vrai pour Anton Yelchin, réduit à tomber, régulièrement, et faire rire avec son accent russe. Quand on sait l’intensité que l’acteur peut déployer à jouer les gens au bord de la folie, c’est un peu dommage. 

Sentant peut-être que les trekkies allaient plutôt mal le prendre, Abrams remet de l’hommage geek par-ci par-là, un Tribble dans un coin, Mc Coy qui sort une itération de la réplique fétiche du Docteur de la série Voyager, Leonard Nimoy qui fait un coucou. Il va même jusqu’à inverser la scène culte du cri de rage contre Khan, le plaçant dans la bouche de Spock et non plus Kirk. Mais cette scène, qui fait vibrer d’émotion le petit cœur du fan, est ici trop vite vidée de son sens et de son enjeu tragique, par une pirouette du scénario, dont les conséquences universelles, légales et morales sont d’ailleurs curieusement laissées de côté. On parle de rien moins que l’immortalité, mais bon, ça ne dérange personne.

Il n’en reste pas moins qu’Abrams est un excellent faiseur, bourré de trouvailles et capables aussi de s’affranchir du canon élégamment, notamment en situant une grosse scène d’action à San Francisco, ce que Star Trek évitait en général soigneusement, ne serait-ce que pour éviter une vision du futur trop datée. La première apparition de l’Enterprise, sous l’eau, et son décollage fait aussi partie de ces moments inattendus et brillants qui parsèment le film. 

Ne nous méprenons, je n’ai rien contre cette idée, c’est rythmé, j’ai passé un bon moment. Mais face aux ambitions affichées dans le précédent, je trouve le film un peu léger. Si vous n’êtes pas un fan hardcore de Star Trek, c’est un bon blockbuster. Sinon, vous risquez quand même un peu de grincer des dents.

La minute geek : dans l’une des premières scènes, Khan sauve la vie d’un enfant pour manipuler son père. Les fans de Doctor Who auront reconnu Mickey Smith, éphémère compagnon du Docteur (au sens de la série, n'allez pas vous faire d'idées sur mon mauvais esprit), l’homme qui « sauvera l’univers avec un gros camion jaune ».

La minute sériephile : quand je vous dis que Star Trek tient une part importante dans la culture collective américaine, et particulièrement Khan, je ne délire pas. La preuve en est le premier épisode de la saison 8 de Seinfeld, bourré de référence à Star  Trek 2 et 3, notamment le fameux cri de Spock : 


mercredi 12 juin 2013

L'Attentat, le terrorisme version chic pour les festivaliers





Le genre : Elephant en plus bavard

D'emblée, la parenté entre Elephant et l’Attentat m'a paru évidente . Les deux films partagent une volonté esthétique, plutôt contemplative, très forte, et les deux tentent le même numéro de funambule : donner un sens à la violence la plus aveugle, de comprendre, sans l’excuser, comment une personne intégrée bascule dans le meurtre d’innocents.

Le contexte est cela dit différent, et là ou Van Sant montrait la banalité de la vie d’une communauté sans histoire, dans laquelle surgit une horreur incompréhensible, Ziad Doueiri évoque deux communautés, l'une en lutte permanente contre le terrorisme et l'autre en proie à la répression permanente, les deux enfermées dans une logique qui ne permet pas de faire avancer la situation. Il est donc forcé de creuser davantage ses ses personnages principaux, et son contexte, pour éviter un prisme de lecture trop simple. 

L’un d’eux, Amine est un chirurgien arabe parfaitement intégré à Tel Aviv, titulaire de la nationalité israélienne et renommé. Sa vie bascule lorsqu’il apprend que son épouse, chrétienne et intégrée elle aussi est l’auteur d’un attentat suicide dans un restaurant. Il doit alors faire face à la violence des méthodes des enquêteurs, qui voient en lui un complice, accepter la vérité de la culpabilité de celle qu'il aime, puis tenter de comprendre comment il a pu vivre auprès de cette femme sans rien soupçonner. 

Autant le dire tout de suite, contrairement à la moitié de la salle, je n’ai pas lu le roman de Yasmina Khadra. Je l’ai commencé puis perdu. Mes commentaires porteront donc uniquement sur la façon dont le film traite les différentes questions du terrorisme, du fanatisme et de la répression. Sans être une enquête policière, ni un pamphlet géostratégique, le film s’attache essentiellement à suivre et à comprendre l’état d’esprit et les sentiments de son personnage principal, au fur et à mesure qu’il découvre l’implication de son épouse et cherche les responsables de son fanatisme. 

La première partie, avant l’attentat, le montre comme un athée idéaliste, qui croit foncièrement en la capacité des peuples israéliens et arabes à finir par s’entendre. Il est alors confronté aux services de sécurité israélien, qui veulent s’assurer qu’il ne fait pas, lui aussi, partie d’une cellule dormante parfaitement intégré. Son apparente intégration commence alors à montrer quelques failles. Le film joue toutefois une partition relativement subtile et montre, d’ailleurs, que, dès qu’il est blanchi, ses amis israéliens lui gardent sa confiance, et tentent même de l’aider à surmonter sa perte. 

Suit une troisième partie à la recherche de la cellule terroriste, cette fois dans les territoires palestiniens, où Amine découvre tout ce qu’il a abandonné, et notamment la misère de villes régulièrement bombardées. Le film, probablement comme le roman, veut alors certainement éviter un amalgame et montrer que l’attentat est lié à la misère, et non à une quelconque forme de fanatisme religieux, même si la religion est omniprésente. L’imam si virulent contre Israël a la radio s’avère peureux, tandis que surgit une autre face, un terrorisme athée mené par des chrétiens et des musulmans, fondé sur le ras-le-bol des bombardements les revendications territoriales. Pourquoi pas ?

Finalement, le film semble nous dire que, pour un homme comme Amine parfaitement intégré des dizaines de milliers de personnes souffrent, que la face souriante de la coopération n’est qu’une illusion, qui ne traite pas le problème de fond. Son épouse, d’ailleurs, finira par entrer dans la radicalité, alors qu’elle est elle-même intégrée, mais qu'elle ne peut supporter la réalité de ceux que vivent ses compatriotes. La conclusion laisse un Amine déchiré entre son attachement sincère à Israël et l’incompréhension de ses amis face à sa décision de ne pas dénoncer les cerveaux, pour ne pas rentrer dans le jeu d’un état répressif, dont il estime qu'Israël n'est pas digne. 

Là encore, Doueiri joue dans la subtilité, en faisant de son personnage un démocrate plus royaliste que le roi, finalement. C’est d’ailleurs peut-être ce qui me dérange un peu dans ce film. A vouloir expliquer l’inexplicable, sans être de parti-pris, le cinéaste fait de son personnage un genre de président Bartlett de West Wing, parfait en tout, toujours juste et démocrate, alors que tout dans son histoire devrait le pousser dans un camp ou dans l’autre. Un genre de centriste de combat (et pas un extrême centriste, l'extrême centre c'est mon positionnement personnel. Si, si, je vous assure, les deux notions sont différentes).

Sur le plan esthétique, manifestement, Doueiri s’est vraiment préoccupé de ses éclairages et de sa bande-son lancinante chic. Il peint une série de scènes très chics et léchées, mélangeant le silence, beaucoup, dans des scènes contemplatives d'Amine étant triste au soleil couchant sur un fond musical très Costes. Les dialogues tournent autour du pot, soit parce que chacun se réfugie derrière des postulats très théoriques pour justifier ses actions, soit pour éviter le malaise, le tout avec une avalanche de champ-contrechamp sur les visages de celui qui écoute, et se tait, plutôt que de celui qui parle. Tout ça est très durassien, très joli à regarder, mais un brin creux. 

Je ne suis jamais contre les parti-pris esthétiques, mais j’ai globalement été désarçonné par ce traitement mélancolique du sujet, finalement très proche de celui de Lost in Translation. J’en ai même fini par trouver dérangeant ce traitement de la crise existentielle d’Amine, dont on a surtout l’impression qu’il s’est fait larguer, ce qui ôte une bonne partie de la force du message.
 
Un film très bien réalisé, pas inintéressant dans sa démarche, mais pas très intéressant non plus. Il est difficile de faire un choix entre dire qu’il n’y aucune explication à la folie des hommes, comme le faisait Van Sant, ou tenter de la comprendre et donc de la justifier en partie. Mais, ici faute de décision, on erre comme Amine entre deux eaux. Et avec tant de chicitude dans cette errance que ça en devient ridicule. Comme une photo d'un BHL grognon dans un bâtiment en ruine de Syrie...

La minute geek : on apprend tout de même au passage qu’en arabe, Clark Kent s'appelle Nabil Fawzi dans les comics arabisé. Le S de son costume est lui aussi inversé, pour permettre la lecture de droite à gauche : 


lundi 10 juin 2013

Une revue anti-starkienne de la saison 3 de Game of Thrones




Commençons par un double avertissement. Il vaut mieux avoir vu la saison avant de me lire, sauf si vous aimez les spoilers. Deuxième point, je ne parle que de la série, pas des romans. La multiplicité des narrateurs rend peut-être le message plus subtil et donc mes critiques injustifiés, mais je trouve le style de GR Martin abominablement lourd. J’aimerais bien vous dire que j’ai trouvé ça génial, mais ça me tombe des mains. Ce que je respecte toutefois, c’est l’incroyable richesse et la cohérence de l’univers qu’il a créé.

Alors que dire de cette saison ? Même si la série reste d’excellente facture, ça ne vaut pas la 1ère saison. Evidemment, l’émerveillement est un peu passé, et ne peut venir que des nouveaux lieux, d’où l’introduction très progressive des éléments, mais je reste un peu sur ma faim. C’est évidemment une question de goût, mais je trouve que la série trouve son ton dans les intrigues de palais, pas trop dans le reste. Or le reste prend beaucoup de place. 

Autant dire, donc, que la montée en puissance des Tyrell sur la scène politique m’a comblé. Le sens aigu des RP de Margarye, la princesse Diana de Westeros est une idée de génie, et Olenna est un personnage brillant et sarcastique, nécessaire pour remplacer un Tyrion en petite forme. Je trouve d’ailleurs que la meilleure scène de toute la saison, et surtout la meilleure joute, ne vient plus de Tyrion : c’est la confrontation entre Olenna Tyrell et Tywin Lannister. 

Déjà parce que Charles Dance et Diana Rigg sont au mieux de leur forme. La violence et la politesse atteignent des sommets plutôt rares dans la série, et je trouve le dernier plan très intéressant sur le plan symbolique. Olenna brise la plume qui permettrait à Tywinn de faire nommer son petit-fils garde du roi, preuve qu’elle accepte le mariage avec Cersei. Par ce geste, elle confirme le pouvoir du contrat oral sur le contrat écrit, et donc le règne de la politique de cour, sans traces donc sans preuves. Une chose que ce bon vieux Ned avait du mal à comprendre.

Venons-en donc au sujet qui fâche, les Stark. Ned, Ned, Ned… Un garçon sympathique, quoique bourru et têtu comme une mule. Certes son exécution n’était pas morale, mais la morale n’est pas exactement ce qui caractérise Joffrey Baratheon – un personnage qui lui aussi faiblit, du fait de son manque de nuance, psychopathe violent qui préfère la torture au sexe et point barre. 

Elle n’est pas morale précisément parce que Ned Stark était le seul joueur qui ne triche pas de la partie. Mais la série pose en permanence la question de la limite de la morale personnelle face à la protection d’un ensemble qu’est le royaume. Elle y répond d’ailleurs de façon élégante dans cette saison, quand Jaime Lannister donne enfin sa version de la mort du roi Targaryen. Ce meurtre en soi n’était pas moral, mais il était nécessaire. Certes les circonstances sont différentes, mais Ned aurait dû comprendre que la sauvegarde de l’intérêt général impliquait quelques entorses à ses principes personnels.

Mais que dire, dans ce cas, de Robb, de Catelyn, de Jon Snow ou même d’Arya ? Je ne parlerai pas ici de Bran et de ses tours de passe-passe, qui n’ont pour le moment qu’un intérêt très limité. Si j’en crois les lecteurs du roman, vu l’avancée des choses, le personnage pourrait, je dis bien pourrait, commencer à susciter autre chose qu’ennui poli et embarrassé dans la saison 6 en 2016 ou la suivante.

Les quatre sont caractérisés par la même faille de caractère : ils prétendent raisonner selon des valeurs claires, puis appliquent ce prisme unique de leurs valeurs dans leur jugement de tous les autres, mais s’assoient gentiment sur les dits principes dès que leur petite personne est en cause. Ce qui est, par parenthèse, très exactement le contraire des Lannister, qui privilégient les alliances, et donc la stabilité du pouvoir, à leurs amours. La vision du pouvoir de Tywin est d’ailleurs une vision au niveau de Westeros, là où Robb pense toujours local.

Commençons par Robb, donc. La totalité de son projet politique vise à faire sécession pour venger la mort de son père. Quand on sait que Ned Stark était un hystérique des procédures et des codes, voir que le type qui est en principe le « Protecteur du Nord », titre des Stark, fait sécession, ça lui ferait bien mal.
C’est ensuite un stratège de merde, qui n’écoute jamais personne et ne s’applique pas ses propres principes. Comment peut-il espérer que les autres lui fassent confiance ? Entre le refus de négocier avec Greyjoy, contre l’avis de tous ses conseillers, la trahison de Frey, contre l’avis de tous ses conseillers, et l’exécution stupide de Castark, ça alors, contre l’avis de tous, il aura quand même réussi à se faire ravager ses terres et brûler son château, et à mettre le peuple dans un tel état de famine que la Confrérie Sans Bannières est née. Chapeau ! Après, quand il explique à Edmure Tully que son mariage avec une Frey est nécessaire pour l’alliance, alors que lui-même a largement mis l’alliance la plus capitale de son plan de côté pour épouser une roturière, je trouve que les Tully sont quand même de bonne composition d’accepter! 

Catelyn n’arrange pas les choses, puisque sous couvert de soutenir son fils, elle ne pousse qu’un agenda flou, qui oscille entre vengeance et protection de ses filles, selon l’humeur du jour, et bien entendu sans plan d’action global. Sa petite plaisanterie de libérer le seul otage valable, Jaime, aura d’ailleurs eu un résultat inattendu, sceller l’alliance secrète entre les Lannister et les Bolton. Là encore, bravo pour la coordination des actions et la vision d’ensemble.

Nous avons ensuite Arya, qui se sert gentiment de ses deux potes et continue à traiter Sandor Clegane comme de la merde. Certes, il est un peu abrupt dans ses propos, encore que, je le trouve plutôt paternel, mais il n’arrête pas de lui sauver les miches. Ce qu’il avait déjà d’ailleurs fait pour Sansa. De façon intéressante, en se moquant éperdument de la noblesse et en lui préférant la loyauté, il agit plus en conformité avec ce que les Stark prétendent défendre.

Jon Snow enfin, semi-Stark, part en mission d’infiltration, plutôt réussie. Mais en chemin, tiens, tiens, il se trouve une petite sauvageonne et fait ses petites affaires dans les grottes. Ben tiens, l’excuse du « je l’ai baisée pour casser mon vœu pour mieux me faire accepter », elle est un peu facile. Il n’hésite d’ailleurs pas à l’abandonner, malgré tous ses serments. Toujours une vision de court terme… 

A l’inverse, la stratégie d’alliance des Lannister vise à verrouiller et à réunir les 7 royaumes, ce qui me semble un peu plus conforme aux rôles des grandes maisons. Il est d’ailleurs ironique que Sansa devienne une Lannister, à son corps défendant, certes. C’est la seule à avoir toujours trouvé que sa famille était une bande de bouseux, et c’est la seule qui tiendra le rôle qu’on attend d’un héritier de maison nobiliaire, à savoir en épouser un autre pour renforcer les liens de pouvoir, là où ses frères préfèrent courir la gueuse ou partir en vadrouille.

Bref, je continue à apprécier l’aspect politique de la série, et notamment toute l’intrigue entre Baelysh, les Tyrell et les Lannister sur le mariage de Loras Tyrell (un personnage que je trouve éminemment sympathique,  je me demande bien pourquoi) et Sansa Stark. Daenerys monte en puissance, et je commence à trouver l’ambigüité de sa position intéressante, entre conquête et libération. L’ordre d’attaque d’Astrapos est d’ailleurs l’une des meilleures scènes de la saison. On continue à tisser mine de rien des nouveaux liens, à creuser les histoires, notamment celle de Varys, qui reste aussi un de mes favoris. C’est ce qui rend la série très attirante malgré certains défauts, cette toile de fond extrêmement riche.

Reste cela dit à savoir comment la série va survivre au Red Wedding, puisqu’elle vient de perdre son principal axe d’opposition, la rébellion des Stark. Je me rassure en me disant que des axes d’opposition, il lui en reste d’autres… La saison n’est d’ailleurs pas finie, il reste en principe un second mariage intéressant avant les vacances, sauf à ce que HBO en fasse l’ouverture de la saison 4. C’est une option assez cohérente thématiquement, puisque le Red Wedding de la semaine dernière a mis fin à la rébellion des Stark, et que le mariage royal ouvre un conflit différent. Mais avec un épisode 9 aussi fort, pour susciter l’intérêt, il faut un gros cliffhanger dans le season finale.

Je le répète, je n’ai pas lu les bouquins, mais compte tenu des exigences de l’écriture propre à la série télé, il va falloir envisager de s’en éloigner progressivement. Déjà, le problème du rythme se pose. La série avance trop vite pour le débit d’écriture de l’auteur. A raison d’un volume par saison, la série aura rattrapé les romans en juin 2015. Quand on sait qu’il faut en moyenne 5 ans à Martin pour pondre un volume, on peut se dire que pour la saison 6, ça va être un calendrier tendu, mais envisageable. Mais pour la 7, c’est râpé. Or Martin insiste sur le fait que sa saga fait 7 volumes, et qu’il ne boucle pas tout dans le 6 prévu pour 2014.

Cela dit, les adaptateurs peuvent s’en tirer en partant du principe qu’une série à casting choral aussi riche ne peut avoir de fin, comme ont tenté de le démontrer dans des genres différents Oz, les Sopranos puis Lost. Toute fascinante qu’elle soit, la lutte en cours ne serait  qu’un épisode de l’histoire de Westeros parmi tant d’autres. Les familles, ça va, ça vient. La fameuse chanson  The Rains of Castamere, en filigrane depuis deux saisons, est là pour nous le prouver…