Le genre :
Cloud Atlas en version réussie
Le Porteur d’Histoire est une de ses pièces qui sent la
création de petit théâtre, la réflexion astucieuse sur le manque de moyens
scénique et arrive à un résultat éblouissant en se concentrant sur l’essentiel,
le texte et la création de l’émotion.
Le pari est pourtant audacieux. 5 acteurs pour 30 personnages,
quelques chaises et un tableau noir pour seul décor, des costumes qui doivent
pouvoir être enlevés ou mis en un clin d’œil. Et ce pari, la pièce le réussit
haut la main.
Comment résumer une intrigue aussi riche en quelques mots ?
La clé est dans le monologue d’entrée : parti de l’idée que l’Histoire n’est
qu’une somme de récits, aussi impartial que soit l’historien, et que la fiction
est donc au cœur de notre mémoire collective, le Porteur d’Histoire tisse une
toile complexe d’événements a priori anodins, mais qui s’enchaînent. Chaque
histoire qu’un des personnages raconte l’amène à évoquer une autre histoire,
celle de sa famille, d’un ancêtre, d’un auteur qu’il a étudié...et ouvre une nouvelle scène à une autre époque.
En deux heures, les 5 comédiens enchaînent plus de 30 rôles,
de la mère de famille algérienne à Alexandre Dumas, du pape Clément VI à un
restaurateur orphelin, perdu dans une forêt des Ardennes en 1988. Tous les
personnages, à toutes les époques sont à la recherche d’une mystérieuse
famille, les Saxe de Bourville, qui semble liée à tous les bouleversements de l’Histoire,
mais n’a laissé aucune trace écrite.
La pièce interroge constamment notre
rapport au récit et notre besoin de laisser des traces, de s'inscrire dans un contexte qui nous dépasse. Point intéressant, le narrateur nous prévient dès le début que son seul
talent, c'est de raconter des histoires, comme le Baudolino d'Umberto
Eco, qui prévient qu'il est mythomane en ouvrant son autobiographie. La réflexion va donc plus
loin, pour porter sur la capacité de la fiction à engendrer la réalité, comme
le fait constamment ce personnage de « porteur d’Histoire ».
C’est à la fois drôle, émouvant et intéressant. La pièce
joue parfois un peu trop sur ses annonces de personnages célèbres, en parsemant
le texte d’indices avant la révélation, pour satisfaire l’orgueil du spectateur
qui aura reconnu le personnage rapidement. C’est une faiblesse mineure, vite
excusée, tout comme on est indulgent avec le tableau sur la France phare de la
démocratie…
La mise en scène est à contre-courant de beaucoup de pièces,
et d’une vision élitiste du théâtre, tant elle intègre et réutilise des codes propres
au cinéma et à la télé. Un de ses aspects fascinants tient à l’usage de la
musique. L’auteur et metteur en scène est jeune et ne renie en aucun cas ses influences moins nobles. La musique, tant dans son placement que dans les types utilisés,
souligne les récits sans en être partie prenante, technique très clairement
empruntée au cinéma, voire à la série, tout comme l’utilisation du flashback.
C’est assez rare, d’ailleurs, de voir au théâtre une
écriture aussi proche de codes du cinéma, mais c’est une vraie réussite, sans
besoin de coller de la vidéo ou autre installation idiote, comme dans le très
mauvais Pop’pea du Châtelet. Ça marche précisément parce que c’est écrit par quelqu’un
nourri aux codes de la bonne télé et que ce n'est pas une tentative de croiser les genres pour se donner une contenance intellectuelle "moderne", comme l'a très souvent fait la Comédie Française dans ses sombres années 2000.
Pas la peine de m’étendre, tant c’est foisonnant. Une seule
chose à dire, c’est une pièce à voir.
La minute sériephile :
quand je dis que l’auteur est marqué par la culture télé, ce n’est pas une vue
de l’esprit. Après un début tant qu’acteur dans une série
discutable, Diane femme flic, c’est
aujourd’hui l’un des personnages principaux de Kabul Kitchen, le photographe Damien. Cette culture fait partie de sa carrière, et ça se voit, pour le meilleur.
La minute geek :
cette famille mystérieuse, dont les racines plongent au plus profond de notre
histoire, qui influence l’ensemble des grands mouvements, de la naissance du
christianisme à la chute de la Restauration, et dont le symbole parsème l’histoire
sans laisser de traces aux non-initiés m’a furieusement fait penser aux Assassins
et aux Templiers d’Assassin’s Creed. Ça tombe plutôt bien, c’est une de mes
franchises préférées.