lundi 13 août 2012

La part des anges, étonnament naïf pour un Ken Loach



Je n’étais pas forcément emballé à l’idée de voir le dernier Ken Loach. Je n’ai vu que ses classiques, et ne maîtrise pas forcément toute son œuvre, mais je craignais que ce soit un choix un peu lourd pour une belle soirée d’août. Je reste en prime un peu circonspect après De rouille et d’os : malgré l’indéniable maîtrise technique et le sens de la réalisation de Jacques Audiard, l’amoncellement de couches de misère sociale servait-il un propos quelconque ? Je n’en suis pas convaincu et je craignais de voir une redite anglaise de ce travers.

Nous nous décidons toutefois pour le Ken Loach, et nous voilà partis. J’ai bien aimé le film, sympathique, parfois très drôle, mais je doute qu’il reste dans les mémoires. Ken Loach a manifestement changé son fusil d’épaule, pour mélanger son habituel réalisme, ici représenté par le squat dans lequel vit le héros, avec une bonne grosse dose de pensée magique. Le cocktail est surprenant.

D’une certaine façon, c’est rafraîchissant, mais Loach neutralise le côté social de son film en permanence par l’humour, et je ne suis pas absolument certain de comprendre ce qu’il cherche à dire avec ce film. La présentation des quatre personnages principaux ouvre par exemple le film, par la voix du procureur décrivant les délits qu’ils ont commis. L’absurdité des délits, en décalage avec la froideur clinique du lecteur qui lit les insultes, les prévenus qui tentent de se retenir de dire, le tout fait une scène hilarante. On est immédiatement du côté de cette bande de losers sympathiques et de leurs délits idiots (marcher ivre mort sur une voie ferrée, pisser sur une statue, piquer un rouge-à-lèvres).

Là où le film est plus ambigu, c’est sur Robbie, le personnage principal. Manifestement, son procès concerne une rixe avec une bande de son quartier, et le film suppose une rivalité qui ne s’arrêtera jamais, même si personne ne se souvient de ses causes. Mais Robbie a déjà fait de la prison, pour une agression, elle parfaitement gratuite, d’un inconnu qui en a perdu un œil, et a manifestement abandonné ses études suite à ce traumatisme. Il y a bien une scène de confrontation où Robbie pleure un peu et semble regretter, quoiqu’il ne le dise pas. Si l’on suit Ken Loach, et l’avocate de Robbie va être père, et ça change tout. Suspendons notre jugement et acceptons ce présupposé. 

L’autre problème vient de la famille de la copine de Robbie, relativement mafieuse et puissante, qui ne veut absolument pas de lui. Là encore, la pensée magique fait des miracles : il se fait tabasser le jour de l’accouchement par les oncles, mais élève quand même l’enfant, pourrait emménager avec sa famille. Son beau-père lui propose bien 5 000 £ pour quitter leur ville, mais au refus de Robbie, ne fait rien de spécial… Pareil pour la vendetta, qui s’arrête une fois que Robbie menace au couteau un de ses agresseurs. Ça ne devrait être qu’une marche dans l’escalade de violence, mais non, tout va bien, ça calme le jeu.

Reste l’intrigue principale, très absurde et drôle. Robbie se découvre grâce à son éducateur social une passion pour le whisky, et s’avère être un excellent nez (ce qui est d’ailleurs un peu étonnant, puisque c’est un fumeur, buveur et  cocaïnomane notoire, mais passons). En découvrant ce monde, il monte avec ses pieds nickelés un coup absurde pour devenir riche : s’introduire dans une distillerie et siphonner trois bouteilles d’un cru inestimable directement dans sa barrique pour les vendre à un collectionneur. Un fait d’armes idiot, mené en kilt, loufoque et réjouissant.

J’ai passé un bon moment, les personnages sont sympathiques, le film bien réalisé, mais La part des anges reste une comédie mineure. Tout est formidable, tout s’arrange, tout le monde est content. C’est très mignon, drôle mais je ne suis pas certain que le message de Ken Loach sur la déshérence des jeunes au chômage et sur  l’amalgame fait par les politiques entre chômage et délinquance passe vraiment.

La minute geek : l’intermédiaire du collectionneur de whisky est joué par Roger Allam. Outre qu’il joue Lewis Prothero, la voix de Londres dans V pour Vendetta, Allam joue Illyrio Mopatis, le magistrat qui arrange le mariage de Daenerys Targaryen et Khal Drogo. 

La minute du sériephile : si vous vous intéressez justement à la façon dont le politique britannique  perçoit les jeunes chômeurs, regardez plutôt la seconde saison de l’excellente mini-série House of Cards. Les fans de série y verront d’ailleurs la préfiguration de Profit, tant dans le sujet que dans la technique.

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