Je n’étais pas forcément emballé à l’idée de voir le dernier
Ken Loach. Je n’ai vu que ses classiques, et ne maîtrise pas forcément toute
son œuvre, mais je craignais que ce soit un choix un peu lourd pour une belle
soirée d’août. Je reste en prime un peu circonspect après De rouille et d’os : malgré l’indéniable maîtrise technique et
le sens de la réalisation de Jacques Audiard, l’amoncellement de couches de
misère sociale servait-il un propos quelconque ? Je n’en suis pas convaincu et je craignais de voir une redite anglaise de ce travers.
Nous nous décidons toutefois pour le Ken Loach, et nous
voilà partis. J’ai bien aimé le film, sympathique, parfois très drôle, mais je
doute qu’il reste dans les mémoires. Ken Loach a manifestement changé son fusil
d’épaule, pour mélanger son habituel réalisme, ici représenté par le squat dans
lequel vit le héros, avec une bonne grosse dose de pensée magique. Le cocktail
est surprenant.
D’une certaine façon, c’est rafraîchissant, mais Loach
neutralise le côté social de son film en permanence par l’humour, et je ne suis
pas absolument certain de comprendre ce qu’il cherche à dire avec ce film. La
présentation des quatre personnages principaux ouvre par exemple le film, par
la voix du procureur décrivant les délits qu’ils ont commis. L’absurdité des
délits, en décalage avec la froideur clinique du lecteur qui lit les insultes, les prévenus
qui tentent de se retenir de dire, le tout fait une scène hilarante. On est
immédiatement du côté de cette bande de losers sympathiques et de leurs délits
idiots (marcher ivre mort sur une voie ferrée, pisser sur une statue, piquer un
rouge-à-lèvres).
Là où le film est plus ambigu, c’est sur Robbie, le
personnage principal. Manifestement, son procès concerne une rixe avec une
bande de son quartier, et le film suppose une rivalité qui ne s’arrêtera jamais,
même si personne ne se souvient de ses causes. Mais Robbie a déjà fait de la prison,
pour une agression, elle parfaitement gratuite, d’un inconnu qui en a perdu un œil,
et a manifestement abandonné ses études suite à ce traumatisme. Il y a bien une
scène de confrontation où Robbie pleure un peu et semble regretter, quoiqu’il
ne le dise pas. Si l’on suit Ken Loach, et l’avocate de Robbie va être père,
et ça change tout. Suspendons notre jugement et acceptons ce présupposé.
L’autre
problème vient de la famille de la copine de Robbie, relativement mafieuse et
puissante, qui ne veut absolument pas de lui. Là encore, la pensée magique fait
des miracles : il se fait tabasser le jour de l’accouchement par les
oncles, mais élève quand même l’enfant, pourrait emménager avec sa famille. Son
beau-père lui propose bien 5 000 £ pour quitter leur ville, mais au refus
de Robbie, ne fait rien de spécial… Pareil pour la vendetta, qui s’arrête une
fois que Robbie menace au couteau un de ses agresseurs. Ça ne devrait être qu’une
marche dans l’escalade de violence, mais non, tout va bien, ça calme le jeu.
Reste l’intrigue principale, très absurde et drôle. Robbie
se découvre grâce à son éducateur social une passion pour le whisky, et s’avère
être un excellent nez (ce qui est d’ailleurs un peu étonnant, puisque c’est un fumeur,
buveur et cocaïnomane notoire, mais
passons). En découvrant ce monde, il monte avec ses pieds nickelés un coup
absurde pour devenir riche : s’introduire dans une distillerie et siphonner
trois bouteilles d’un cru inestimable directement dans sa barrique pour les vendre à un
collectionneur. Un fait d’armes idiot, mené en kilt, loufoque et réjouissant.
J’ai passé un bon moment, les personnages sont sympathiques,
le film bien réalisé, mais La part des
anges reste une comédie mineure. Tout est formidable, tout s’arrange, tout
le monde est content. C’est très mignon, drôle mais je ne suis pas certain que
le message de Ken Loach sur la déshérence des jeunes au chômage et sur l’amalgame fait par les politiques entre chômage et délinquance passe vraiment.
La minute geek :
l’intermédiaire du collectionneur de whisky est joué par Roger Allam. Outre qu’il
joue Lewis Prothero, la voix de Londres dans V pour Vendetta, Allam joue Illyrio Mopatis, le magistrat qui
arrange le mariage de Daenerys Targaryen et Khal Drogo.
La minute du
sériephile : si vous vous intéressez justement à la façon dont le
politique britannique perçoit les jeunes
chômeurs, regardez plutôt la seconde saison de l’excellente mini-série House of Cards. Les fans de série y
verront d’ailleurs la préfiguration de Profit,
tant dans le sujet que dans la technique.