mercredi 8 octobre 2014

Deux garçons, la mer






Une expérience de synthèse complexe mais réussie

Le genre : Brokeback Mountain, edition Sinn Fein

Adapter le roman fleuve de James O’Neill, tout de même 643 pages au compteur, pour la scène était évidemment un challenge. Non tant sur le nombre de personnages, finalement assez restreint, ou même pour les décors, que sur la densité de l’intrigue. Comparé à Joyce pour son mode proche du stream of consciousness, la voix intérieure des personnages, le roman raconte en effet à la fois le cheminement de deux jeunes garçons qui se découvrent l’un pour l’autre de l’amitié, du désir puis un amour réel et le cheminement de l’un d’entre eux vers la lutte armée pour l’indépendance irlandaise.

L’adaptation de Christophe Garro est en effet suffisamment maline pour ne pas rejeter totalement des pans du roman, et les évoquer par touches, notamment le désir trouble du père Polycarpe pour le jeune Jim, afin de concentrer les rapports sur trois personnages, la relation naissante de Jim et Doyler et l’évolution sentimentale de McMurrough. Ceux qui n’ont pas lu le roman pourront lui reprocher d’avancer à marche forcée sur la question de l’indépendance irlandaise, dont certains enjeux deviennent assez flous, notamment le rôle de l’Eglise, qui n’a soutenu le soulèvement de 1916 qu’a posteriori.

Ce reproche n’en est pas vraiment, la ligne directrice affinée de la pièce s’affranchit avec une certaine élégance d’une difficulté majeure, à savoir corréler trop intimement le désir homosexuel et la volonté politique d’indépendance. Faire des personnages des républicains par calcul, pour s’affranchir d’une Angleterre puritaine qui rejette l’homosexualité, serait en effet à la fois trop simple et très vraisemblablement un contresens historique. 

Je reste un peu circonspect quant à la vision très moderne du couple des deux jeunes, qui évoquent comme une possibilité une vie de couple d’enseignant, qui me semble peu vraisemblable, même avec la naïveté de la jeunesse. De la même façon, Oscar Wilde, souvent mentionné par McMurrough comme modèle homo et irlandais, était marié, ne l’oublions pas. Et même si une lecture moderne voudrait faire de lui un personnage assumant sa sexualité, n’oublions pas non plus que la chute judiciaire de Wilde commence quand c’est lui qui intente un procès en diffamation au père de son amant qui l’a traité de sodomite. Gardons enfin à l’esprit que la république d’Irlande n’a dépénalisé l’homosexualité qu’en 1993… 

Mais peu importe, la pièce ne manque pas de finesse et la troupe relativement jeune, parvient à incarner des personnages d’âges différents, notamment les deux acteurs principaux, Thomas Cauchon et Philippe Le Gall qui héritent tous deux de rôles difficiles, Jim l’ado timide qui découvre l’amour et Doyler qui a grandi et découvert la sexualité trop vite, à la fois bravache et idéaliste. Pareil pour Jérôme Piques qui compose un McMurrough qui conserve tout le long son ambigüité, entre ses aspirations à trouver sa place en guidant philosophiquement le jeune couple et la violence de son désir purement charnel pour Doyler.

La mise en scène de Christophe Garro, également auteur de l’adaptation, se concentre assez logiquement sur ses personnages et évite l’écueil de vouloir créer des décors pour privilégier des détails et costumes simples et évocateurs, face à la pure impossibilité de représenter une pièce qui évolue sans cesse géographiquement, du manoir à la boutique, de la barricade à la plage… Je suis moins convaincu par les transitions en projection vidéo, mais je n’ai jamais vraiment adhéré à ce mélange, notamment dans le consternant Savannah Bay d’Eric Vignier à la Comédie Française en 2002. Comme quoi on ne se refait pas. 

Je n’ai pas pu m’empêcher de trouver l’ensemble assez mignon, malgré le tour dramatique de certains événements, et la pièce manque peut-être justement de d’une forme de noirceur, qu’elle cantonne à la sexualité, tarifée ou violente, à laquelle s’oppose l’amour de Doyler et Jim, rouleau compresseur de pensée magique qui l’emporte sur le reste. Après tout, pourquoi ? Le message est bien qu’il n’est pas plus grande liberté que de choisir qui l’on est… Equilibré, agréable et frais, et c’est déjà beaucoup.

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