Le genre: Lost in Translation SF
En allant voir, Her, je me suis dit chouette, un nouveau
Spike Jonze. Ça effacera le goût doux amer de Where the Wild Things Are, qui m’avait laissé assez perplexe. Et
bien, non, c’est le contraire. Ne nous méprenons pas, Spike Jonze est un bon
réalisateur. Mais finalement, ce que ce film révèle avant tout, c’est que ce n’est
qu’un bon réalisateur. Que la folie de ses deux premiers films venait de
Kaufman, son scénariste, et qu’il s’est contenté de la mettre en image. Magistralement,
certes.
Ici donc, pour sa première tentative d’écriture, Spike Jonze
accouche d’un film très beau plastiquement, mais dont le scénario est, au fond,
d’une banalité effarante. Enfin non, ce n’est pas tant le scénario, d’ailleurs,
bien construit, que le propos de fond qui est banal. Quel est donc ce propos ? En 2025, un écrivain qui se
remet mal de son divorce achète un smartphone ultra avancé dont le système est
une intelligence artificielle qui évolue en fonction de ses goûts et habitudes.
L’intelligence, dont la voix est celle de Scarlett Johanson, devient si
parfaitement adaptée à lui qu’il en tombe amoureux et commence une relation
avec.
Par certains aspects, le film est indéniablement réussi.
Jonze fait le pari d’une science-fiction où l’identification est facile, en
menant une vraie réflexion sur le design de son monde (comme Andrew Niccol dans
Gattaca). Dans dix ans, il imagine un monde de
design fonctionnel Apple et Ikea, un effacement des caractéristiques culturels au
profit d’un style post hipster mondialisé, à la fois très chaleureux et totalement désincarné; un fantasme normcore assez terrifiant mais tristement réaliste. Son choix de tournage entre
Shangaï et Los Angeles crée une ville monde sans voitures, aux baies vitrées à
perte de vue, qui brille par l’espace qu’elle offre. Assez malin, et, je le
répète, très beau visuellement (et qui donne envie de retourner dormir dans un
immeuble en centre-ville en Asie).
Le film trouve ses marques assez vite et a quelque chose de
touchant, notamment dans l’acceptation complète de cette relation avec un être
virtuel par les amis du héros. Ça donne d’ailleurs lieu à une des meilleures scènes
du film, le double date avec un collègue en couple (le désormais très bien
gaulé Chris Pratt, merci aux stéroïdes et au coach de Marvel). L’incompréhension
et la jalousie de l’ex-femme est elle aussi bien vue, dans ce registre.
Malheureusement, le film glisse assez vite vers une pente de
SF plus dure, dont il ne sait pas trop quoi faire, ce qui crée une promesse qu’il
ne tient pas réellement. De fait, plus la machine évolue, plus elle est
intelligente et autonome, et, en filigrane, les autres téléphones se parlent, structurent leur "communauté", se cherchent, font
revivre des philosophes, tentent de comprendre leur place dans la vie et dans le monde... L’hypothèse est intéressante, mais tout geek finit par en
attendre la seule conclusion logique, d’un point de vue Asimovien ou
Terminatorien, à savoir la prise de contrôle de cette humanité devenue molle.
Ce qui évidemment ne vient pas, le propos n’est pas là.
Le propos, c’est plutôt de dire que la technologie nous a
rendu plus introspectif, puisque notre téléphone est une fenêtre sur un monde
de contenus filtrés, mais aussi incapable d’exprimer nos sentiments, sauf à des
complets étrangers (deux intéressantes scènes sur l’avenir du plan cul à l’ère
de Grindr et Tinder à noter sur ce sujet, d’ailleurs). La morale du film est
donc finalement d’une insondable banalité, un propos rebattu sur la
communication qui nous isole, bla, bla, bla, les vrais gens c’est mieux… Déjà
le propos de Denise au téléphone, de Hal Swalsen, sorti en…1995.
Le film a indéniablement des qualités, notamment esthétiques
et dramatiques, et propose une vraie réflexion d’anticipation. Il est
indiscutablement bien joué, par Joaquin Phenix qui porte le film sur ses épaules,
notamment dans les nombreuses scènes cadrées sur son visage sur l’oreiller. A
ces deux points de vue, Her est une
réussite. Malheureusement, il ne porte ni folie dans le message ni poésie dans la
forme. Je le range dans la même catégorie que SimOne, de Niccol (encore lui), qui est un film que j’aime bien et
avec qui il partage beaucoup (film indé, réalisation précise, anticipation
maline et sans effets spéciaux, casting de stars). Je ne comprends juste pas
pourquoi l’un est considéré comme un film mineur et l’autre comme un chef d’œuvre.
La minute geek : le film évite par une pirouette de poser une
question existentielle, au sens propre,
à savoir la question de la liberté et de la réalité d’une intelligence non
incarnée physiquement. Comme toujours, c’est une question que s’est posée à
plusieurs reprises Star Trek, notamment sur les droits d’une forme de vie,
fût-elle artificielle, dès lors qu’elle est consciente et évolue hors de ses
paramètres de création. C’est justement sur ce terrain borderline que le film
refuse de s’avancer, et c’est fort dommage.
La minute sériephile : Chris Pratt, avant de devenir le nouvel
action hero de Marvel était surtout l’hilarant Andy dans la conceptuelle série Parks and Recreations,
qui oscille avec bonheur entre The Office
et Spin City.
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