vendredi 2 août 2013

Downton Abbey, dans le Yorkshire, personne ne vous entendra crier





Puisque je dispose d’un brin de temps, je vais continuer mes recaps de saison. Je me suis donc mis après la planète entière (du moins la planète des filles de plus de 25 ans, américaines et démocrates) à regarder Downton Abbey, du moins sa première saison. Ce qui m’a poussé à le faire, c’est de revoir Gosford Park, d’Altman, qui est un de mes films préférés, et dont le scénariste est le même, Julian Fellowes.

On pourrait croire que Downton Abbey est donc plus ou moins la version série du film. Ce serait aller un peu vite en besogne. Quoiqu’on en dise, à de rares exceptions près, Downton est une version très édulcorée, puisque les séries se doivent de ne pas violenter en permanence leur audience, ce que faisait Gosford en montrant que maîtres et valets sont tous obsédés par le rang et l’argent et incapables de sortir de leurs préjugés.

La série suit la vie d’un manoir anglais pendant les années 1910, en s’attachant autant aux maîtres, les Crawley, qu'à leurs leurs valets. Comme toute bonne série, il faut un ressort narratif et un outsider qui découvre ce monde comme nous, pour nous permettre d'y rentrer et expliciter ses codes. Ce ressort, c’est la mort de l’héritier du comte, et l’impossibilité de faire hériter une femme. Tout le domaine et la fortune qui y est lié reviendra donc à Matthew, lointain cousin, middle-class et avocat, que la famille Crawley fait venir et va tenter de convertir en l’un des siens. 

Là où l’on pourrait attendre une série féroce et cynique, Downton, est un mélange de West Wing et de Dinasty, une fresque aux costumes et décors somptueux, avec un peu de catfight et de romances invraismeblables, mais également une série foncièrement positive. La famille Crawley applique des filtres de pensée résolument modernes et tolérants, un parti-pris que je reprochais déjà à Rome, où Cesar comme Auguste avaient une vision beaucoup trop moderne de la religion pour leur temps. Parfait comme le Président Bartlett sur beaucoup trop de sujets, le comte de Grantham est un modèle d’honneur, de justice, de compréhension… C’en est parfois un peu trop, mais la série reste agréable.

La mise en scène est intelligente, utilise bien le plan de coupe pour montrer le monstre qu’est la maison, le ballet incessant des serviteurs, le fait que chacun a une fonction précise, pour que les maîtres n’aient jamais rien à faire. Le découpage montre bien aussi l'absurdité des journées de personnages qui n'ont strictement rien à faire, si ce n'est disserter pendant qu'on les habille régulièrement pour le petit-déjeuner, la journée, le dîner ou se promener dans le jardin. Je trouve cela dit dommage que la maison elle-même ne soit pas plus exploitée en tant que personnage, et ne soit que le terrain de jeu.

Cela dit, de façon générale, je me demande si la série est en réalité le bon média pour relater la vie de gens à qui il n’est censé rien arriver. Downton contourne le problème de façon artificielle en créant un « événement » dans chaque épisode, tout en gardant un axe principal, le potentiel mariage de Mary, la fille ainée des Crawley avec Matthew ou non. Cette structure, avec cliffhangers donne à mon avis un sentiment artificiel de ce qu’est la vie des personnages, et donne trop d’importance à la romance, alors que le premier épisode annonçait de la part de Mary un cynisme qui est trop vite oublié.

Ce n’est pas très étonnant, quand on voit qui est le public de Downton (globalement de la nana mid-20’s CSP++, qui satisfait son goût des costumes et des belles histoires, voire sa conscience sociale), mais c’est oublier que l’histoire, aussi sympathique que soient le comte et son épouse, est sordide. Il s’agit quand même de marier leur fille à un parfait inconnu, le tout pour garder le blé dans la famille, et ça ne pose de problèmes à personne. Matthew et Mary tombent amoureux, ça tombe bien, mais il n’est en réalité jamais question d’amour, uniquement d'argent.

La transformation de Matthew suit le même schéma un peu facile. Présenté comme un progressiste qui ne veut pas de domestiques, il finit par accepter d’avoir un valet qui l’habille, pour ne pas vexer le dit valet, dès le 2ème épisode. C'est un peu facile, et c'est acheter une conscience morale à son héros à vil prix. Il aurait été plus intéressant de montrer que Matthew, malgré ses idéaux, a tout bêtement pris goût au blé et à la facilité. Mais, la série se refuse tout cynisme, et fait de ses personnages des gentils patrons bienveillants, et refuse de voir à quels points eux-mêmes sont prisonniers et victimes des conventions.

Là où, justement, la série trouve ses meilleurs moments, c’est précisément quand elle sort de la dimension "familiale", le comte estimant que les serviteurs sont une sorte de famille, à protéger, pour rentrer dans la violence des rapports sociaux. Maggie Smith, en douairière archaïque est de loin le meilleur personnage, le seul qui ose faire preuve d’une vision inégalitaire du monde. La comtesse douarière le fait d'ailleurs sans aucun cynisme, puisque le personnage ne voit dans son mode de pensée que la seule façon dont le monde peut tourner. Ses piques constantes sur le mariage, les conventions, le rôle des pauvres, la faiblesse ou les républicains sont un pur délice.

Chez les valets, de la même façon, Thomas, le premier valet de pied, dévoré par l’ambition et impénitent dragueur de nobles de passage offre lui aussi un contrepoint au côté « on adore être domestique, c’est trop sympa ». Un personnage compassé, et élégant, mais comploteur, comme Mrs O'Brien, l'autre "méchante" chez les domestiques. Les deux redonnent paradoxalement un peu d’humanité à une  série, trop volontiers appuyée sur l’idée du majordome parfait, erreur qu’évitait Gosford par son personnage du majordome Jennings, moins lisse que ne l’est Carson, le majordome de Downton.
 
Je ne voudrais pas paraître trop négatif, Downton Abbey est malgré tout une bonne série. Une série qui sait prendre son temps, s’attacher aux détails, ce qui est trop rare, et jouer de son atmosphère. Le cast est parfait, les décors sont très bien, on est dans une écriture subtile, pleine de piques, tout ça me convient. Je pense simplement qu’elle gagnerait à être plus bitchy et moins naïve. Peut-être que l’arrivée de la Première Guerre Mondiale, qui clôt la saison 1 fera-t-elle évoluer les choses, mais j’en doute un peu. Verdict la semaine prochaine.

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