mercredi 13 septembre 2017

Petit Paysan, The Yards à la ferme





Formellement réussi, Petit Paysan traite le quotidien des agriculteurs comme un thriller étouffant et décalé. Le polar français le mieux écrit depuis des années.


Petit Paysan, ce n’est pas une histoire de fermier, c’est l’histoire d’une servitude volontaire et d’une spirale infernale. Pierre, jeune éleveur, comprend que l’une de ses vaches est atteinte de fièvre hémorragique et que tout son troupeau est donc légalement condamné à l’abattoir. Une seule solution pour sauver son élevage, faire disparaître le corps et mentir aux vétérinaires, un mensonge qui en entraîne un autre…

C'est bien simple, Pierre consacre toutes ses heures à sa ferme et les quelques bribes de sa vie extérieure y sont rattachées elles-aussi : ses amis, eux-aussi exploitants, sa famille, entre des parents qui restent l’œil sur leur ferme, littéralement, et sa sœur, vétérinaire chargée, entre autres de l’application des normes sanitaires. Il ne peut pas la voir disparaître : le sujet de Petit Paysan, c’est cette étrange lutte d’un homme pour la survie d’un monde qu’il aime mais qui l’étouffe pourtant.

La ferme entre tradition et modernité        

Non ce n’est pas juste un plan de dissert peu inspiré. C’est le parti-pris réaliste du film, mettre en images deux façons de répondre à la même exigence, produire toujours plus pour survivre, puisqu’il s’agit bien là de survie du monde agricole, forcé de se transformer, même à contrecœur. Le film oppose en permanence une vision plus intimiste, celle de Pierre, soucieux du bien-être de ses vaches, qu’il connaît toutes, à la vision de son ami d’enfance, exploitant d’une énorme ferme ultramoderne avec trayeuse laser pour viser les pis et contrôle du rendement par smartphone. Mais au fond, les deux sont embarqués dans la même galère.
Là où la plupart des films sur le monde agricole souffrent de la même difficulté, l’incapacité des cinéastes, malgré leur bonne volonté, à filmer un monde qui leur est étranger, Hubert Charuel fait précisément le contraire. Ce monde, c’est celui de sa famille, il le connaît par cœur, mais il ne veut pas le filmer uniquement sous un angle misérabiliste ou documentaire, et préfère en faire le cadre d’un thriller psychologique réaliste et réussi. Et c'est là toute la force de son film.


Vertigo bovin

Le personnage lunaire de Pierre donne au film ses trois qualités majeures, son intimité, sa tension et sa force burlesque. On le suit, en s’identifiant d’un côté à la spirale de mensonges absurdes  qu’il déploie, comme un enfant  pour cacher sa faute, tout en assistant ahuris à ce polar rural sur les meilleures façons de faire disparaître, physiquement comme légalement, une vache. L’intrigue le suit, dans son rapport avec les autorités et les autres paysans, avec un humour absurde et poétique (notamment chez les gendarmes ou quand Pierre devient un caïd de basse-cour qui intimide les autres fermiers), tout en créant suspens dans laquelle on se laisse piéger.
Swann Arlaud, qui interprète Pierre, compose en dans Petit Paysan un personnage complexe, à la fois totalement seul et étouffé par le peu de contact qu’il a avec les autres. Incompris, il se réfugie et s’enferme dans la lecture de vidéos sur Youtube qui alimentent sa paranoïa et devient un prisonnier volontaire, prêt à toutes les folies pour défendre ce monde qu’il sait condamné. Il n’est pas heureux mais n’a pas le choix, tout simplement parce qu’il ne connaît rien d’autre que ce monde.
Et au bout du compte, sous ses airs de polars, Petit Paysan signe un beau film sur une agriculture attachée à la terre qui est en train de mourir face au productivisme et, plus généralement, un constat dérangeant sur notre déconnexion croissante de la réalité.

La minute sériephile : Swann Arlaud est un acteur complexe, que j’aimais déjà bien dans la 2ème saison d’Engrenages. Il y jouait avec ces mêmes yeux concentrées mais terrifiées un jeune flic passionné par son métier, mais déboussolé par sa violence. Il jouait aussi dans Xanadu, mais là, c’était moins réussi…


La minute geek : Je passe mon tour sur celle-là.



lundi 31 juillet 2017

Dunkerque, la claque et la classe


Deux heures de tension éprouvantes, qui rivent le spectateur à son siège dans un film quasiment sans dialogue. Le film paradoxalement le plus humain de Nolan ?
Christopher Nolan a un sens aigu de l’image et un goût prononcé pour les narrations complexes et imbriquées. Avec Dunkerque, il pousse à l’extrême les deux passions dans une sorte d’épure de film d’action et revisite la notion de film de guerre. Immersif, violent, éprouvant physiquement, Dunkerque scotche littéralement le spectateur à son siège, tout en lui donnant envie que tout ça se termine. Exactement comme ses jeunes personnages.
Et on fait quoi maintenant ?
Je ne dis pas jeunes héros à dessein, dans la mesure où Dunkerque n’est pas un film de guerre, et encore moins une reconstitution historique, mais un film de survie. Son sujet, c’est des gens dépassés et harcelés par un ennemi aussi implacable qu’invisible et qui n'ont qu’une hâte, qu’on vienne enfin les tirer du bordel.
Nolan prend le parti de ne pas contextualiser historiquement l’action pour ne montrer que la terreur, l’instinct de survie, les barrières mentales qui craquent les unes après les autres, mais aussi l’héroïsme dérisoire. Il plonge littéralement son spectateur, surtout en Imax, dans un bourbier bruyant, oppressant, dont on ne peut vouloir sortir, tant son film n’est qu’une tension magistrale sonore et visuelle de deux heures, accentuée par la BO très appuyée de Zimmer.
En écrivant un film quasiment sans personnages ni dialogues, Nolan peut se concentrer sur son obsession de l’image et du son, jouer un somptueux contraste permanent entre l’espace infini de la mer et la prison des cales de bateaux en perdition où des centaines de soldats meurent noyés, entre la lumière blanche du petit jour et la nuit de ces cales de bateaux, entre l’ordre apparent de l’évacuation et la panique que cause soudainement le bruit du moteurs des avions allemands.
Par de nombreux aspects, Dunkerque tient plus de l’expérience que du film classique, tant ses personnages sont peu développés. Même visuellement, en prenant en toile de fond permanente un Dunkerque irréel, le Dunkerque moderne mais vide et fantomatique, Nolan utilise à plein son terrain de jeu pour développer son imagerie terrifiante et son histoire à tiroir, qui ne parle pas au fond de l’opération Dynamo, mais de l’instinct de survie le plus viscéral et irrationnel.
La narration kaléidoscope
Dunkerque joue sur trois temporalités différentes annoncées dès l’entrée, pour mêler trois approches différentes de son action. Une semaine sans fin d’épuisement, d’espoir déçus et de mort au tournant pour les évacués, un jour dans le destin des civils qui décident qu’il ont le devoir d’aider les soldats sans savoir dans quoi il s’embarquent, et une heure de routine pour les pilotes, habitués à mourir et à voir surgir une mort quasi instantanée et inattendue.
Nolan joue avec ses trois temporalités et ne cesse de s’appuyer sur des motifs visuels, le chalutier échoué, le dragueur de mines en perdition, l’amerrissage du Spitfire pour construire une histoire complexe dont les fragments communs sont sans cesse réarrangés, ré-éclairés, le plus souvent dans les plans aériens vertigineux. Le sentiment qui en resort est celui d'être perdu, balloté, de ne pas toujours comprendre, jusqu'à la delivrance. Très exactement le sentiment des personnages principaux.
Narrativement, il multiplie aussi les contrepoints, notamment avec son traitement des aviateurs, très hollywoodien par ses impressionnantes scènes de combat. Dans Dunkerque, les aviateurs sont par définition seuls à bord et ne sont donc pas confrontés au regard des autres. Ils sont également les seuls à intervenir peu dans la temporalité du film, une simple heure, une petite mission, contre une semaine d’enfer sur terre pour les fantassins. Le détail est loin d’être anodin, et quand ils finissent par être confronté aux autres, le regard des soldats sur leur action est loin d’être  enthousiaste.
Nolan déroule sur deux heures sa narration avec la même logique de va-et-vient qu’il a appliqué à son image, en allant du dérisoire au grandiose en permanence, sans jamais donner la priorité à l’un ou à l’autre. Affranchi notamment, des archétypes de héros de ses films précédents (et des superstars mondiales qui les jouent), Nolan ne fait pour une fois que raconter une histoire très humaine, celle de gens qui font ce qu’ils peuvent, tout simplement, et qui ne se pardonnent pas de ne pas pouvoir faire plus.
A la fois stupéfiant visuellement, mais aussi très humain dans la dimension le plus intime, Dunkerque est un film qui ne peut être envisagé et vu que sur grand écran. Mais dans ces conditions, c’est un film d’une maîtrise époustouflante, doublé d’un film utile sur l’horreur de la guerre.
Et puis, quand même, la classe folle des uniformes de la Royal Navy vaut à elle-seule le déplacement ! Notamment les vestes croisées des officiers du bateau hôpital et, évidemment, le pardessus croisé d'un Kenneth Brannagh imperial de flegme britannique !
La minute geek : l’un des aspects frappants de Dunkerque, c’est son cadre spatial si particulier qui rappelle les limbes d’Inception. C’est ce Dunkerque d’aujourd’hui filmé comme une ville morte, totalement vide de civils. C’est évidemment historiquement faux, les habitants n’ont pas quitté la ville, qui a également été méthodiquement rasé par les bombes allemandes, là où celle du film est une ville fantôme mais debout.
De la part de Nolan, je vois là une volonté affichée de ne pas faire un film historique et de lui donner un cadre intemporel, à la limite de la SF, avec son ennemi invisible (on verra deux soldats allemands, en flou, dans tout le film). Mais je ne peux m’empêcher d’avoir l’impression que ce Dunkerque, c’est une map de jeu vidéo, un pur décor vide de civils qui rappelle furieusement Call of Duty.

jeudi 27 juillet 2017

The OA, la montagne qui accouche d’une (jolie) souris





Netflix annonçait une série qui révolutionne la notion de récit long. Pas mal, mais il ne faudrait pas non plus s’emballer…


Alors, cette révolution narrative ?


The OA c’est quoi ? C’est l’histoire d’une fille aveugle qui a disparu, et qui débarque de nulle part 7 ans après, en ayant retrouvé la vue et investie selon elle d’une mission divine. Miracle, mythomanie, consommation excessive de LSD ? Toutes les theories sont permises...
La série se structure autour de deux histoires entremêlées, l’une au présent, l’autre au passé, la seconde racontée dans le temps présent par un personnage qui l’a vécu. Astuce, on comprend au 7ème épisode que le personnage raconte autant l’histoire à ses camarades qu’au spectateur.


Quoi de neuf là-dedans ? Absolument rien, et surtout pas ce dispositif de narration à la première personne, dont on peut donc douter de la véracité, qui s’insère dans une narration omnisciente classique, qui est très exactement la structure de Usual Suspects pour ne citer qu'un exemple récent. Le fameux regard caméra adressé au spectateur, dans le  7ème épisode, aurait lui aussi un vague aspect de nouveauté, si Netflix ne l’avait déjà usé jusqu’à la corde dans les derniers épisodes des saisons 4 puis 5 de House of Cards, à chaque fois que Claire Underwood s’adresse au spectateur.


L'originalité, et encore, de The OA, c’est sa façon de poser un questionnement sur la croyance en general et sur la croyance au récit en particulier. En tant que spectateur, comme devant tout œuvre de fiction, on accepte comme acquis les éléments fantastiques, selon le principe de suspension volontaire du jugement, mais ici la série donne aussi au spectateur des raisons légitimes de douter de la véracité du recit de son héroïne Prairie (un bon nom de merde, soit dit en passant). Pour les personnages de la série, la question est la même, mais se double d’une autre interrogation : le récit leur a clairement apporté quelquechose, une force, une confiance en soi ou en les autres, peut-être une forme de redemption... Alors, même si Prairie ment, pourquoi ne pas la suivre ?


Tout ça a l'air très chic et intello, mais, là non plus, on ne peut pas vraiment dire que Netflix innove. C'est en fait le questionnement le moins moderne du monde. Les textes religieux, la Bible en tête, reposent déjà majoritairement sur cette notion de la parabole, de l’histoire qui, même inventée, permet de rendre l’homme meilleur. The OA ne fait donc que broder sur un thème archi-classique, avec une forme elle-aussi éprouvée.


Mais comme c'est dans les vieux pots qu'on fait la meilleure soupe, la série fonctionne, dans son imagerie et sa curieuse mélancolie comme dans son rythme qui donne clairement envie de voir l’épisode suivant.


A défaut d’être révolutionnaire, c’est au moins solidement écrit


L’écriture ménage une forme de fascination pour le personnage principal, mythomane géniale ou ange venu du ciel, en laissant chacun, personnage comme spectateur, libre de sa propre interprétation. Elle véhicule également une sincère tendresse envers ses personnages, tous perdus dans leur recherche d'une vie sinon meilleure, au moins différente.


Elle ne manque cela dit pas non plus de maladresses formelles, comme le fameux « mouvement » qu’apprennent les personnages, l'un des themes centraux de la série. D’un peu ridicule aux premières images, ce thème finit par basculer dans le grotesque voire l'indigne dans le dernier episode, qui traite avec une légèreté franchement dérangeante la question des fusillades dans les écoles, ici aimable artifice de scénario.


Malgré tout, avec sa fin ouverte à l’interprétation de chacun, les croyants comme les sceptiques, The OA garde sons supsens et son intérêt jusqu’au dernier plan. Pas mal, mais il reste maintenant à savoir si la série, renouvelée pour une seconde saison, saura rester sur cette très fine ligne de crête et conserver l’ambiguïté qui est son moteur. Si la saison deux offre un début de réponse fantastique, elle prend le risque debasculer dans un mélange bancal entre Fringe et 1Q84, sinon, elle prend le risqué de lasser...
C'est ballot, The OA aurait certainement pu acquérir un statut culte auprès de son public, en s'arrêtant ici sans répondre. Une solution qui aurait permis de masquer qu'elle n'a au fond déjà plus rien à dire...


La minute cinéphile : On retrouve Jason Isaacs, Lucius Malefoy dans les Harry Potter, dans le rôle archi-stéréotypé du savant psychopathe. Pas d'une folle originalité mais ça marche. Comme tout le reste de The OA, qui ne prend quasiment aucun risque sur quoi que ce soit.


La minute geek : Evidemment que la mère de Prairie a un agenda caché ! Sous ses airs bonnasses et ses fringues Quechua, Alice Krige ne trompe personne et tout le monde aura reconnu la reine des Borgs de l’univers Star Trek.



mardi 14 mars 2017

Logan, un peu de noirceur dans un monde de brutes



La franchise s’offre le luxe d’un final à la Rocky Balboa ou John Rambo, sur le vieillissement, le renoncement et la transmission. Crépusculaire et stylé, quoique longuet

Logan, c’est à la fois l’adieu de Hugh Jackman et Patrick Stewart à leurs rôles de Wolverine et Charles Xavier et une forme de point final aussi élégant qu’étonnant à une franchise qui n’a que trop duré. Avec ses héros vieillis, qui se demandent si, au fond, ce qui compte n’était pas de protéger les siens et pas le monde, Logan tire en effet un bilan sombre du concept même de la franchise et questionne en sous texte l’avenir du film de super héros.

On commence en 2029, dans un monde très proche du nôtre, où la mutation a disparu, et où les seuls quelques mutants survivent. On y recroise un Wolverine vieilli, alcoolique et chauffeur de Uber, qui peine à sortir ses griffes et se régénérer. Il protège un Professeur X alzheimerisé, oscillant entre démence, haine de soi et petites crises potentiellement fatales pour tous ceux qui l’entourent.

Oui mais voilà, il reste quelques mutants, des enfants soldats parfaits, créés par l’armée. Et dans un baroud d’honneur poussiéreux entre le Texas et  le Dakota, Wolvie va reprendre du service pour protéger une jeune fille. On devine dès le début que ce road movie n’a pas d’issue positive, parce qu’au fond, ses deux héros se foutent de leur quête mais espèrent simplement qu’elle leur redonne un peu de sens, sans jamais trop y croire.

Le film de Mangold prend ironiquement la grosse machine X-Men à rebrousse-poil, avec un monde où les mutants sont un vague souvenir de geek, et même plus dans l’opinion une menace, mais simplement un élément du passé, un brin ringard. Beaucoup plus contemplatif, Logan table également sur une forme d’action à la fois moins spectaculaire et beaucoup plus radicale dans sa violence, plus proche de la chorégraphie gore que de l’effet special.

Le film n’est pas exempt de défaut, notamment ses longueurs et son insistance qui finit par être lourde sur la difficulté de Wolverine et de sa fille de créer un lien, tant ils sont tous les deux, par nature sauvages. Mais il propose suffisamment de bonnes idées pour sortir du lot, de Patrick Stewart sénile hurlant les pubs Taco Bell à un dîner de famille classique, qui crée ce lien de tendresse filiale surprenant, dans une scène d’intimité qu’aucun X-Men n’a approché, ou meme tenté d'approcher.

A l’inverse de Bryan Singer qui multiplie les apparitions de personnage du comic dans ses films, pour satisfaire les fans, Logan prend plutôt le parti de la distance, avec des clins d’œil, notamment la figurine de Wolverine, pour mieux distancer le personage du mythe et souligner en permanence qu’il est non seulement temps de raccrocher, mais aussi, par sa conclusion, de ne pas espérer une relève. Avec son nombre de morts, il souligne également en permanence l’incroyable violence du genre, qui frise sciemment ici avec le malsain en mettant en scène une gamine sans aucune limite.

C’est cette distance qui porte le film, qui lui donne sa noirceur et en même temps sa force. Dans la catégorie des films de super héros « adultes », Logan l’emporte largement sur Deadpool, en préférant à l’ironie de surface une forme de mélancolie adulte sur les mauvais choix que l’on a fait et d’espoir qu’on peut encore changer les choses, auquel on s’accroche meme sans y croire .

La minute sériephile : Stephen Merchant, Caliban dans le film, est lui aussi spécialiste du malaise, dans un autre genre. Dans son rôle de dragueur incroyablement lourd et égoïste, il fait de Hello Ladies, sa mini-série un OVNI proche de certains épisodes de Striptease, toujours à la limite du rire et de la gêne.

La minute geek : si vous avez toujours eu peur de vous mettre à Star Trek, prenez au moins une heure pour regarder l’ahurissant docu de William Shatner « The Captains » sur Netflix. Des portraits aussi touchants que WTF des acteurs qui ont incarné les capitaines des différentes séries, avec de beaux morceaux de Patrick Stewart sur sa passion pour Shakespeare. Ça vous convaincra peut-être que ces séries sont plus complexes qu’il n’y paraît.

mardi 31 janvier 2017

La La Land, bla bla land






La La Land, beaucoup trop long et singulièrement sans rythme. Les cinq premières minutes sont cool, comme les cravates de Ryan, cela dit.

La La Land s’ouvre majestueusement, il faut le reconnaître, sur une scène extrêmement réussie, pleine d’énergie et qui fait un très bel hommage à l’usine à rêve qu’est Hollywood. Malheureusement, le film ne suit pas et déroule péniblement sa réflexion faiblarde sur les illusions perdues de son couple de héros, une aspirante actrice et un aspirant musicien.

Globalement, le film ne gagne de l'intérêt que dans quelques rares vraies réussites comiques dans les dialogues, notamment dans la fête 80’s. Mais le tout est invraisemblablement long, pour une histoire dans laquelle on ne rentre pas. En donnant un emballage musical sucré à son histoire vue et revue de couple qui se délite et doit choisir entre poursuivre sa carrière ou sa relation, Chazelle a du se sentir d’une folle modernité, mais rien ne fonctionne.

Sur la forme, pour commencer, sa comédie musicale est mal pensée. Au bout de dix minutes, dès le deuxième numéro chanté, un malaise diffus s'installe.  C’est cinq minutes après, au troisième numéro chanté, qu'on comprend. Avec ses trois numéros en plan sequence qui se suivent, Chazelle vient de te servir 15 minutes de lipdub. Comme le Medef en 2008... Passé ces 20 minutes, estimant certainement avoir fait le job, il se contente ensuite de solos pénibles et de duos atones. Sauf pour la fin, mais quand cette scène arrive, on est déjà entrain de jouer à Candy Crush ou de répondre à ses mails pro en retard.

Ensuite, le couple star pose un vrai problème. Aussi élégant que soient Gosling  et sa très belle collection de cravates à motifs asymétriques, lui n'offre en guise de jeu que sa neutralité (ou son incapacité à faire passer une émotion, pourrait-on dire pour être méchant) habituelle, ce qui pouvait à la rigueur se justifier dans Drive, moins ici, d'autant qu’Emma Stone en fait des caisses pour compenser. Leurs duos de danse et de chant manquent totalement de sincérité et de grâce, au point du ridicule, avec le fameux envol dansé. Ce qui devait être le point d’orgue romantique ne fait que rappeler en contrepoint cruel tout le charme de cette même idée en fin d’Everybody Says I love You de Woody Allen.

En bon représentant d'une forme de culture moderne selon laquelle toute ironie est un gage de qualité intellectuelle, la proposition de La La Land se résume à filmer une histoire triste avec un filtre Instagram acidulé donc ironique. Ca va cinq minutes, pas deux heures huit, d'autant que même la reflexion du film sur le combat entre les puristes et ceux qui transmettent leur passion en l'adaptant au goût du jour n'a aucun sens. Elle est tout simplement inepte dans la mesure où son intrigue donne raison à son personage de puriste, tout en faisant, en tant que film, très exactement l'autre choix. Le tout pour aboutir à un happy end de téléfilm de l’après-midi sur M6 sur le thème « si on croit en ses rêves, ça marchera ».  

Quand au bout de deux heures de mort cérébrale, on arrive justement à la conclusion, un laborieux montage en mode « et si ? » qui nous présente une autre version de l’intrigue, c’est pour finir sur un échange de regards doux amer les deux anciens amoureux, pour se dire, ça aurait pu marcher, mais tant pis, on a nos vies et on a concrétisé nos rêves. Sauf que Stone et Gosling jouent l’échange de regard de façon tellement caricaturale que la référence qui saute aux yeux est justement une parodie de ce type de scène, Looks, de Jimmy Fallon.

Tout ça pour ça… Si vous n’avez pas deux heures à perdre, je vous suggère de réécouter Salut les Amoureux de Joe Dassin. Même histoire et jolie mélodie aussi.

La minute sériephile : Face à ce délire de feignasserie, on se demande comment le réalisateur n'a pas demandé des prises supplémentaires avec plus d'émotion... Once more with feeling, comme l’épisode de comédie musicale de Buffy contre les Vampires. Là aussi plus court et mieux réussi que l’ensemble de La La Land.

La minute geek : silence radio sur ce coup…

mercredi 18 janvier 2017

Nocturnal Animals, le cinéma comme art décoratif



Le genre : le Doutage, un film de Mylenie de Gouinaloux
Sans surprise, le film de Tom Ford se fonde sur des images et des lumières bien pensées, frappantes et souvent magnifiques. Seulement voilà, Tom Ford n’est pas Chris Marker et une collection de belles images ne fait pas La Jetée 
La forte prétention esthétique de A Single Man était parfaitement justifiable, puisqu’elle épousait, littéralement, le point de vue du mourant qui regarde le monde pour la dernière fois avec émerveillement. Malheureusement, Nocturnal Animals ne fait qu’aligner les jolies vignettes bien jouées dans une construction boursouflée mêlant passé, présent et récit dans le récit.
Si certaines images sont à couper le souffle, Ford se contente trop souvent de multiplier des plans chics sans valeur dramatique, comme ses 250 scènes de douche et de pluie qui tombe et ses 152 levers de soleil dans le désert. Il fait aussi pas mal dans le symbolisme cheap, notamment avec son générique, qui, je suppose, veut dénoncer la tyrannie d’une beauté calibrée ou l’art contemporain. Ou peut-être les deux. Et entre temps, pour bien marquer les transitions entre les trois axes de son film, il colle et recolle des plans identiques d’Amy Adams qui hoquette de stupeur. Génial.
Un exercice de futilité, comme disent nos amis anglais
Pour donner un cachet intello à son ensemble bancal, Ford multiplie les appels du pied cinématographiques. Seulement voilà, montrer des freaks qui dansent  n’est pas faire du Lynch. Et là où Mulholland Drive recréait cette tenace et vague impression de familiarité impossible à définir que laisse le rêve, en utilisant quelques objets pour lier rêve et réalité, Ford nous inflige des rappels feignasses entre ses trois histoires, les corps allongés sur fond rouge, les cheveux roux, les fameuses scènes de douche…
Son film n’est pas non plus le polar hitchcockien qu’il tente de nous faire avaler avec ses plans à la Vertigo, sa musique (top, par ailleurs) et sa tentative de faire d’Amy Adams une héroïne hitchcockienne glacée. C’est bien simple, Adams n’est ni glacée ni glaçante, elle est totalement neutre et ne parvient absolument à susciter la moindre émotion, malgré son élégance. Son intrigue ne contient en outre ni enjeu, ni secret, ni même de véritable suspense.
Tout ça pour quoi ?
En ouvrant son film sur un plan tiré de l’histoire « réelle » mais dans lequel la Mercedes issue du récit dans le récit semble veiller, Ford ouvrait pourtant des pistes. Mais non, Ford a manifestement zappé cette idée qui ne revient absolument jamais. Assez vite, d’ailleurs, le film perd pied dans ses intrigues et se structure autour d’une opposition visuelle aussi jolie que vaine entre le réel, lumière terne, ambiance feutrée et solitude, puis la fiction, lumière chaude, poussière, sueur et dialogues musclés.
Bien joli, et incontestablement bien joué et réalisé, mais comme Ford ne sait au fond pas vraiment ce qu’il veut nous dire, le film ne décolle jamais. Et deux heures plus tard, il s’effondre péniblement avec une scène finale abrupte et inepte, sans apporter de conclusion à son intrigue. Tout ça pour ça… Une belle galerie d’images, mais pas un bon film.

La minute sériephile : quitte à passer du temps à s’extasier sur de l’accent traînant du Sud, de la chique, de la violence et de la misère humaine, autant voir Killer Joe, pour voir ce que c’est vraiment, l’élégance dans la saloperie.
La minute geek : dans tous les films et séries modernes, un truc me choque de plus en plus. Tous ces personnages réveillés de nuit par leur Iphone posé sur la table de nuit, PAS BRANCHES.  Là, évidemment, ça aurait fait désordre dans le plan parfait de Ford qu’Amy Adams s’emmêle dans le chargeur de son Iphone avant de lire ses mails, mais franchement, qui dort sans faire charger son téléphone ?





mercredi 28 décembre 2016

Rogue One: le réveil des sans-grades





Le genre : La guerre ? C'est une chose trop grave pour être confiée à des Jedis

Que ça fait du bien un Star Wars sans Jedi ! Sans ces hommes providentiels sentencieux et convaincus de la justesse de leurs actions, non pas au nom de la morale ou (surtout pas) du droit, mais du fait même de leur qualité de Jedi.


Que ça fait du bien aussi de voir que, pour une fois dans l’existence des Star Wars, le destin entier de la galaxie n'est pas de servir de chair à canon à ion dans le énième conflit générationnel de la famille Le Pen des étoiles. Qu'il est en fait possible d'écrire un film qui ne repose pas sur l’indépassable rivalité entre prolétaire des sables et « fils de » méchu, dualité qui construit entièrement les duos Anakin/Padme, Luke/Leia puis Rey/Kylo Ren.

Bad people in a bad place

Rogue One marque à ce titre un double tournant dans la franchise, dans la mesure où c’est à la fois le premier Star Wars à hauteur d’homme et le premier qui se dote d’un enjeu dramatique intéressant. N’étant pas issus des illustres lignées Skywalker/Amidala/Solo, les héros sont ici mortels, et vont certainement mourir, eux. Certainement pas au cours d'un duel shakespearien mais plutôt anonymement.

Pour chacun, la question est plutôt de savoir au nom de quoi ils vont mourir. Ce n’est pas une histoire de destin mais une histoire de choix, de circonstances, de vies ratées, d’ambitions frustrées  et, surtout, de colère, un truc pas du tout Jedi. Somme toute une histoire très humaine.

Chacun à un (mauvais) motif pour se battre et se fout éperdument des motivations de son camp et de sa « cause ». C’est valable tant du côté de Krennic, un administrateur civil qui souhaite briller dans un univers militariste, que de celui de Cassian Andor, qui se bat par vengeance et parce qu’il ne connaît que la violence, ou de celui Saw Guerrera, pour qui la rebellion est le vernis d'une violence très radicale.
Même le seul suivant de la Force, Chirrut, n’est pas un Jedi et ne tient pas ses compétences de la Force en soi, mais de l’acuité de ses sens, ce que montre clairement (avec un effet bien clichouillle) la construction de sa première scène de combat. Semi-clodo, il embrasse cette cause, animé par la volonté pathologique d’être, enfin, distingué par cette Force en laquelle il croit mais qui n’a toujours fait de lui qu’un larbin. Il mourra comme les autres, ni plus bêtement, ni plus héroïquement, abattu dans la mêlée.

La guerre, toujours la guerre

En adoptant le point de vue de ceux qui meurent dans la boue, Rogue One sort de l’angélisme et du manichéisme basique des Star Wars pour offrir une vision plus nuancée et poser, entre autres, la question de la légitimité des actions de l'Alliance, notamment les assassinats et exécutions sommaires de civils. L'Empire se dote lui aussi d'une ligne politique plus complexe, justifiant l'emploi d'une arme de destruction massive comme moyen ultime de finir cette guerre et donc de sauver des vies, un des éléments de la doctrine US qui a justifié le bombardement d'Hiroshima.
Par une myriade de plans, de bribes de dialogues, de positions physiques des acteurs et de cris de douleur, le film redonne aussi leur humanité aux Stormtroopers, soldats aussi paumés que les rebelles, pas précisément présentés comme des grands humanistes, Cassian en tête. Les héros de Rogue One, ce sont tous ceux qui meurent sans se poser de question, et pour une fois pas ceux qui envoient des flottes au combat pour régler une bataille personnelle.
Rogue One traite d'ailleurs les batailles comme un film de guerre, caméra à l’épaule, pour des scènes à la fois maitrisées et brouillons, héroïques et dérisoires, dans la fumée, le sang et la sueur. A Jedha ou Scarif, ce n'est pas le combat des forces du bien et du mal, c’est tout simplement une guerre qui se livre avec des dizaines, des centaines de morts chaque jour. Un thème en général joyeusement évité par la saga qui a toujours opté pour les droïdes, clones et combats spatiaux pour déshumaniser la guerre.

En bref

Longuet dans son exposition, mais dégagé de ses ncombrants héros Jedis, Rogue One est efficace visuellement, sale comme la guerre qu’il décrit et quasiment tragique au sens grec, avec sa bande de héros qui pensent sérieusement à 5 changer la galaxie et s’en sortir. Pour moi le seul film de l’univers Star Wars récent réussi narrativement. 


Du point de vue de la continuité, Rogue One insère habilement ses losers magnifiques et anonymes, en finissant son histoire quelques heures avant le début de Star Wars IV, ce qui permet des apparitions fugaces de Leia (jolie insertion digitale d'une Carrie Fisher jeune et de Peter Cushing) et surtout d’un Vador bad ass classique, où l'on retrouve la puissance évocatrice du tout premier Star Wars quand on entend juste ses pas dans l'obscurité, puis sa respiration, avant de le découvrir éclairé par son sabre (sa scène de dialogue, en revanche, longuette et peu fidèle au personnage, n’apporte pas grand-chose au film).


Sans en abuser, les Star Wars stories semblent être un filon à creuser dans un univers riche de possibilités plus intéressantes que la soupe pompeuse et sans originalité servie sans complexe depuis 5 films.

La minute geek : au fond, c’est logique que ce film-là me plaise, puisque c’est le pendant ciné du jeu vidéo Star Wars Battlefront, le premier à offrir d'être un troufion lambda, blaster à la main dans le chaos de la guerre et impuissant face aux Jedis et aux machines de guerre. Et si je trouve que le dernier Battlefront est un affreusement décevant, Battlefront II reste le jeu auxquel j’ai joué le plus pour le pur et simple fun.

La minute sériephile : Alan Tudyk, qui joue le C3PO de service dont le nom m’échappe (K9B6 ? X7T4 ? On s’en fout…) est évidemment de pilote du Serenity dans la série culte Firefly, qu’on ne mentionne jamais assez. Une idée absurdement réussie de traiter littéralement l’espace comme un nouveau Far West et un condensé remarquable de l’univers de Whedon.


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Ceci étant dit, prenons un peu de hauteur

Pourquoi Star Wars déteste-t-il autant la démocratie ?

La mission des héros malgré eux de ce film n’a pas l’aval des autorités rebelles élues, d’où le titre. Elle s’avère efficace et justifiée a posteriori, mais n'en reste pas moins illégitime. Encore un Star Wars qui s’appuie cette idée lancinante et bien ancrée depuis la seconde trilogie que la démocratie est un truc de lavette qui ne permet pas d'accomplir quoi que ce soit.

Si l’on suit la chronologie des faits, la République n’a pas su enrayer la montée de l’Empire, parce qu’au fond, il fallait péter physiquement la gueule de Palpatine, pas le combattre politiquement. Elle ne doit ensuite sa brève survie qu’à la commande en scred par un Jedi d’une armée entière sans aval du Sénat.


Puis la volonté de recherche d'un consensus entre les leaders rebelles conduit à l’inaction donc à la mort dans Rogue One. Et après leur éphémère victoire de Star Wars VI, les rebelles, ces affreux gauchistes bavards, se refont péter la gueule par un Second Ordre moins porté sur la discussion que sur l’action lourdement armée dans le VII. Et à chaque fois que les rebelles s’en sortent, c’est bien parce qu’un homme providentiel, poussé par une revelation religieuse, a relevé ses manches pour agir par la violence.

Je ne pense pas que Star Wars, en tant que tel, véhicule un message politique quel qu’il soit. Mais je constate que le film, cette fois-ci encore,  s’inscrit parfaitement dans la mystique américaine, et maintenant mondiale, du surhomme qui méprise la politique et « does the right thing », celui qui pose ses couilles sur la table et ne bavasse pas, de Jack Ryan à Frank Underwood, de Batman à Jack Bauer, voire à la reine Elizabeth dans The Crown 

Je ne sais pas lequel est la poule et lequel est l’œuf, entre cette culture populaire infusée par le concept de l’inefficacité foncière de la politique et la montée du scepticisme quant à la valeur de la démocratie.  Mais il serait peut-être temps que les grands producteurs de contenus massivement regardés se demandent, plus que les médias d’information, quel rôle ils jouent dans la construction de l'opinion.