Le genre :
exploration de la bêtise avant l’apparition des commentaires du Figaro en ligne
Bouvard et Pécuchet, c’est le roman de Flaubert sur les
idées reçues, la bêtise et le bon sens des gens bien. C’est la rencontre
solaire entre deux losers persuadés que si leur génie ne s’est pas exprimé, c’est
qu’on ne leur en a pas donné l’occasion. Pas mal intentionnés, mais persuadés d’avoir
un intellect plus affûté que la moyenne, comme ces retraités qui passent leur
journée à expliquer dans les commentaires des articles en ligne comment il
faudrait gouverner la « pauvre France ».
Qu’en fait le Lucernaire ? Une pièce rythmée, qui donne un point de vue tendre et moqueur sur ces deux personnages
médiocres mais attachants. L’un des intérêts de ce théâtre vient des deux
contraintes qu’il fait porter à ses metteurs en scène : des pièces courtes,
puisque la salle doit pouvoir tenir deux représentations par soir, et des
décors très simples, faute de moyen et de place.
Vincent Colin s’en tire avec les honneurs, et réduisant son
décor à une table et deux portants de vêtements. Avec peu d’accessoires, mais
des bonnes idées de sons et de lumières, il laisse à ses deux excellents comédiens,
Roch-Antoine Albaladejo et Philippe Blancher, doués d’un sens du burlesque
indéniable, le soin de recréer les
ambiances, du restaurant de quartier à l’orage en passant par le dîner de
notables de province. Seul point qui me laisse sceptique, les petits numéros
musicaux, à mon avis un peu inutiles, le comique du texte n’est pas là.
Peu importe, les deux acteurs mettent une énergie admirable dans les
préoccupations absurdes de leurs deux ratés, de l’agronomie à la politique en
passant par l’amour, et emportent la pièce avec eux.
Le texte, justement, est assez finement adapté, mélangeant
du jeu pur et la lecture des scènes clés. La précision des scènes écrites par
Flaubert lues et ce mélange, notamment celle de la rencontre, fait d’ailleurs
immanquablement penser à l’ouverture / clôture d’Amélie Poulain, qui avait retenu le même procédé avec la voix-off
de d’André Dussolier. L’ensemble peut paraître un peu décousu, mais c’est aussi
le sel du roman, ce passage effréné d’une passion à l’autre, ce désir fou de
trouver dans quel domaine on est génial en les essayant tous, sans jamais
persévérer ni suivre une vocation.
Le propos en est d’actualité,
probablement aujourd’hui plus encore qu’à l’époque où Flaubert écrit. On y
retrouve notre travers moderne de tout vérifier, de compulser Wikipédia, de
vouloir tout savoir et faire référence immédiatement aux autorités pour avoir
raison, puisque tout est à portée de smartphone. On y voit surtout l'incompatibilité de ce savoir encyclopédique au monde réel.
Il est difficile de savoir ce que Flaubert avait réellement
en tête, puisque sous sa forme actuelle le roman n’est que la première partie
du plan envisagé par l’auteur. Il est clair que Flaubert voulait déverser sa
haine de la vanité et de la bêtise de ses contemporains. la pièce est peut-être un peu plus tendre que lui, puisque je retiens,
au-delà de toutes ses tentatives pathétiques, l’histoire d’amitié qui est en
filigrane. Certes, Bouvard comme Pécuchet sont des êtres médiocres et
ridicules. Mais ils étaient seuls, ils ne le sont plus.
Une pièce enlevée, drôle et courte. Bon moyen de ramener des
allergiques à la littérature classique vers le théâtre. Bon prétexte aussi pour une
pinte ou deux au bar du Lucernaire avant et après la pièce.
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