Attention, cette critique est, comme toujours, bouffie de spoilers.
Et ben voilà ! C’est pas compliqué de faire une bonne saison de Game of Thrones, et c’est franchement bienvenu, après deux saisons très décevantes dans leur rythme comme dans leurs intrigues. Le regain d’intérêt et de qualité de la saison 6 est clairement lié à la liberté qu’ont retrouvée ses créateurs par rapport au matériau original. Maintenant que la série n’a plus les mains liées par le rythme d’écriture de George, elle a enfin repris son rythme et son souffle, car elle sait de nouveau dans quelle direction elle va.
Ce qui se ressent très clairement tout au long d’une saison qui retrouve une unité que les saisons 4 et 5 avaient perdu. Cette saison, toutes les intrigues sont enfin de nouveaux liées, sinon à un enjeu principal (il y en deux), au moins à un thème central, celui de la naissance comme légitimité du pouvoir. C’est le thème qui réunit Daenerys, Jon Snow et Cersei : cette infatigable croyance qui les anime tous les trois, et qu’aucun ne remet jamais en question, à savoir que le pouvoir leur est dû de naissance, y compris si l’on est une femme.
Dis moi comment tu es devenu roi, je te dirai qui tu es
Chacun des trois va au cours de la saison développer trois approches différentes de cette conception qu’il partage. Daenerys incarne, littéralement le pouvoir, et ne perçoit d’ailleurs son corps et ses sentiments que comme adjuvants de sa fonction, comme elle l’explique. Elle se mariera uniquement pour souder ses alliances, comme elle l’avait fait avec Drogho. Daenerys estime que le pouvoir lui est dû, mais elle y sacrifie tout, par sens de sa mission. Haineuse des Maîtres, mais estimant avoir le droit, de naissance, de régner et de décider du sort des hommes libres, Daenerys c’est une conception de droit divin du pouvoir, animée d’une volonté de progrès.
A l’inverse du spectre, Cersei recherche une forme de pouvoir absolu pour se défendre du destin, tout en étant persuadée qu’elle ne peut y échapper. Son personnage évolue vers une folie de plus en plus médéenne, qui cherche le pouvoir non pour régner sur mais contre le monde. En ne faisant du pouvoir que l’instrument de sa défense, sans autre considération, elle sème le chaos et précipite la mort de son 3ème enfant, qu’elle prétendait protéger. Négatif de Daenerys, elle estime que sa situation personnelle, en tant que femme et en tant que Lannister, justifie son règne, puisque le monde n’a pas d’importance, comme elle le dit à Jaime.
Il y a enfin Jon, qui se sait mauvais leader, assassiné par ses propres hommes, mauvais politique et mauvais tacticien, comme la réalisation paniquée de l’épisode 9 le prouve magistralement (très réussie, soit dit en passant). Son pathétique plaidoyer d’avant bataille montre bien toute son arrogance, c’est sur un succès passé qu’il fonde sa légitimité, quelles que soient les circonstances présentes. Mais il s’en fout, c’est un Stark, même bâtard, et un homme. Et il n’a même pas un mouvement de gêne quand il est acclamé roi à la place de sa sœur, à qui il vient d’admettre qu’elle avait tout compris contrairement à lui. Jon ne veut pas le pouvoir en soi, mais estime toujours qu'il le mérite malgré tout.
Le pouvoir héréditaire vécu comme une responsabilité envers les autres, comme une arme ou comme une récompense. Malgré son côté fantastique, la série, en explorant ces thèmes, présente une réflexion au fond de plus en plus aboutie sur la nature et la légitimation du pouvoir. En cela elle finit par rejoindre en qualité Battlestar Galactica, même si elle pose un questionnement plus général que Galactica, qui s'interrogeait avant tout sur la légitimité de la démocratie face à une crise majeure.
Quasiment tout le reste de la saison se rattache à ces questions d’une façon ou d’une autre de l’implacable badass Lady Mormont et sa rhétorique très franche et si proche de celle d’Olenna Tyrell, à la montée en puissance de Asha Greyjoy, qui se comporte en homme, même au lit (je trouve qu'un faire une lesbienne butch est un peu lourdaud, soit dit en passant).
Même des intrigues secondaires, comme l’histoire qui pourrait se dessiner entre Brienne et Jaime, se teintent d’une mélancolie de ceux qui se sentent destinés non à régner mais à servir, malgré leurs aspirations et leurs désirs, Tyrion et Jorah les premiers.
1 episode,1 chapitre
En sortant du rythme de Martin, la série a également cassé sa structure narrative habituelle, ce qui était plus que nécessaire. Un rythme mieux réparti sur la saison, avec des révélations et actions déterminantes tout du long, sans trop de longueurs aux épisodes 5,6 et7, habituellement épouvantablement vides, pour préparer le final.
Et cette année, si le final épique attendu est bien dans l’épisode 9, l’épisode 10 le dépasse largement en folie et en surprise. Ne serait-ce que par sa rupture musicale avec ce thème au piano pendant que le plan de Cersei se met inexorablement en place.
Ce dernier épisode se conclut par quelques regards éloquents. Celui que Jamie lance à Cersei, ceux qu’échangent Littlefinger et Sansa pendant le couronnement de Jon… Tous ces regards des personnages qui comprennent qu’ils ont misé sur le mauvais cheval et que rien ne peut changer s’ils ne reprennent pas les choses en main.
Ce renversement du fort et du bien né par le plus habile au pouvoir, y compris les mal nés des grandes familles, Tyrion et les femmes, ce serait probablement le plus intéressant des basculements de la série : la montée en grade de ceux qui vont peut-être enfin prendre le pouvoir non parce qu’ils estiment qu’ils y ont droit, mais parce qu’ils sentent qu’il est juste de le prendre non pour soi mais pour les autres.
Un petit bémol tout de même : l’histoire d’Arya est quand même férocement incohérente. Que les Sans Visages la laissent repartir comme ça, après le meurtre d’un des leurs me semble à peu près aussi réaliste que Daesh qui laisse repartir ses recrues qui trouvent que, toute compte fait, Raqqa c’est un peu la zone. Le premier meurtre d'Arya est d'ailleurs une totale violation des préceptes du culte (à savoir ne jamais tuer par haine ou pour un gain personnel). Ils sont donc quand même bien arrangeants avec elle.
Si Arya est bien vivante, alors dans ce cas, ce show nous a fait nous réjouir qu’une fillette de 14 ans n’ait fait manger ses propres fils à un homme avant de l’égorger. Ce qui est un peu inquiétant du point de vue de la santé mentale, la sienne et la nôtre. Je rappelle à toutes fins utiles que c’est précisément cet acte qui a amené la malédiction sur la familles des Atrides, ce qui, dans une série aussi portée par le symbolisme et les mythes classique, n’est pas vraiment anodin et pas précisément bon signe pour les derniers Starks.
Il y en a en revanche une deuxième option que je trouve plus séduisante et plus cohérente, c’est l’idée selon laquelle Arya est morte, puisque la lumière opportunément éteinte avant le combat ne permet pas foncièrement de se prononcer sur qui a tué qui, pas plus que le masque sanglant (dont les yeux saignent, ce qui symboliquement marque plus Arya que son adversaire).
Quand l'homme sans visage dit qu'elle est enfin devenue personne, il s'adresserait donc plutôt à l'autre assassine qui, en tuant Arya et en devenant Arya a fini son initiation et part pour sa première mission.
Dans ce cas, il est envisageable que les Sans Visages aient décidé de rayer un nom de la liste d'Arya, selon leur règle d'une vie pour une vie, ce qui est une peu plus cohérent par rapport à leur philosophie. Ou simplement qu'ils aient rempli un contrat sur Frey, éventuellement lancé par Jaime qui n'a pas dissimulé son mépris pour Frey, et qui, rappellons-le, est blindé. En le collant sur le dos d'Arya pour se dissimuler, ce qui est là aussi plus cohérent avec ce qu'on sait de leurs méthodes.
Ah si, un deuxième petit bémol : je suppose que la mort de Rickon Stark aurait pu être un moment d’émotion, si les 4 saisons précédentes ne nous avaient pas totalement fait oublier son existence.
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