mercredi 28 décembre 2016

Rogue One: le réveil des sans-grades





Le genre : La guerre ? C'est une chose trop grave pour être confiée à des Jedis

Que ça fait du bien un Star Wars sans Jedi ! Sans ces hommes providentiels sentencieux et convaincus de la justesse de leurs actions, non pas au nom de la morale ou (surtout pas) du droit, mais du fait même de leur qualité de Jedi.


Que ça fait du bien aussi de voir que, pour une fois dans l’existence des Star Wars, le destin entier de la galaxie n'est pas de servir de chair à canon à ion dans le énième conflit générationnel de la famille Le Pen des étoiles. Qu'il est en fait possible d'écrire un film qui ne repose pas sur l’indépassable rivalité entre prolétaire des sables et « fils de » méchu, dualité qui construit entièrement les duos Anakin/Padme, Luke/Leia puis Rey/Kylo Ren.

Bad people in a bad place

Rogue One marque à ce titre un double tournant dans la franchise, dans la mesure où c’est à la fois le premier Star Wars à hauteur d’homme et le premier qui se dote d’un enjeu dramatique intéressant. N’étant pas issus des illustres lignées Skywalker/Amidala/Solo, les héros sont ici mortels, et vont certainement mourir, eux. Certainement pas au cours d'un duel shakespearien mais plutôt anonymement.

Pour chacun, la question est plutôt de savoir au nom de quoi ils vont mourir. Ce n’est pas une histoire de destin mais une histoire de choix, de circonstances, de vies ratées, d’ambitions frustrées  et, surtout, de colère, un truc pas du tout Jedi. Somme toute une histoire très humaine.

Chacun à un (mauvais) motif pour se battre et se fout éperdument des motivations de son camp et de sa « cause ». C’est valable tant du côté de Krennic, un administrateur civil qui souhaite briller dans un univers militariste, que de celui de Cassian Andor, qui se bat par vengeance et parce qu’il ne connaît que la violence, ou de celui Saw Guerrera, pour qui la rebellion est le vernis d'une violence très radicale.
Même le seul suivant de la Force, Chirrut, n’est pas un Jedi et ne tient pas ses compétences de la Force en soi, mais de l’acuité de ses sens, ce que montre clairement (avec un effet bien clichouillle) la construction de sa première scène de combat. Semi-clodo, il embrasse cette cause, animé par la volonté pathologique d’être, enfin, distingué par cette Force en laquelle il croit mais qui n’a toujours fait de lui qu’un larbin. Il mourra comme les autres, ni plus bêtement, ni plus héroïquement, abattu dans la mêlée.

La guerre, toujours la guerre

En adoptant le point de vue de ceux qui meurent dans la boue, Rogue One sort de l’angélisme et du manichéisme basique des Star Wars pour offrir une vision plus nuancée et poser, entre autres, la question de la légitimité des actions de l'Alliance, notamment les assassinats et exécutions sommaires de civils. L'Empire se dote lui aussi d'une ligne politique plus complexe, justifiant l'emploi d'une arme de destruction massive comme moyen ultime de finir cette guerre et donc de sauver des vies, un des éléments de la doctrine US qui a justifié le bombardement d'Hiroshima.
Par une myriade de plans, de bribes de dialogues, de positions physiques des acteurs et de cris de douleur, le film redonne aussi leur humanité aux Stormtroopers, soldats aussi paumés que les rebelles, pas précisément présentés comme des grands humanistes, Cassian en tête. Les héros de Rogue One, ce sont tous ceux qui meurent sans se poser de question, et pour une fois pas ceux qui envoient des flottes au combat pour régler une bataille personnelle.
Rogue One traite d'ailleurs les batailles comme un film de guerre, caméra à l’épaule, pour des scènes à la fois maitrisées et brouillons, héroïques et dérisoires, dans la fumée, le sang et la sueur. A Jedha ou Scarif, ce n'est pas le combat des forces du bien et du mal, c’est tout simplement une guerre qui se livre avec des dizaines, des centaines de morts chaque jour. Un thème en général joyeusement évité par la saga qui a toujours opté pour les droïdes, clones et combats spatiaux pour déshumaniser la guerre.

En bref

Longuet dans son exposition, mais dégagé de ses ncombrants héros Jedis, Rogue One est efficace visuellement, sale comme la guerre qu’il décrit et quasiment tragique au sens grec, avec sa bande de héros qui pensent sérieusement à 5 changer la galaxie et s’en sortir. Pour moi le seul film de l’univers Star Wars récent réussi narrativement. 


Du point de vue de la continuité, Rogue One insère habilement ses losers magnifiques et anonymes, en finissant son histoire quelques heures avant le début de Star Wars IV, ce qui permet des apparitions fugaces de Leia (jolie insertion digitale d'une Carrie Fisher jeune et de Peter Cushing) et surtout d’un Vador bad ass classique, où l'on retrouve la puissance évocatrice du tout premier Star Wars quand on entend juste ses pas dans l'obscurité, puis sa respiration, avant de le découvrir éclairé par son sabre (sa scène de dialogue, en revanche, longuette et peu fidèle au personnage, n’apporte pas grand-chose au film).


Sans en abuser, les Star Wars stories semblent être un filon à creuser dans un univers riche de possibilités plus intéressantes que la soupe pompeuse et sans originalité servie sans complexe depuis 5 films.

La minute geek : au fond, c’est logique que ce film-là me plaise, puisque c’est le pendant ciné du jeu vidéo Star Wars Battlefront, le premier à offrir d'être un troufion lambda, blaster à la main dans le chaos de la guerre et impuissant face aux Jedis et aux machines de guerre. Et si je trouve que le dernier Battlefront est un affreusement décevant, Battlefront II reste le jeu auxquel j’ai joué le plus pour le pur et simple fun.

La minute sériephile : Alan Tudyk, qui joue le C3PO de service dont le nom m’échappe (K9B6 ? X7T4 ? On s’en fout…) est évidemment de pilote du Serenity dans la série culte Firefly, qu’on ne mentionne jamais assez. Une idée absurdement réussie de traiter littéralement l’espace comme un nouveau Far West et un condensé remarquable de l’univers de Whedon.


*****
Ceci étant dit, prenons un peu de hauteur

Pourquoi Star Wars déteste-t-il autant la démocratie ?

La mission des héros malgré eux de ce film n’a pas l’aval des autorités rebelles élues, d’où le titre. Elle s’avère efficace et justifiée a posteriori, mais n'en reste pas moins illégitime. Encore un Star Wars qui s’appuie cette idée lancinante et bien ancrée depuis la seconde trilogie que la démocratie est un truc de lavette qui ne permet pas d'accomplir quoi que ce soit.

Si l’on suit la chronologie des faits, la République n’a pas su enrayer la montée de l’Empire, parce qu’au fond, il fallait péter physiquement la gueule de Palpatine, pas le combattre politiquement. Elle ne doit ensuite sa brève survie qu’à la commande en scred par un Jedi d’une armée entière sans aval du Sénat.


Puis la volonté de recherche d'un consensus entre les leaders rebelles conduit à l’inaction donc à la mort dans Rogue One. Et après leur éphémère victoire de Star Wars VI, les rebelles, ces affreux gauchistes bavards, se refont péter la gueule par un Second Ordre moins porté sur la discussion que sur l’action lourdement armée dans le VII. Et à chaque fois que les rebelles s’en sortent, c’est bien parce qu’un homme providentiel, poussé par une revelation religieuse, a relevé ses manches pour agir par la violence.

Je ne pense pas que Star Wars, en tant que tel, véhicule un message politique quel qu’il soit. Mais je constate que le film, cette fois-ci encore,  s’inscrit parfaitement dans la mystique américaine, et maintenant mondiale, du surhomme qui méprise la politique et « does the right thing », celui qui pose ses couilles sur la table et ne bavasse pas, de Jack Ryan à Frank Underwood, de Batman à Jack Bauer, voire à la reine Elizabeth dans The Crown 

Je ne sais pas lequel est la poule et lequel est l’œuf, entre cette culture populaire infusée par le concept de l’inefficacité foncière de la politique et la montée du scepticisme quant à la valeur de la démocratie.  Mais il serait peut-être temps que les grands producteurs de contenus massivement regardés se demandent, plus que les médias d’information, quel rôle ils jouent dans la construction de l'opinion.

lundi 14 novembre 2016

Pourquoi Black Mirror s’est perdu en allant sur Netflix


Résultat de recherche d'images pour "black mirror"


En étant racheté par Netflix, l’excellente et terrifiante série Black Mirror, qui nous mettait face aux dangers de notre usage des nouvelles technologies a gagné en budget et en longueur, en passant de 3 à 6 épisodes par saison, et certainement un rythme annuel, là où la saison anglaise est une unité de mesure plus narrative que strictement temporelle. Le créateur de Black Mirror explique à longueur d’interviews que cette évolution lui permet de varier les plaisirs, d’explorer des territoires nouveaux (la romance, l’action, le thriller).

Sur le papier, pourquoi pas, mais est-ce franchement servir le propos de la série ? Malheureusement pas. Six épisodes, six arguments.

Chute libre

Peut-être le seul épisode de la saison qui vaille vraiment le coup, une réflexion qui vire du rose-bonbon au noir sur l’importance que prend le storytelling de nos vies sur les réseaux sociaux, au point de changer nos comportements et donc de modifier la société dans son ensemble. Dommage que l’élection de Trump tende plutôt à prouver exactement l’inverse, à savoir que les réseaux sociaux ne policent pas la société, mais au contraire augmentent les tensions sociales.

Playtest

Une vision noire de ce que pourrait devenir le jeu vidéo en devenant de plus en plus immersif. Je n’adhère pas trop à la partie film d’horreur, qui est un genre que je n’apprécie pas particulièrement, mais c’est justifiable sur la forme comme sur le fond, qui est valable. Cheap, mais pourquoi pas.

Tais-toi et danse

Que feriez-vous si on menaçait de divulguer vos secrets à vos contacts ? Certainement pas la moitié de ce qui se passe dans cet épisode bancal et dont, au fond, on ne voit pas précisément où il veut en venir, dans la mesure où les secrets en question sont plutôt des vrais crimes. La vraie question à poser elle était sur le curseur entre nos pensées réelles et notre personnage social et ce qu’on est prêt à faire pour protéger le second. Mais non, cet épisode tient plutôt du remake 2.0 pas terrible de Phonebooth en raté (en même temps, Phonebooth était déjà raté, c’est pas très compliqué).

San Junipero

Le seul épisode que j’ai vraiment aimé est également le seul qui donne le sourire. Même si au fond, ce n’est pas vraiment un épisode de Black Mirror, mais passons. Quel rapport avec notre relation à la technologie ? Aucun, tant la technologie présentée ici serait le choix évident de tout le monde. Là encore, la question à traiter était l’au-delà religieux contre l’au-delà techno présentée dans cet épisode. La croyance spirituelle contre la jouissance individualiste. Et même si l’épisode m’a plu, il n’offre aucune piste valable de réflexion. On sent bien qu’il a fallu se torturer l’esprit pour sortir un épisode positif et casser l’image de la série. Mais pourquoi faire ?

Tuer sans état d’âme

De la SF cheap sur le soldat parfait. L’hypothèse de base de cet épisode serait certainement intéressante si elle n’était pas déjà le socle du (mauvais) film La 5ème vague. Le tournage dans les conifères canadiens rappellent furieusement la SF à petit budget des 90’s (X-Files, Au-delà du Réel et Stargate en tête). C’est peut-être un hommage mais en tout cas, cet épisode n’a quasiment aucun intérêt. Sauf bien sûr si dans la vie de tous les jours, au lieu de jouer à Candy Crush, vous préparez une guerre civile.

Haine virtuelle

Un épisode de CSI : Cyber, en moins réaliste (si, si, je vous assure) sur fond de réseaux sociaux et d’abeilles drones tueuses… Mal mené, cousu de fil blanc et avec quoi à dire ? Que les gens sont méchants sur les réseaux sociaux et pensent que leurs paroles n’ont pas de conséquences ? Wow, merci Black Mirror.

Verdict : non, ça n’est pas une bonne chose. Paradoxalement, la liberté créative de la série et ses nouveaux champs d’exploration lui ont fait totalement perdre son objet, à savoir le rapport intime, beaucoup trop intime, justement, que nous entretenons avec nos téléphones et nos réseaux sociaux.

En sortant de son esthétique très ancrée dans le quotidien, Black Mirror perd son effet coup de poing, et oublie le malaise qu’elle entretenait chez le spectateur, pour le mettre plutôt face à des situations de SF plus classique, un champ déjà très largement exploré.

Comme trop de séries, Black Mirror est victime de son succès qui exige des nouveaux épisodes, là où elle n’avait manifestement déjà plus grand-chose à dire. Toujours agréable à regarder, mais Black Mirror vient de basculer de la série qu’on attend à la série qu’on ne zappe pas si on tombe dessus par hasard.

C’est ballot, il y avait pourtant un bon épisode à faire sur comment Netflix banalise la politique et en fait une question de personne uniquement, via House of Cards, Marseille ou même The Crown. Comment un éditeur de contenus, réputé progressiste et cool est très gentiment en train de façonner dans l’esprit de plusieurs générations cette idée qu’il est normal de ne pas raisonner politiquement sur la justesse des programmes mais plutôt sur les qualités qu’on apprécie chez les personnes, puisque la politique ne sert à rien.
Mais bon, quelque chose me dit que Netflix ne va pas s’aventurer sur ce terrain...

vendredi 26 août 2016

Star Trek Beyond, digne de la Trilogie du Samedi





Le genre : cette fois-ci, j’ai bien cru qu’on allait y rester, capitaine


Soyons, honnête, ce troisième film de la nouvelle franchise Star Trek se regarde plutôt bien. Du divertissement d’été, plutôt habile dans sa réalisation quoique totalement creux.


Le nouveau réalisateur Justin Lin, issu de l’immortelle saga Fast and Furious, ne cherche plus à établir la mythologie, mais simplement à en faire tourner les éléments déjà posés. Le film suit donc une trame très standard d’épisode de série SF : le vaisseau, et la galaxie, sont en péril, l’équipage se se tire systématiquement à la dernière seconde des dangers les plus improbables et sauve le monde en bricolant une solution technique à laquelle personne n’avait pensé. 

Dans son cadre spatial, Star Trek Beyond est même à vrai dire fidèle à l’esprit de la série originale, en se déroulant pour la majeure partie au sol avec un équipage réduit, plutôt que dans l’espace à faire du combat à gros effets spéciaux. Mais à force de tout miser sur cette fidélité, le film offre au fond peu de réel suspens et quasiment aucun enjeu dramatique. Et ne me dites pas que la destruction du vaisseau est originale, l’Enterprise a déjà été détruit deux fois au cinéma.

Beyond tient ainsi plus de l’épisode de série à grand spectacle que du film et n’est qu’une aventure parmi d’autres du vaisseau. Ce qui est d’autant plus dommage que le dialogue d’ouverture se veut un clin d’œil ironique au matériau d’origine, quand le capitaine Kirk se lamente sur ce caractère finalement routinier (episodic, dit-il en anglais pour faire du LOL à peu de frais) de leurs aventures spatiales.

Et pourtant, du spectacle, il y en a, indubitablement. Justin Lin appréhende même ses grandes scènes d’action avec des idées plus originales qu’Abrams, pour un résultat plus abouti. Que ce soit dans le vaisseau en flammes ou dans sa cité escherienne de Yorktown (très belle réussite visuelle), il est très à aise et joue avec une certaine élégance de son espace sans pesanteur. C’est un peu plus malin que la débauche habituelle de flares d’Abrams. Même son utilisation des Beastie Boys, dont il fait un élément clé de l’intrigue, certes un peu téléphoné, est infiniment plus drôle que celle d’Abrams.

Tout ça ne vient malheureusement pas rattraper le traitement très superficiel des personnages... Suivant le syndrome Petits Mouchoirs, chaque personnage gagne une scénette pour creuser sa psychologie : Kirk est accro à l’action, Spock embrasse son humanité à coups de blagues nazes, Chekov est un queutard lourdingue, Sulu est gay et ainsi de suite... Par parenthèse, la scène sur Sulu dresse surtout le portrait d’un mec qui n’embrasse pas son mari qu’il n’a pas vu depuis deux ans, mais bon, il ne faut pas charrier non plus, le film ne voulait pas avoir le label « On est envahi de gays » de  Boutin.

Il est un brin dommage de gommer tout le fond Star Trek et sa véritable réflexion sur la différence culturelle, le droit multilatéral ou la notion d’humanité pour se concentrer sur la recette de ses épisodes les moins intéressants. Je reste dans l’ensemble un peu perplexe devant ce total manque d’ambition, surtout face aux qualités d’écriture dont Abrams avait fait montre pour appuyer sa franchise sur un concept nouveau qui n’était ni une suite ni un reboot. Mais bon, c’est pas tout ça, cette série de films ne cherche qu’une chose, transformer un produit nerd en produit grand public cool pour préparer le terrain de la nouvelle série. C’est triste, mais je suppose que c’est réussi.


La minute de guéguerre : les dialogues grotesques de Krall, entre formules pompeuses et manichéisme de bazar sonnent furieusement Star Wars. C’est à se taper la tête contre les murs quand on connaît la richesse des thématiques que Star Trek a pu aborder dans ses séries : la légitimité de l’ingérence au nom du progrès civilisateur, la difficulté de réconcilier les peuples après les accords de paix, l’intégration sociale de cultures différentes dans un cadre légal commun, le droit à l’autodétermination des intelligences artificielles dès lors qu’elles sont conscientes d’elles-mêmes…



lundi 8 août 2016

Jason Bourne : une troublante réflexion sur la standardisation du divertissement













Genre: Previously in Jason Bourne...


Avec Jason Bourne, plan par plan, Paul Greengrass, nous propose un film rigoureusement identique au premier film de la série Bourne. C'est déroutant au début, mais finalement fascinant.
Exploration troublante,et reflexion passionnante, le film se demande s'il existe en tant qu'objet culturel en soi, ou uniquement comme résultante d'un autre film, dont il est pourtant l'exact clone. C'est le même film, mais peut-on vraiment dire que c'est vraiment le même film ? Clairement dans la veine de Pierre Menard, auteur du Quichotte, de Borges, Paul Greengrass pousse en réalité l'abstraction encore plus loin que le vieux maître argentin, et nous propose malicieusement par son film un "Don Miguel de Cervantes, auteur du Quichotte"


A moins bien sûr que ce ne soit tout simplement le film plus incroyablement feignasse de ces dernières années. Pas un début de commencement de volonté de changer quoi que ce soit à une franchise qui marche, ni dans l'intrigue, ni dans la photo, ni dans le jeu, ni dans la realisation...
Jason Bourne est, comme toujours, recherché à la fois par des méchants de la CIA enfermés dans une salle de contrôle et par un méchant tueur à gage sur le terrain, il y a des scènes d’actions en Europe, des chambres d'hôtel sordides, des poursuites en voitures et des bastons. A la fin, Jason Bourne est à Washington ou il s'explique avec les méchants de Washington, avant de disparaître à nouveau sur Extreme Ways de Moby. Rien de nouveau sous le soleil, à un point qui frise le TOC.


Ici et là, un soupçon de mise en garde contre les dangers des réseaux sociaux, une grosse convention tech, un brin d’émeutes à Athènes et de Wikileaks, le tout pour coller à l’actualité et suivre à la lettre cahier des charges d’action « réaliste » des Bourne, et le tour est joué.


L’intrigue ne vous fera pas mal à la tête, et les scènes d’actions sont efficaces, quoique ridiculement identiques. Un personnage marche avec une casquette, jette un coup d’œil furtif et fracture une serrure /cut sur la salle de contrôle de la CIA où des personnages disent « Alpha 4 en approche » « Localisez la cible » /cut sur une baston quelconque où Jason Bourne met au tapis 28 agents de la CIA ou assassins / cut sur le méchant directeur qui dit « Je reprends le contrôle de l’opération, trouvez le et abattez le »/ cut sur Jason Bourne qui pose son blouson pour devenir méconnaissable et se fondre dans la foule.


Si toutefois vous perdez le fil, pas de panique ! En cas doute, c’est simple : si le personnage à l’écran vient simplement d’infliger une triple fracture ouverte du bras et un trauma crânien au policier sans le tuer, c’est Jason Bourne. S’il l’a égorgé ou abattu, alors c’est très mal moralement, et c’est donc Vincent Cassel, le méchant du film (il a souffert, voyez-vous… C’est très bien exploré au cours d’une scène bergmanienne sur la solitude et le tourment de 0,3 secondes).


Alors, faut-il aller le voir ? Si vous avez bien aimé les 3 premiers, certainement, puisque c’est le même. Bourne veut s’imposer comme une franchise parallèle et plus réaliste que Bond, avec la même longévité, comme le souligne la tagline du film " You know my name. " Les esprits chagrins feront de l'ironie facile sur l'absurdité de ce slogan, puisque Bourne est précisément en quête de son identité avant de devenir Bourne... Ce serait bien peu charitable.


La minute geek : on apprendra dans le film que le monde est devenu tellement fan des nouvelles techs, qu'en faisant Stanford, au cas très improbable où tu n'aies pas fondé de start-up de millionaire à 30 ans, tu peux quand même devenir directeur de la CIA, sans expérience de terrain. Il suffit de dire que les autres candidats ne comprennent pas les réseaux sociaux. Le réalisme caractéristique de la série Bourne et sa comprehension des enjeux du monde modern nous frappent une fois encore.


La minute sériephile : je ne sais pas quoi dire, tant ce film ressemble à un épisode parmi d'autres d'une série Bourne, qui répèterait mécaniquement le même schéma dans chacun de ses épisodes comme une série policière très classique. De celles dont on se dit qu'on peut facilement étendre leur intrigue pour les adapter en film. Le Fugitif, par exemple...
Tommy Lee Jones, qui doit en grande partie sa célébrité grand public au dit film savoure-t-il l'ironie de la situation en venant cachetonner ici comme méchant directeur ?


 


 

vendredi 8 juillet 2016

Game of Thrones Saison 6 : L'échappée belle



Attention, cette critique est, comme toujours, bouffie de spoilers.

Et ben voilà ! C’est pas compliqué de faire une bonne saison de Game of Thrones, et c’est franchement bienvenu, après deux saisons très décevantes dans leur rythme comme dans leurs intrigues. Le regain d’intérêt et de qualité de la saison 6 est clairement lié à la liberté qu’ont retrouvée ses créateurs par rapport au matériau original. Maintenant que la série n’a plus les mains liées par le rythme d’écriture de George, elle a enfin repris son rythme et son souffle, car elle sait de nouveau dans quelle direction elle va.

Ce qui se ressent très clairement tout au long d’une saison qui retrouve une unité que les saisons 4 et 5 avaient perdu. Cette saison, toutes les intrigues sont enfin de nouveaux liées, sinon à un enjeu principal (il y en deux), au moins à un thème central, celui de la naissance comme légitimité du pouvoir. C’est le thème qui réunit Daenerys, Jon Snow et Cersei : cette infatigable croyance qui les anime tous les trois, et qu’aucun ne remet jamais en question, à savoir que le pouvoir leur est dû de naissance, y compris si l’on est une femme.
Dis moi comment tu es devenu roi, je te dirai qui tu es

Chacun des trois va au cours de la saison développer trois approches différentes de cette conception qu’il partage. Daenerys incarne, littéralement le pouvoir, et ne perçoit d’ailleurs son corps et ses sentiments que comme adjuvants de sa fonction, comme elle l’explique. Elle se mariera uniquement pour souder ses alliances, comme elle l’avait fait avec Drogho. Daenerys estime que le pouvoir lui est dû, mais elle y sacrifie tout, par sens de sa mission. Haineuse des Maîtres, mais estimant avoir le droit, de naissance, de régner et de décider du sort des hommes libres, Daenerys c’est une conception de droit divin du pouvoir, animée d’une volonté de progrès.

A l’inverse du spectre, Cersei recherche une forme de pouvoir absolu pour se défendre du destin, tout en étant persuadée qu’elle ne peut y échapper.  Son personnage évolue vers une folie de plus en plus médéenne, qui cherche le pouvoir non pour régner sur mais contre le monde. En ne faisant du pouvoir que l’instrument de sa défense, sans autre considération, elle sème le chaos et précipite la mort de son 3ème enfant, qu’elle prétendait protéger. Négatif de Daenerys, elle estime que sa situation personnelle, en tant que femme et en tant que Lannister, justifie son règne, puisque le monde n’a pas d’importance, comme elle le dit à Jaime. 

Il y a enfin Jon, qui se sait mauvais leader, assassiné par ses propres hommes, mauvais politique et mauvais tacticien, comme la réalisation paniquée de l’épisode 9 le prouve magistralement (très réussie, soit dit en passant). Son pathétique plaidoyer d’avant bataille montre bien toute son arrogance, c’est sur un succès passé qu’il fonde sa légitimité, quelles que soient les circonstances présentes. Mais il s’en fout, c’est un Stark, même bâtard, et un homme. Et il n’a même pas un mouvement de gêne quand il est acclamé roi à la place de sa sœur, à qui il vient d’admettre qu’elle avait tout compris contrairement à lui. Jon ne veut pas le pouvoir en soi, mais estime toujours qu'il le mérite malgré tout. 
Le pouvoir héréditaire vécu comme une responsabilité envers les autres, comme une arme ou comme une récompense. Malgré son côté fantastique, la série, en explorant ces thèmes, présente une réflexion au fond de plus en plus aboutie sur la nature et la légitimation du pouvoir. En cela elle finit par rejoindre en qualité Battlestar Galactica, même si elle pose un questionnement plus général que Galactica, qui s'interrogeait avant tout sur la légitimité de la démocratie face à une crise majeure.

Quasiment tout le reste de la saison se rattache à ces questions d’une façon ou d’une autre de l’implacable badass Lady Mormont et sa rhétorique très franche et si proche de celle d’Olenna Tyrell, à la montée en puissance de Asha Greyjoy, qui se comporte en homme, même au lit (je trouve qu'un faire une lesbienne butch est un peu lourdaud, soit dit en passant).

Même des intrigues secondaires, comme l’histoire qui pourrait se dessiner entre Brienne et Jaime, se teintent d’une mélancolie de ceux qui se sentent destinés non à régner mais à servir, malgré leurs aspirations et leurs désirs, Tyrion et Jorah les premiers.
1 episode,1 chapitre

En sortant du rythme de Martin, la série a également cassé sa structure narrative habituelle, ce qui était plus que nécessaire. Un rythme mieux réparti sur la saison, avec des révélations et actions déterminantes tout du long, sans trop de longueurs aux épisodes 5,6 et7, habituellement épouvantablement vides, pour préparer le final. 
Et cette année, si le final épique attendu est bien dans l’épisode 9, l’épisode 10 le dépasse largement en folie et en surprise. Ne serait-ce que par sa rupture musicale avec ce thème au piano pendant que le plan de Cersei se met inexorablement en place.

Ce dernier épisode se conclut par quelques regards éloquents. Celui que Jamie lance à Cersei, ceux qu’échangent Littlefinger et Sansa pendant le couronnement de Jon… Tous ces regards des personnages qui comprennent qu’ils ont misé sur le mauvais cheval et que rien ne peut changer s’ils ne reprennent pas les choses en main. 

Ce renversement du fort et du bien né par le plus habile au pouvoir, y compris les mal nés des grandes familles, Tyrion et les femmes, ce serait probablement le plus intéressant des basculements de la série : la montée en grade de ceux qui vont peut-être enfin prendre le pouvoir non parce qu’ils estiment qu’ils y ont droit, mais parce qu’ils sentent qu’il est juste de le prendre non pour soi mais pour les autres.

Un petit bémol tout de même : l’histoire d’Arya est quand même férocement incohérente. Que les Sans Visages la laissent repartir comme ça, après le meurtre d’un des leurs me semble à peu près aussi réaliste que Daesh qui laisse repartir ses recrues qui trouvent que, toute compte fait, Raqqa c’est un peu la zone. Le premier meurtre d'Arya est d'ailleurs une totale violation des préceptes du culte (à savoir ne jamais tuer par haine ou pour un gain personnel). Ils sont donc quand même bien arrangeants avec elle.
Si Arya est bien vivante, alors dans ce cas, ce show nous a fait nous réjouir qu’une fillette de 14 ans n’ait fait manger ses propres fils à un homme avant de l’égorger. Ce qui est un peu inquiétant du point de vue de la santé mentale, la sienne et la nôtre. Je rappelle à toutes fins utiles que c’est précisément cet acte qui a amené la malédiction sur la familles des Atrides, ce qui, dans une série aussi portée par le symbolisme et les mythes classique, n’est pas vraiment anodin et pas précisément bon signe pour les derniers Starks.

Il y en a en revanche une deuxième option que je trouve plus séduisante et plus cohérente, c’est l’idée selon laquelle Arya est morte, puisque la lumière opportunément éteinte avant le combat ne permet pas foncièrement de se prononcer sur qui a tué qui, pas plus que le masque sanglant (dont les yeux saignent, ce qui symboliquement marque plus Arya que son adversaire). 
Quand l'homme sans visage dit qu'elle est enfin devenue personne, il s'adresserait donc plutôt à l'autre assassine qui, en tuant Arya et en devenant Arya a fini son initiation et part pour sa première mission.
 Dans ce cas, il est envisageable que les Sans Visages aient décidé de rayer un nom de la liste d'Arya, selon leur règle d'une vie pour une vie, ce qui est une peu plus cohérent par rapport à leur philosophie. Ou simplement qu'ils aient rempli un contrat sur Frey, éventuellement lancé par Jaime qui n'a pas dissimulé son mépris pour Frey, et qui, rappellons-le, est blindé. En le collant sur le dos d'Arya pour se dissimuler, ce qui est là aussi plus cohérent avec ce qu'on sait de leurs méthodes.
Ah si, un deuxième petit bémol : je suppose que la mort de Rickon Stark aurait pu être un moment d’émotion, si les 4 saisons précédentes ne nous avaient pas totalement fait oublier son existence. 

mardi 14 juin 2016

Warcraft, injustement boudé par la bien-pensance cannoise

Résultat de recherche d'images pour "warcraft"




Le genre : fresque écologique désespérée


Warcraft, c’est avant tout l’un des plus tristes naufrages marketing de ces dernières années. Un film au contenu politique très fort, qui méritait un traitement à Cannes, pour sa poésie sombre, et que l’on a marketé uniquement pour les fans. Une occasion ratée.


Au cœur de Warcraft, un constat poignant sur l’avenir bouché de nos sociétés face à la menace du réchauffement climatique, doublée d’une interrogation passionnante sur la capacité réelle des régimes actuels à traiter l’urgence écologique, une question de fond, par les outils classiques de la politique.


Le film s’ouvre par une scène d’intimité familiale touchante, qui servira de contrepoint permanent, de point de référence d’un monde souhaitable et responsable. Sous l’apparence d’un film de fantasy, le scénario de Warcraft s’appuie en effet sur une métaphore filée, qui structure solidement son propos. La Horde des orcs a ravagé son monde, poussée par le Fel, cette « magie qui se nourrit de la vie », miroir critique évident des sociétés qui sacrifient leur avenir à une vision court-termiste de l’utilisation de nos ressources.


Sur ce constat sur l’urgence écologique, le film suit cette Horde hébétée, en manque de repères et menée par un leader infusé (littéralement) par cette idéologie. Elle se confronte à Azeroth, une société de paysannerie classique, dont la prospérité repose sur l’agriculture raisonnée.


Mais le film contourne habilement l’écueil d’une vision simpliste d’Azeroth comme un idéal perdu, qui pourrait ouvrir la porte à une condamnation de la démocratie. De fait, sous le royaume d’Azeroth, ce que Warcraft dénonce, c’est également le pourrissement du cœur des institutions de supervision technocratique d’Azeroth,  représentée par le Gardien. Contaminé lui aussi par le Fel, ce gardien s’impose au pouvoir local, dénonçant par là non la légitimité du pouvoir en soi, mais bien l’imposition de normes au pouvoir par des organismes dont le mandat et le processus de nomination sont pour le moins opaques, OMC et Commission Européenne en tête.


Quelle forme pour la contestation écologique aujourd’hui ?


Tout l’enjeu du film devient alors de voir comment une poignée de citoyens et de dirigeants politiques vont pouvoir créer un sursaut citoyen et une alliance avec ces migrants, face aux déchaînements de violence des deux camps, rappel malheureux des émeutes allemandes sur fond de crise migratoire.


Ce thème de l’alliance, de l’acceptation de la différence, ouvre une série de scènes passionnantes sur le besoin de consensus malgré les différences culturelles, tout en concluant à la difficulté de trouver ce compromis, un réalisme que refuse encore trop souvent le cinéma contemporain.


Tout autant le roi Llanne que le chef de clan Durotan comprennent d'ailleurs la nécessité de leur sacrifice politique pour créer un mouvement d’ampleur et bousculer les cadres classiques de leur société. C’est peut-être là d’une des limites du propos, tant les élites politiques occidentales semblent aujourd’hui bloquées dans des logiques de parti et incapables de ce sacrifice. Pourtant, le scénario se montre par la suite à la hauteur, en montrant bien les limites des deux voies politiques alors ouvertes.


D’un côté, les humains, elfes et nains, dans une scène subtile, tout en regards échangés, démontrent largement la limite d’un pouvoir qui accepte une Alliance qu’il désapprouve, par calcul politique et sous la pression d’un peuple qui reprend peu à peu sa légitimité. De l’autre côté du spectre, Garona et Durotan sont tentés par le repli sur soi et l’appui sur la tradition religieuse, seule à même de basculer l’échiquier. L’une comme l’autre rachète une paix sociale dans chacun des camps, mais dont aucun leader politique n’est dupe de la faible valeur.


Une nécessaire alliance populaire solidaire et internationale sur la base de la démocratie participative


La menace est provisoirement écartée, au profit d’un équilibre instable entre une nouvelle théocratie et un pouvoir démocratique fragile et redouté par son propre establishment politique. La faible implication du Kirin Tor, le corps international des mages, démontre d’ailleurs l’incapacité des organismes internationaux à poser les bases d’une réconciliation qui ne peut que s’appuyer sur les peuples et non sur les élites, un thème du metissage qui parcourt le film.


La conclusion désespérée, c’est pourtant bien que cette réconciliation ne peut se faire qu’au prix d’une guerre longue, qui sera porté par Thrall, le bébé orc vert, si celui-ci accepte son rôle de leader conciliateur. Mais cette position impliquera de se défaire de son bagage idéologique symbolisé par la couleur verte de sa peau, rappel du Fel, et denunciation de l'acceptation du système que nous impose l'éducation et le cadre normatif social.


Dans cette pirouette finale, par un parallélisme avec le berceau de Moïse, Warcraft ouvre une dernière réflexion qui me semble aujourd’hui plus que jamais salutaire sur la place qu’ont eu les religions dans la mise en place d’un système foncièrement inégalitaire et obsédée par sa croissance, sans réflexion de long terme sur les ressources. Le propos renforce ainsi le constat irrévérencieux  fait par Orgrimm le Marteau du Destin sur le fait que les dieux se soucient plus de leur statues que des morts nécessaires pour les élever.


Un film sombre et radical, servi par une réalisation fluide et classique, qui ne fait que souligner la noirceur de son propos. Peut-être le moment de lucidité dont nos intellectuels auraient bien besoin. Certainement plus que les arguties trompeuses de ce faiseur d’Asghar Farhadi.


Plus sérieusement : franchement, Warcraft n’est pas plus mauvais que beaucoup d’autres action movies, et se trouve curieusement servi par son manque d’ambition total. Pépère dans le déroulement de son histoire sans surprises et dénué de toute tentative d’innovation visuelle, le film évite même l’écueil de l’auto-parodie. Ça se regarde gentiment.


Il est même plus subtil que le dernier Star Wars dans ses clins d’œil, discrets, aux fans, ce qui, certes, n’était pas trop dur, vu la subtilité de 33 tonnes de Star Wars. La musique, en revanche, qui est un élément culte de Warcraft, est tristement plate. Bref, pas vraiment réussi, pas bon non plus, mais je m’attendais à franchement pire.   


La minute sériephile : pauvre Ben Foster, le meilleur ami bi de Claire Fisher dans 6 Feet Under, un joli rôle tourmenté, qui échoue là, dans ce casting de 14ème zone. Au moins, lui n’a pas dû jouer avec un dentier comme Paula Patton, dont l’élocution dans le film est, pour le moins, embarrassée. Ce qui n’est pas trop grave vu la qualité générale des dialogues.

mercredi 11 mai 2016

Maaaaarseeeeille, ta production impitoyable


Afficher l'image d'origine


Marseille est l’une des séries les plus intéressantes que j’ai vues récemment. C’est un objet de télévision proprement fascinant dans lequel le moule Netflix de production et les habitudes françaises de production se livrent un combat acharné, que Netflix perd. L’enfant maudit de Navarro et the The Wire. 

Ce qui est très étonnant, et, je dois dire, un peu accrocheur à la longue, c’est de voir à quel point rien ne fonctionne. L’écriture, le jeu, la photo, la réalisation. Tout en se drapant dans des ambitions délirantes.

Marseille, tes personnages éléphantesques

Le premier plan donne le ton, au moins c’est honnête. Dipardiou, de dos, sniffe de la coke dans son costume trois-pièces, Légion d’Honneur à la boutonnière, avant de débarquer au Vélodrome pour un mach de l’OM. La série annonce qu’elle ne va trop tenter de se poser la question du rôle du politique dans une ville, pour faire plutôt un gros vaudeville qui tâche, autour de personnages de politiciens totalement caricaturaux.

Magimel rélaise une belle performance comique involontaire, en s’appuyant sur le running gag de son accent marseillais qui va et qui vient. Au bout d’un moment, au dérushage certainement, quelqu’un a fini par s’en apercevoir ; un autre  personnage explique alors que ces accès impromptus de « peuchère, bonne mère » sont une stratégie pour faire populaire auprès des électeurs. Il aurait peut-être été judicieux d’appliquer la même logique à l’ensemble du cast, mais ne soyons pas pointilleux. Après tout, la réplique avé l’accent « Tu trouves pas ça bizarre, qu’on se touche le zob en parlant de Picasso » m’a fait littéralement hurler de rire.

Je pourrai continuer longtemps, mais je vais juste faire une mention spéciale tout de même à Nadia Farès, dans le rôle totalement grotesque de maîtresse Salopa Vanessa d’Abrantes, présidente du Conseil Général. Un magnifique rôle sur la place des femmes en levrette politique, qui a sans doute fait chaud au cœur de Simone Veil.

Marseille, ton écriture invraisemblable

En fait, à aucun moment l’écriture ne laisse entrevoir une réflexion sur le rôle du maire ou sur la bonne gestion d’une ville. Tout est une question d’hommes, toutes les rivalités se résument à des rancœurs idiotes ou des questions de sexe. Pour masquer sa totale absence de fond, la série botte régulièrement en touche la question du politique, à coup de dialogues écrit avec les pieds, type « Il n’aime pas le pouvoir, il n’aime que Marseille… ».

je ne vais pas rentrer dans le spoiler lourd, mais le postulat de la série, la lutte entre deux politiciens dont l'un cherche à se débarrasser de l'autre, après avoir été 20 ans son protégé, pour une mystérieuse raison (en fait vue et revue), tient plus de Revenge que du, je cite "thriller shakespearien". Au moins, quand Depardieu tombe des nues en comprenant à l'épisode 6 ce que le spectateur a compris au 2, on se sent très malin.

Et c’est dommage… Parce que le vrai objet de la série, ça devait être Marseille. L’évolution de cette ville, l’ouverture de Marseille au tourisme de luxe et sa place de ville européenne, la spécificité de sa culture, de ses communautés, la difficulté à gérer sa réputation et ses ambitions…. Mais non,  Siri préfère nous offrir une vision incroyablement caricaturale et superficielle, qu’il a certainement vu comme un sommet de subtilité, à savoir que le camp anti casino est le camp de la mafia... Parce que dans sa vision chaleureuse de Marseille, à part politicien ou mafieux, il n’y pas de mtier possible à Marseille.

Le plus curieux, d’ailleurs, c’est que les dialogues viennent en permanence contredire les événements de la série. Par exemple quand les dealers expliquent qu’ils font voter les cités des quartiers Nord comme ils veulent (c’est bien connu, les pauvres ne savent pas réfléchir). Une manœuvre qui n’a aucun sens, puisque, dans la série, comme d’ailleurs dans le vrai monde, la mairie est en réalité tenue par le FN. Pourquoi donc un politique prendrait-il le risque de s’afficher à des dealers pour un territoire déjà perdu ?

Enfin, pour une série qui s’annonce réaliste et amoureuse de Marseille, les marseillais apprécieront la manière dont leur approche du vote est traitée. Bureau de votes murés la veille par des dealers, meetings interrompus, meurtre devant un bureau de vote… Je suppose que la série a voulu s’éloigner de Plus Belle La Vie, mais réussit le tour de force d’être finalement encore moins ancrée dans le réel.

Marseille, ta réalisation d’un autre âge

Enfin, comment Netflix a-t-elle pu autant se fourvoyer et accepter une réalisation aussi indigente ? La série aligne les remplissages, notamment les plans aériens avec un effet de déformation, pour donner l’impression que la ville bouge. Une métaphore de la ville comme être vivant qui est aussi pataude que triste, tant elle tente malhabilement de masquer l’incapacité de la série à traiter Marseille comme un personnage. Astuce : pour la saison 2, pour faire au moins semblant que la série se passe à Marseille, il serait pas mal de ne pas attendre l’épisode 7 pour qu’un nom de quartier ne soit mentionné…

Même les bruitages sont ridicules et inutiles. Ha, ce petit son quand Depardieu sniffe de la coke… Quelle modernité 80’s ! Ça me rappelle Levy & Goliath ! Ha, ces merveilleux rappels de dialogues en voix-off avec écho dramatique, au cas tu sois tellement abruti que tu aies oublié la scène d’avant... 

Il y aussi la question des textos. Quand House of Cards les a intégré dans son intrigue en surimpression, en 2012 pourquoi pas. Malheureusement, depuis, Plus Belle La Vie, encore eux, a largement pris le train en marche. Ce qui a du paraître d’une insondable modernité à Siri est en fait déjà ringard.

Tout ça ne nous rendra pas Gaston Defferre

Quoiqu’en dise Netflix, la production n’a pas dû être une grande partie plaisir. Déjà, le fait que la série utilise le terme showrunner dans le générique affiche une volonté navrante de « faire américain ». Tout d’abord parce qu’aucun showrunner américain ne se désigne comme tel dans un générique, au profit plutôt des termes d’Executive Producer ou de Creator.

Ensuite, quand je lis cette édifiante interview d’octobre dernier, dans laquelle Dan Franck, le génie de l’écriture derrière Marseille, explique à quel point c’est cool et intéressant d’être le showrunner de la série. Sauf que, malaise, au générique, Netflix a finalement changé d’avis et annonce que le showrunner, c’est Florent Siri. Dan Franck précise aussi qu’il est directeur artistique, rôle que le générique donne encore à Siri, enfin, pardon « Créateur Visuel ». On ne devine aucune bataille d’égo quand on songe qu’au moment de cette interview, le tournage était déjà terminé…

Alors mystère, la série est-elle devenue miraculeusement catastrophique en post-prod ? Ce qui est clair, c’est que tout là-dedans pue l’ambition française de faire du Netflix « à la française ».  Comme si le nom pouvait magiquement être un label de qualité qui efface les défauts d’écriture habituels des séries françaises. Comme si copier malhabilement des éléments, comme le générique qui lorgne sur True Detective, mais fait plutôt penser à un générique de James Bond très premier degré, faisait tout. Une fascinante exploration des limites l’exception culturelle française !

La minute sériephile : si vous voulez voir comment de la technique de production américaine peut créer localement du show de qualité, tournez-vous plutôt voir la très poisseuse mais géniale Epitafios, produit au début des années 2000 en Argentine par HBO.

La minute geek  : une phrase seulement pour la bonne bouche. Un personnage fait fuiter des documents sur un Internet pour nuire à son adversaire. Son assistant lui dit « les petits malins qui font de l’upload le trouveront dans quelques minutes. Dans une heure c’est sur Twitter. » Quoi le fuck ?