Le genre : La guerre ? C'est une chose trop grave pour être confiée à des Jedis
Que ça fait du bien un Star Wars sans Jedi ! Sans ces
hommes providentiels sentencieux et convaincus de la justesse de leurs actions,
non pas au nom de la morale ou (surtout pas) du droit, mais du fait même de leur qualité de Jedi.
Que ça fait du bien aussi de voir que, pour une fois dans l’existence
des Star Wars, le destin entier de la galaxie n'est pas de servir de chair à canon à ion dans le énième
conflit générationnel de la famille Le Pen des étoiles. Qu'il est en fait possible d'écrire un film qui ne repose pas sur l’indépassable rivalité
entre prolétaire des sables et « fils de » méchu,
dualité qui construit entièrement les duos Anakin/Padme, Luke/Leia puis Rey/Kylo
Ren.
Bad people in a bad place
Rogue One marque à
ce titre un double tournant dans la franchise, dans la mesure où c’est à la fois
le premier Star Wars à hauteur d’homme et le premier qui se dote d’un enjeu
dramatique intéressant. N’étant pas issus des illustres lignées Skywalker/Amidala/Solo, les héros sont ici mortels, et vont certainement mourir, eux. Certainement pas au cours d'un duel shakespearien mais plutôt anonymement.
Pour chacun, la question est plutôt de savoir au nom de quoi ils
vont mourir. Ce n’est pas une histoire de destin mais une
histoire de choix, de circonstances, de vies ratées, d’ambitions frustrées et, surtout, de colère, un truc pas du tout Jedi. Somme toute une
histoire très humaine.
Chacun à un (mauvais) motif pour se battre et se fout éperdument
des motivations de son camp et de sa « cause ». C’est valable tant du
côté de Krennic, un administrateur civil qui souhaite briller dans un univers
militariste, que de celui de Cassian Andor, qui se bat par vengeance et parce
qu’il ne connaît que la violence, ou de celui Saw Guerrera, pour qui la rebellion est le vernis d'une violence très radicale.
Même le seul suivant de la Force, Chirrut, n’est pas un Jedi
et ne tient pas ses compétences de la Force en soi, mais de l’acuité de ses
sens, ce que montre clairement (avec un effet bien clichouillle) la construction de sa première scène de combat.
Semi-clodo, il embrasse cette cause, animé par la volonté pathologique d’être, enfin,
distingué par cette Force en laquelle il croit mais qui n’a toujours fait de
lui qu’un larbin. Il mourra comme les autres, ni plus bêtement, ni plus
héroïquement, abattu dans la mêlée.
La guerre, toujours
la guerre
En adoptant le point de vue de ceux qui meurent dans la boue,
Rogue One sort de l’angélisme et du
manichéisme basique des Star Wars pour offrir une vision plus nuancée et poser, entre autres, la question de la
légitimité des actions de l'Alliance, notamment les assassinats et exécutions sommaires
de civils. L'Empire se dote lui aussi d'une ligne politique plus complexe, justifiant l'emploi d'une arme de destruction massive comme moyen ultime de finir cette guerre et donc de sauver des vies, un des éléments de la doctrine US qui a justifié le bombardement d'Hiroshima.
Par une myriade de plans, de bribes de dialogues, de
positions physiques des acteurs et de cris de douleur, le film redonne aussi leur humanité aux
Stormtroopers, soldats aussi paumés que les rebelles, pas précisément présentés
comme des grands humanistes, Cassian en tête. Les héros de Rogue One, ce sont tous ceux qui meurent sans se poser de question, et pour une fois pas ceux qui envoient des flottes au combat pour régler une bataille personnelle.
Rogue One traite d'ailleurs les batailles comme un film de guerre, caméra à l’épaule,
pour des scènes à la fois maitrisées et brouillons, héroïques et dérisoires,
dans la fumée, le sang et la sueur. A Jedha ou Scarif, ce n'est pas le combat des forces du bien et du mal, c’est tout
simplement une guerre qui se livre avec des dizaines, des centaines de morts
chaque jour. Un thème en général joyeusement évité par la saga qui a toujours opté pour les droïdes, clones et combats spatiaux pour déshumaniser la guerre.
En bref
Longuet dans son exposition, mais dégagé de ses ncombrants héros Jedis, Rogue One est efficace visuellement, sale comme la guerre qu’il décrit et quasiment tragique au sens grec, avec sa bande de héros qui pensent sérieusement à 5 changer la galaxie et s’en sortir. Pour moi le seul film de l’univers Star Wars récent réussi narrativement.
Du point de vue de la continuité, Rogue One insère habilement ses losers magnifiques et anonymes, en finissant son histoire quelques heures avant le début de Star Wars IV, ce qui permet des apparitions fugaces de Leia (jolie insertion digitale d'une Carrie Fisher jeune et de Peter Cushing) et surtout d’un Vador bad ass classique, où l'on retrouve la puissance évocatrice du tout premier Star Wars quand on entend juste ses pas dans l'obscurité, puis sa respiration, avant de le découvrir éclairé par son sabre (sa scène de dialogue, en revanche, longuette et peu fidèle au personnage, n’apporte pas grand-chose au film).
Sans en abuser, les Star Wars stories semblent être un filon à creuser dans un univers riche de possibilités plus intéressantes que la soupe pompeuse et sans originalité servie sans complexe depuis 5 films.
Du point de vue de la continuité, Rogue One insère habilement ses losers magnifiques et anonymes, en finissant son histoire quelques heures avant le début de Star Wars IV, ce qui permet des apparitions fugaces de Leia (jolie insertion digitale d'une Carrie Fisher jeune et de Peter Cushing) et surtout d’un Vador bad ass classique, où l'on retrouve la puissance évocatrice du tout premier Star Wars quand on entend juste ses pas dans l'obscurité, puis sa respiration, avant de le découvrir éclairé par son sabre (sa scène de dialogue, en revanche, longuette et peu fidèle au personnage, n’apporte pas grand-chose au film).
Sans en abuser, les Star Wars stories semblent être un filon à creuser dans un univers riche de possibilités plus intéressantes que la soupe pompeuse et sans originalité servie sans complexe depuis 5 films.
La minute geek :
au fond, c’est logique que ce film-là me plaise, puisque c’est le pendant ciné du jeu vidéo Star Wars Battlefront, le premier à offrir d'être un troufion lambda, blaster à la
main dans le chaos de la guerre et impuissant face aux Jedis et aux machines
de guerre. Et si je trouve que le dernier Battlefront est un affreusement décevant, Battlefront II reste le jeu auxquel j’ai joué le plus pour le pur et simple fun.
La minute sériephile :
Alan Tudyk, qui joue le C3PO de service dont le nom m’échappe (K9B6 ?
X7T4 ? On s’en fout…) est évidemment de pilote du Serenity dans la série
culte Firefly, qu’on ne mentionne
jamais assez. Une idée absurdement réussie de traiter littéralement l’espace
comme un nouveau Far West et un condensé remarquable de l’univers de Whedon.
*****
Ceci étant dit, prenons un peu de hauteur
Pourquoi Star Wars déteste-t-il
autant la démocratie ?
La mission des héros malgré eux de ce film n’a pas l’aval
des autorités rebelles élues, d’où le titre. Elle s’avère efficace et justifiée
a posteriori, mais n'en reste pas moins illégitime. Encore un Star
Wars qui s’appuie cette idée
lancinante et bien ancrée depuis la seconde trilogie que la démocratie est un
truc de lavette qui ne permet pas d'accomplir quoi que ce soit.
Si l’on suit la chronologie des faits, la République n’a pas
su enrayer la montée de l’Empire, parce qu’au fond, il fallait péter physiquement la gueule
de Palpatine, pas le combattre politiquement. Elle ne doit ensuite sa brève survie qu’à
la commande en scred par un Jedi d’une armée entière sans aval du Sénat.
Puis la volonté de recherche d'un consensus entre les leaders rebelles conduit à l’inaction donc à la mort dans Rogue One. Et après leur éphémère victoire de Star Wars VI, les rebelles, ces affreux gauchistes bavards, se refont péter la gueule par un Second Ordre moins porté sur la discussion que sur l’action lourdement armée dans le VII. Et à chaque fois que les rebelles s’en sortent, c’est bien parce qu’un homme providentiel, poussé par une revelation religieuse, a relevé ses manches pour agir par la violence.
Puis la volonté de recherche d'un consensus entre les leaders rebelles conduit à l’inaction donc à la mort dans Rogue One. Et après leur éphémère victoire de Star Wars VI, les rebelles, ces affreux gauchistes bavards, se refont péter la gueule par un Second Ordre moins porté sur la discussion que sur l’action lourdement armée dans le VII. Et à chaque fois que les rebelles s’en sortent, c’est bien parce qu’un homme providentiel, poussé par une revelation religieuse, a relevé ses manches pour agir par la violence.
Je ne pense pas que Star
Wars, en tant que tel, véhicule un message politique quel qu’il soit. Mais
je constate que le film, cette fois-ci encore, s’inscrit parfaitement dans la mystique
américaine, et maintenant mondiale, du surhomme qui méprise la politique et « does
the right thing », celui qui pose ses couilles sur la table et ne bavasse
pas, de Jack Ryan à Frank Underwood, de Batman à Jack Bauer, voire à la reine
Elizabeth dans The Crown.
Je ne sais pas lequel est la poule et lequel est l’œuf, entre
cette culture populaire infusée par le concept de l’inefficacité foncière de la
politique et la montée du scepticisme quant à la valeur de la démocratie. Mais il
serait peut-être temps que les grands producteurs de contenus massivement
regardés se demandent, plus que les médias d’information, quel rôle ils jouent dans
la construction de l'opinion.