mercredi 2 juillet 2014

Under the skin, un film concept trop ambitieux ?




Le genre : remake tant attendu de La Mutante par Godard

Si j’en crois les critiques le sujet d'Under the skin est l’errance d’une extraterrestre qui séduit des hommes puis les fait disparaître. Sur cette seconde partie, je veux bien, mais sur le caractère « extraterrestre », je ne vois pas exactement ce qui permet de tirer cette conclusion. Under the skin tient en effet plus de l’expérience sensorielle que du film, à proprement parler. Peu de dialogues, une intrigue quasi inexistante, tout n’est qu’un prétexte à la recherche formelle de Glazer, sur le thème du désir dans sa forme la plus brutale, de l'attraction physique pure.

La caméra y suit donc l’errance d’une Scarlett Johansson, qui continue son exploration personnelle après Her, et son rôle où elle n'apparaissait pas à l'écran, en renversant la vapeur pour un rôle qui n'est quasiment que de l'apparition physique, celui d'une séductrice sans personnalité. Littéralement. Son rôle, durant les deux premiers tiers est plus une fonction: attirer physiquement des hommes seuls puis les faire tomber dans son piège et les faire littéralement disparaître. Ces scènes d'abandon/mise à mort rythment le film, selon une logique identique, où la proie, subjuguée suit Scarlett (aucun personnage n’est nommé, le propos du film n’est pas là) dans un décor, ou une absence de décor, plus précisément, sur une eau d’un noir d’encre, et s’y enfonce avant de disparaître. Le manège est, je dois le reconnaître, hypnotique.

La première partie suit donc le rituel de séduction moderne, ici réduit à son aspect le plus physique, une forme d’errance permanente sur les routes, ponctuées de rencontre fortuites. Tout comme Her, Under the Skin s’interroge sur ce qu’est devenu le rapport de séduction, à une époque où les rencontres sont tout à la fois désincarnées au début, via les réseaux de drague en ligne, ou au contraire très physiques et sans réelle exploration de l'autre, dans le cas de la rencontre en boîte, aussi exploré ici. Le constat de Glazer est d'ailleurs plutôt que la séduction a disparu au profit d'une forme de satisfaction immédiate du désir sexuel et que seul le corps importe donc. On note d’ailleurs que lors d’une scène où le personnage manque de se faire violer, la musique est la même que lors de ces moments où elle entraînait les hommes à leur perte. Le thème musical n’est donc pas celui de Scarlett, mais bien celui du désir destructeur qui ne tient aucun compte de l’autre, dans un rapport qui n'est plus séducteur/séduit, mais chasseur/proie.

Le travail sur la musique et la bande sonore est très poussé, pour créer ce rapport quasi hypnotique entre l’image, souvent métaphorique, et le son. La recherche formelle de Glazer est, de ce fait, déroutante, tant elle nécessite de s'y abandonner totalement pour prendre toute sa substance. Je comprends d'ailleurs qu’on ne rentre pas dans ce jeu, assez complexe, d’autant que la première partie offre, outre cette forme d'expérience, un panorama assez glauque de ce que l’Ecosse compte de banlieues déprimées et de bretelles d’autoroutes. Si la deuxième partie ne se déplaçait dans les paysages somptueux de l’Ecosse sous le brouillard, le ministère du Tourisme aurait eu matière à porter plainte…

Ce qui sauve le film du simple exercice de style formel, réussi mais finalement vain, c’est cela dit d’aller plus loin dans la réflexion sur la différence entre désir et séduction en introduisant plus tard un nouveau personnage, qui lui ne cherche pas à séduire, ne cherche probablement plus à séduire. Le retournement qui lui permet d'arriver sur la scène, c’est finalement un acte d’amour de la part de Scarlett: accéder au désir d’un jeune homme gravement difforme, qui sait qui ne pourra jamais séduire, ni probablement approcher, une femme et le laisser vivre. C’est ce déclic qui éveille le personnage de Johansson à la conscience de son corps, et donc de sa séduction, et l’emmène sur une autre voie, celle de l’exploration de soi, et de la difficile construction de l’intimité avec l’autre.

La difficulté principale de ce film réside malgré tout dans le fait qu'on est obligé de s'y plonger à corps perdu, faute de quoi on reste à la limite de l'hilarité devant l’incongruité de l’ensemble.Un choix finalement d'une parfaite logique, puisque c’est bien là le sujet du film: l’abandon au désir et à la sensation, le refus de toute rationalité et de toute prudence. Or cette adhésion immédiate, cette étincelle, tient autant à l'esthétique léchée et au travail sur la sensation qu'à un concours de circonstance, d'un état d'esprit à temps t. Accepter Under the skin ne demande pas la seule suspension volontaire du jugement, il faut une implication plus profonde.

Je ne conteste pas l’intérêt du projet et la rareté du film, mais je n’ai pas réussi à m’abandonner à cette logique. C’est dommage, je suis peut-être passé à côté, mais je ne garde pas un souvenir impérissable de l’expérience Under the Skin. Je dois avouer que je reste un brin perplexe et me demande si l’œuvre n’a pas plus sa place dans un musée que dans une salle. Pour l'occasion, je crée une nouvelle catégorie, les films "Euh..." sur lesquels je ne sais pas trop quoi penser.
La minute geek : Le moment où Scarlett apparaît enfin sous sa forme "réelle" avec sa peau mal ajustée sur son corps a quasiment suscité un fou rire chez moi, tant elle m'a fait penser à une scène similaire dans Bad Taste de Peter Jackson, certes la tronçonneuse en moins.

La minute sériephile : ce thème général d’une entité alien qui s’attaque à des hommes seuls, sans liens, et les fait disparaître en les attirant des maisons d’apparence anodine dans des banlieues anglaises déprimantes m’a aussi furieusement fait penser à la moitié des épisodes de Doctor Who. Malheureusement, ici point de Docteur fantaisiste pour sauver la Terre… Il y a bien un genre de bûcheron violeur, mais il porte malheureusement assez peu de Converse ou de tweed, selon que vous êtes Tennantien ou Smithien.

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