Le genre: opéra ironique
Faut-il profiter de la ressortie en salle de Phantom of the Paradise ? La
question peut se poser, mais je pense que la réponse oui. Parce que derrière la
forme pop et l’outrance visuelle, Phantom marque déjà, il y a quarante ans, certains
des thèmes favoris du jeune Brian de Palma, et que sa réflexion générale sur la
société du spectacle résonne comme une vérité dérangeante.
Phantom of the Paradise, c’est le mélange de deux mythes,
Faust et le Fantôme de l’Opéra. Faust pour le pacte diabolique et la vente de l’âme,
le Fantôme pour la trame et pour l’obsession du compositeur mort-vivant de
retrouver dans celle qu’il aime sa « voix ». Sur ce canevas, De Palma
signait un opéra rock très visuel qui n’a pas foncièrement vieilli, tant il est
à la fois riche et très simple.
Riche, il l’est évidemment visuellement, dans le spectacle
permanent qu’il offre. La surenchère est visuelle dans le Paradise, la boîte
rock ultime pensée par le démon producteur, et musicale, par le brassage des
groupes qui y passent, des Beach Boys au
glam rock en passant par le revival 50’s. Ce brassage, en un sens, c’est le
sujet du film. Ce dont parle Phantom, c’est de l’ogre de l’industrie du
divertissement, qui consomme les styles et les artistes indifféremment, mais ne
peut pas s’arrêter.
C’est d’ailleurs sur ce point que le message est très
contemporain, tant Brian de Palma voyait que la musique seule ne suffirait
pas à calmer la faim de l'entertainment. L’idée de Swan faire de sa propre vie une œuvre, sous les caméras et en
direct, préfigure la télé-réalité, tout comme le propos sur la gloire et le besoin de
notoriété vécue comme une drogue par Phoenix. même le personnage du chanteur Beef préfigure le travers de la real-TV de choisir des
personnalités plutôt que des talents pour porter le show. J’ajouterais d’ailleurs que le symbolique de la caméra et
de l’écran, capitale dans tout le film ne fait que renforcer cette
impression troublante que nous ne faisons que suivre une route déjà bien
prévisible.
Ironiquement, le film est lui-même un ogre boulimique qui se nourrit de tout : des références littéraires qui en forment la trame, d’un
compendium de la musique des 70’s, mais aussi de références cinématographiques
détournées, de Psychose, avec la
scène de la douche, voire aux premiers Woody Allen dans la première partie,
notamment Prends l’oseille et tire toi.
En regardant cette débauche de paillettes pop, cette folie et ce débordement de
sexualité qui s’affirme, on pense évidemment au contemporain Rocky Horror Picture Show.
Pourtant, la logique est ici inverse. Si le Rocky prend un
cadre a priori familier pour le dynamiter dans une comédie potache, Phantom offre
sous le couvert d’un opéra fantastique une tragédie amoureuse classique et une réflexion
désespérée sur l’art et l’incapacité foncière de transmettre son art. Parce que
le public ne cherche que le pur divertissement (quitte à y voir mourir ses idoles, qui seront immédiatement remplacées, comme le fait l'héroïne quand Beef meurt en scène).
Ce type de réflexion est moderne, mais de la part de De Palma elle est prophétique. La forme même, contrairement à l'opéra, comprend une dose d'ironie non négligeable, notamment dans l'utilisation de techniques chères au cinéaste dont le split screen. Mettre tout son art dans un film qui dit qu'au fond, l'art est une question d'amour, et que la vraie émotion ne peut être transmise que d'âme à âme, c'est assez ironique. Ça l'est d'autant que Brian a toujours oscillé entre commandes hollywoodiennes et films personnels par la suite.
C'est à se demander qui il est du producteur ou du compositeur. De Swan ou de Leach ? Probablement les deux, et rien que pour cette question, Phantom of the Paradise mérite d'être revu!
C'est à se demander qui il est du producteur ou du compositeur. De Swan ou de Leach ? Probablement les deux, et rien que pour cette question, Phantom of the Paradise mérite d'être revu!
La minute sériephile: Paul Williams, qui joue le démoniaque Swan est surtout le compositeur de la musique du film. Face aux frilosités des producteurs, De Palma avait en effet adopté une logique inverse et fait financer l'album avant tout pour débloquer le reste. Il a donc fait appel à un songwriter connu et bankable, ne serait-ce que pour avoir co-écrit la chanson de la Croisière s'amuse. Et être apparu dans un épisode d'à peu-près toutes les séries des 70's.
La minute geek: Paul Williams, toujours lui, ne s'arrêtera pas là et jouera dans Star Trek Voyager, dans un épisode où le docteur holographique fait découvrir l'opéra à un monde qui ne connaissait pas la musique. Il jouera naturellement le producteur qui transmet la musique à son peuple. On ne se refait pas.