lundi 7 avril 2014

Faut-il profiter de la ressortie en salle de Phantom of the Paradise ?






Le genre: opéra ironique

Faut-il profiter de la ressortie en salle de Phantom of the Paradise ? La question peut se poser, mais je pense que la réponse oui. Parce que derrière la forme pop et l’outrance visuelle, Phantom marque déjà, il y a quarante ans, certains des thèmes favoris du jeune Brian de Palma, et que sa réflexion générale sur la société du spectacle résonne comme une vérité dérangeante.

Phantom of the Paradise, c’est le mélange de deux mythes, Faust et le Fantôme de l’Opéra. Faust pour le pacte diabolique et la vente de l’âme, le Fantôme pour la trame et pour l’obsession du compositeur mort-vivant de retrouver dans celle qu’il aime sa « voix ». Sur ce canevas, De Palma signait un opéra rock très visuel qui n’a pas foncièrement vieilli, tant il est à la fois riche et très simple.

Riche, il l’est évidemment visuellement, dans le spectacle permanent qu’il offre. La surenchère est visuelle dans le Paradise, la boîte rock ultime pensée par le démon producteur, et musicale, par le brassage des groupes qui y passent,  des Beach Boys au glam rock en passant par le revival 50’s. Ce brassage, en un sens, c’est le sujet du film. Ce dont parle Phantom, c’est de l’ogre de l’industrie du divertissement, qui consomme les styles et les artistes indifféremment, mais ne peut pas s’arrêter.

C’est d’ailleurs sur ce point que le message est très contemporain, tant Brian de Palma voyait que la musique seule ne suffirait pas à calmer la faim de l'entertainment. L’idée de Swan faire de sa propre vie une œuvre, sous les caméras et en direct, préfigure la télé-réalité, tout comme le propos sur la gloire et le besoin de notoriété vécue comme une drogue par Phoenix. même le personnage du chanteur Beef préfigure le travers de la real-TV de choisir des personnalités plutôt que des talents pour porter le show. J’ajouterais d’ailleurs que le symbolique de la caméra et de l’écran, capitale dans tout le film ne fait que renforcer cette impression troublante que nous ne faisons que suivre une route déjà bien prévisible.

Ironiquement, le film est lui-même un ogre boulimique qui se nourrit de tout : des références littéraires qui en forment la trame, d’un compendium de la musique des 70’s, mais aussi de références cinématographiques détournées, de Psychose, avec la scène de la douche, voire aux premiers Woody Allen dans la première partie, notamment Prends l’oseille et tire toi. En regardant cette débauche de paillettes pop, cette folie et ce débordement de sexualité qui s’affirme, on pense évidemment au contemporain Rocky Horror Picture Show

Pourtant, la logique est ici inverse. Si le Rocky prend un cadre a priori familier pour le dynamiter dans une comédie potache, Phantom offre sous le couvert d’un opéra fantastique une tragédie amoureuse classique et une réflexion désespérée sur l’art et l’incapacité foncière de transmettre son art. Parce que le public ne cherche que le pur divertissement (quitte à y voir mourir ses idoles, qui seront immédiatement remplacées, comme le fait l'héroïne quand Beef meurt en scène).

Ce type de réflexion est moderne, mais de la part de De Palma elle est prophétique. La forme même, contrairement à l'opéra, comprend une dose d'ironie non négligeable, notamment dans l'utilisation de techniques chères au cinéaste dont le split screen. Mettre tout son art dans un film qui dit qu'au fond, l'art est une question d'amour, et que la vraie émotion ne peut être transmise que d'âme à âme, c'est assez ironique. Ça l'est d'autant que Brian a toujours oscillé entre commandes hollywoodiennes et films personnels par la suite.

C'est à se demander qui il est du producteur ou du compositeur. De Swan ou de Leach ? Probablement les deux, et rien que pour cette question, Phantom of the Paradise mérite d'être revu!

La minute sériephile: Paul Williams, qui joue le démoniaque Swan est surtout le compositeur de la musique du film. Face aux frilosités des producteurs, De Palma avait en effet adopté une logique inverse et fait financer l'album avant tout pour débloquer le reste. Il a donc fait appel à un songwriter connu et bankable, ne serait-ce que pour avoir co-écrit la chanson de la Croisière s'amuse. Et être apparu dans un épisode d'à peu-près toutes les séries des 70's.

La minute geek: Paul Williams, toujours lui, ne s'arrêtera pas là et jouera dans Star Trek Voyager, dans un épisode où le docteur holographique fait découvrir l'opéra à un monde qui ne connaissait pas la musique. Il jouera naturellement le producteur qui transmet la musique à son peuple. On ne se refait pas.

mardi 1 avril 2014

Captain America, quelques grammes de brutalité dans un monde complexe



Le genre : Jason Bourne a un problème avec les fenêtres

L’ensemble des productions Marvel Studios de ces dernières années à de quoi laisser perplexe. Le studio a refusé de prendre le virage de DC, de ne pas concevoir le super-pouvoir comme une source de névrose et de conflit intérieur, en gardant un ton plus positif et une iconographie plus pop. Les réussites sont diverses, allant du pas mal (Iron Man 1) au franc n’importe quoi (Thor 2, le premier Hulk). Un changement de cap (ha ! ha !) s’imposait.

Captain America, notamment est un personnage dont l’écriture se devait d’évoluer. Né en 1940 dans une ère de comics patriotique, il est le symbole d’une Amérique triomphante qui combat des ennemis clairement identifiés et clairement ennemis de la liberté, les nazis puis Hydra. Mais l’émergence de menaces diffuses amenait à une réflexion plus large, faisant de Cap le défenseur d’un idéal américain de liberté, et non d’un gouvernement, ce qui l’amènera d’ailleurs à se dresser contre le gouvernement.

C’est plutôt sur ce postulat que le film part, en construisant un scénario plutôt malin. Congelé pendant 60 ans, le Captain essaie de s’adapter à un monde changeant et obsédé par la sécurité et les moyens de la sanctuariser par des frappes préemptives. Le traumatisme de la guerre en Irak et du Patriot Act sont passés par là. On notera d’ailleurs sur sa to-do list un amour pour la France et une volonté de rattraper son retard culturel plutôt malin pour un GI des 40’s (Louis de Funes, Coluche, France 98 sont sur la fameuse to-do list !)

La force de cette suite, c’est donc de ne pas être tant un film de super-héros qu’un film d’action parano. C’est en cela qu’il est réussi, comme à chaque fois que Marvel se concentre sur ce qui rend son héros différent, sur son aspérité. Ici sur le moment déterminant ou pour le plus fidèle des soldats, la seule façon d’obéir est de se révolter. Captain America va donc devoir combattre un terroriste légendaire, le Soldat de l’Hiver, tout en émettant des doutes grandissant sur la légitimité des moyens et des finalités de l’organisation qui l’emploie, le SHIELD.

Le défaut du film, c’est cela dit cette partie super-héroïque de l’intrigue. Pas vraiment exploité, source d’un conflit moral secondaire finalement bancal et peu justifié, le méchant sert essentiellement à redonner un peu de « classicisme » comics à un film qui s’en passait justement très bien. Dommage.

L’action fonctionne, elle est même plus claire que dans les Avengers, quoique moins virtuose et le film réussit finalement à donner de l’épaisseur au personnage, contrairement au précédent, en assumant pleinement son côté assez débile. Quand on y pense, faire la synthèse entre un film de complot techno-sécuritaire parano et un personnage dont le seul super-pouvoir est de coller des énormes tatanes et de défoncer allègrement murs et fenêtres, on se dit que le pari n’était pas gagné.

Contrairement à Iron Man 3 qui commençait à lorgner sur Nolan et faisait de l’ironie de Stark un enjeu dramatique assez lourdingue, Captain America joue la carte inverse, et mise sur le volontarisme de son all-american boy, son sourire inoxydable et son attitude de fonceur un peu con, rôle dans lequel Chris Evans  prend d’ailleurs paradoxalement de la profondeur de jeu. L’alchimie avec les autres personnages repose justement sur ce postulat absurde, source de réflexions permanentes sur le fait que le plan est débile, mais que bon, quand même, c’est Captain America qui a décidé alors on va y aller. C’est cette dynamique qui rend d’ailleurs le nouveau venu, Falcon, immédiatement crédible et attachant. Ca et le fait que la justification de son super-pouvoir (qui n’en est pas un) tient pas mal la route par rapports à l’ambiance du film.

Tout le cast s’y prête et s’en donne à cœur joie, notamment Redford et Jackson, et l’ensemble du film fonctionne sur un humour de fond permanent, et non pas un humour de punchline pendant l’action, trop typique des années 90. Blague à blague, on dérive plus subtilement vers une réflexion plus large sur le rôle et la légitimité du super-héros, totalement absente du franchement raté Thor 2 (et présente mais mal branlé dans le premier Thor).

Dans la construction globale de l’univers ciné, Captain America et le Soldat de l’Hiver marque pour moi un jalon qualitatif, avec un film dont la personnalité et l’intrigue commence à se personnaliser en fonction du personnage, finalement plus que dans les Iron Man, d’écriture très classique. Quand, par ailleurs, le film en profite pour glisser quelques briques sur la suite (les jumeaux Maximoff, la première mention du Dr Strange), que demander de plus ?

La minute geek : les jumeaux Maximoff sont au centre d’une intéressante bataille juridique. Etant des personnages liés aux X-Men, puisqu’ils sont les enfants de Magneto, ils sont surtout des Avengers. Mais les franchises appartenant à des studios différents, Pietro sera joué par deux acteurs différents dans le prochain X-Men (Evan Peters) puis dans les Avengers (Aaron Taylor-Johnson). 

La minute sériephile : dans le genre actrice de séries, Emily Van Camp de Revenge (plaisir coupable mais série rigolote) s’en tire plutôt avec les honneurs là où Cobie Smulders de How I met your Mother fait de la figuration assez inutile.

Her, joliment simpliste




Le genre: Lost in Translation SF

En allant voir, Her, je me suis dit chouette, un nouveau Spike Jonze. Ça effacera le goût doux amer de Where the Wild Things Are, qui m’avait laissé assez perplexe. Et bien, non, c’est le contraire. Ne nous méprenons pas, Spike Jonze est un bon réalisateur. Mais finalement, ce que ce film révèle avant tout, c’est que ce n’est qu’un bon réalisateur. Que la folie de ses deux premiers films venait de Kaufman, son scénariste, et qu’il s’est contenté de la mettre en image. Magistralement, certes.

Ici donc, pour sa première tentative d’écriture, Spike Jonze accouche d’un film très beau plastiquement, mais dont le scénario est, au fond, d’une banalité effarante. Enfin non, ce n’est pas tant le scénario, d’ailleurs, bien construit, que le propos de fond qui est banal. Quel est donc ce propos ? En 2025, un écrivain qui se remet mal de son divorce achète un smartphone ultra avancé dont le système est une intelligence artificielle qui évolue en fonction de ses goûts et habitudes. L’intelligence, dont la voix est celle de Scarlett Johanson, devient si parfaitement adaptée à lui qu’il en tombe amoureux et commence une relation avec.

Par certains aspects, le film est indéniablement réussi. Jonze fait le pari d’une science-fiction où l’identification est facile, en menant une vraie réflexion sur le design de son monde (comme Andrew Niccol dans Gattaca). Dans dix ans, il imagine un monde de design fonctionnel Apple et Ikea, un effacement des caractéristiques culturels au profit d’un style post hipster mondialisé, à la fois très chaleureux et totalement désincarné; un fantasme normcore assez terrifiant mais tristement réaliste. Son choix de tournage entre Shangaï et Los Angeles crée une ville monde sans voitures, aux baies vitrées à perte de vue, qui brille par l’espace qu’elle offre. Assez malin, et, je le répète, très beau visuellement (et qui donne envie de retourner dormir dans un immeuble en centre-ville en Asie).

Le film trouve ses marques assez vite et a quelque chose de touchant, notamment dans l’acceptation complète de cette relation avec un être virtuel par les amis du héros. Ça donne d’ailleurs lieu à une des meilleures scènes du film, le double date avec un collègue en couple (le désormais très bien gaulé Chris Pratt, merci aux stéroïdes et au coach de Marvel). L’incompréhension et la jalousie de l’ex-femme est elle aussi bien vue, dans ce registre. 

Malheureusement, le film glisse assez vite vers une pente de SF plus dure, dont il ne sait pas trop quoi faire, ce qui crée une promesse qu’il ne tient pas réellement. De fait, plus la machine évolue, plus elle est intelligente et autonome, et, en filigrane, les autres téléphones se parlent, structurent leur "communauté", se cherchent, font revivre des philosophes, tentent de comprendre leur place dans la vie et dans le monde... L’hypothèse est intéressante, mais tout geek finit par en attendre la seule conclusion logique, d’un point de vue Asimovien ou Terminatorien, à savoir la prise de contrôle de cette humanité devenue molle. Ce qui évidemment ne vient pas, le propos n’est pas là.

Le propos, c’est plutôt de dire que la technologie nous a rendu plus introspectif, puisque notre téléphone est une fenêtre sur un monde de contenus filtrés, mais aussi incapable d’exprimer nos sentiments, sauf à des complets étrangers (deux intéressantes scènes sur l’avenir du plan cul à l’ère de Grindr et Tinder à noter sur ce sujet, d’ailleurs). La morale du film est donc finalement d’une insondable banalité, un propos rebattu sur la communication qui nous isole, bla, bla, bla, les vrais gens c’est mieux… Déjà le propos de Denise au téléphone, de Hal Swalsen, sorti en…1995.

Le film a indéniablement des qualités, notamment esthétiques et dramatiques, et propose une vraie réflexion d’anticipation. Il est indiscutablement bien joué, par Joaquin Phenix qui porte le film sur ses épaules, notamment dans les nombreuses scènes cadrées sur son visage sur l’oreiller. A ces deux points de vue, Her est une réussite. Malheureusement, il ne porte ni folie dans le message ni poésie dans la forme. Je le range dans la même catégorie que SimOne, de Niccol (encore lui), qui est un film que j’aime bien et avec qui il partage beaucoup (film indé, réalisation précise, anticipation maline et sans effets spéciaux, casting de stars). Je ne comprends juste pas pourquoi l’un est considéré comme un film mineur et l’autre comme un chef d’œuvre.

La minute geek : le film évite par une pirouette de poser une question  existentielle, au sens propre, à savoir la question de la liberté et de la réalité d’une intelligence non incarnée physiquement. Comme toujours, c’est une question que s’est posée à plusieurs reprises Star Trek, notamment sur les droits d’une forme de vie, fût-elle artificielle, dès lors qu’elle est consciente et évolue hors de ses paramètres de création. C’est justement sur ce terrain borderline que le film refuse de s’avancer, et c’est fort dommage.

La minute sériephile : Chris Pratt, avant de devenir le nouvel action hero de Marvel était surtout l’hilarant Andy dans la conceptuelle série Parks and Recreations, qui oscille avec bonheur entre The Office et Spin City.