mardi 14 janvier 2014

Sherlock, l'oeil vivant





Attention, je le précise, comme pour mes autres revues de saison de série, à moins d’être fan de spoilers, il vaut mieux avoir vu les épisodes en question. C’est d’autant plus vrai pour Sherlock que ce que je trouve intéressant dans le show tient à l’écriture et notamment à la vision rétrospective des faits que donnent d’autre faits, une technique chère à ce bon vieux Steven Moffat, déjà largement en œuvre dans Coupling. Je dévoile donc allègrement certains des plus gros twists, soyez prévenus.

La saison 2 de Sherlock nous laissait finalement peu sur notre faim, Moffat refusant clairement le cliffhanger à l’américaine pour offrir à ses spectateurs une réflexion plus intellectuelle pendant leur (longue) attente. Le dernier plan de la saison 2 levait donc toute ambigüité possible, Sherlock a survécu à sa chute, tout n’était qu’une mise en scène. La question en suspens n’était donc pas tant de savoir s’il était vivant, que de voir comment ses proches réagiraient quand ils découvriraient qu’il est vivant. Au suspens classique, le scénariste substitue un questionnement élégant sur le travail de deuil et la colère.
Il fait donc démarrer sa saison 3 sur les chapeaux de roues, dans un épisode qui multiplie les hypothèses sur comment Sherlock a maquillé sa mort. On notera d’ailleurs qu’il n’en confirme aucune, la dernière avancée par Sherlock pouvant tout à fait être un mensonge, ce qui a son importance pour la suite.
Dès le début, Moffat donne d’ailleurs le ton en refusant tout sentimentalisme, et en se moquant des changements de vie de Watson pour désarmer l’émotion. Il lance d’ailleurs le running gag de la saison sur la relation trouble qui unit Holmes et Watson, que tout le monde supposait en couple. Ce refus du sentiment est particulièrement intéressant, notamment dans la scène de retrouvailles traitées avec un humour nonchalant, puisqu’il confirme ce que le visuel ne cesse de nous rappeler, à savoir que la série épouse, à tout moment, le seul point de vue de Sherlock, et donc ne nous montre que ce que lui veut voir.

C'est bien Sherlock, cet oeil vivant de la série, et pas un narrateur. C'est d'ailleurs un renversement narratif profond et ironique, puisque dans les romans et, dans une certaine mesure dans la série, celui qui raconte c'est Watson. Mais toute la saison, principalement dans son 3ème épisode tend à prouver que Watson, quel que soit l'affection sincère et profonde que lui porte Sherlock, n'est pas du tout celui qu'on croit, ce dont Sherlock n'a jamais été la dupe. Il ne l'a simplement pas présenté comme ce qu'il est, à savoir un accro au danger, parce que la narration était plus intéressante de cette façon, mais c'est bien Sherlock qui ordonnance l'histoire, pas Watson.
 
Ce principe de réalisation par l'oeil du personnage ouvre la voie plusieurs scènes virtuoses qui nous font pénétrer dans l’esprit du détective, notamment dans le dernier épisode, où le temps se décompose quand son esprit réalise qu’il n’a que quelques secondes pour survivre. De la même façon que le temps se dilate quand, selon l’imagerie populaire, on voit défiler sa vie au moment de mourir, l’esprit de Holmes dilate le temps pour mieux réfléchir, puisque le souvenir n'a pour lui que valeur d’information, pas d’émotion. Même chose dans l’hilarante scène où Sherlock mène une enquête ivre mort et cherche, visuellement, ses mots sur une scène de crime.
Du point de vue du rythme, la série, et c’est peut être sa faiblesse, calque ici la saison 2 avec le même défaut. Le premier épisode répond au cliffhanger, le deuxième meuble avec une enquête quasiment sans rapport et le final est éblouissant. Une structure cela dit proche du Prestige de Nolan, où Moffat détourne sans même s'en cacher notre attention dans le 2nd épisode, pour nous faire détourner les yeux sur la machinerie du final, qui commence pourtant à se dessiner, comme dans un tour de magie.
Peu importe, en réalité, tant le final est riche. Dès les premières secondes, Moffat et Gatiss (coscénariste et acteur qui joue Mycroft) imposent un rythme permanent de montées puis de désarmement de l’émotion. Comme Sherlock qui voit tout le monde s’agiter alors qu’il connaît la fin de l'histoire, dans le 1er épisode. Ils jouent très consciemment à envoyer leur spectateur, ou leur personnage principal sur les mêmes fausses pistes, et essaiment les images qui auraient dû nous alerter dans les deux précédents, confirmant que la série épouse bien un point de vue unique, celui de son héros, dans un fascinant jeu de miroir entre l'action et l'écriture de l'action.

La victoire finale, encore un sacrifice de Holmes est en permanence contrebalancée par l’humour, notamment dans la scène d’adieu sur le tarmac, ce qui est logique, et conforme au ton de la série. Cette émotion indéfinissable, celle en réalité de Holmes qui refuse de l’exprimer, et que Moffat nous fait ressentir.

Tant dans la fond que dans la forme, la série prend de l’épaisseur quand nous comprenons que Sherlock, si intelligent qu’il soit, a un train de retard sur le nouveau méchant – impeccable Lars Mikkelsen, peut être encore meilleur comme négatif de Sherlock que ne l’était Moriarty, trop proche dans sa folie de Holmes. On note d’ailleurs qu’un petit élément visuel dans les lunettes de Magnusson légitime le temps de latence entre les deux saisons, indiquant que Holmes était présumé mort de 2011 à 2013. C’est là encore un élément qui a son importance, puisqu’il inscrit donc clairement la série dans une temporalité contemporaine.

Et pourtant...le générique de fin se lance sur ce Sherlock qui a du se résoudre à la violence pour éviter de perdre la partie. Et là, coup de génie, il s’interrompt pour consacrer le retour de Moriarty! Et là, la réaction des personnages est intéressante. Mycroft, Watson et Lestrade se décomposent, mais Holmes ne s’étonne pas du demi-tour de son avion, traité d’ailleurs avec le même humour finalement très détaché et désarmant au milieu d'une scène clé, par la réplique sur la leçon retenue de Mycroft. Ce qui laisse supposer, qu’en réalité, Holmes s’est encore bien foutu de nous, et ce, toute la saison. En mentant sur ce qui s’est passé sur le toit pour commencer, puis sur ce qu’il attendait vraiment depuis le début. Car après tout, qui a vu le corps de Moriarty ?
Le plan final post-générique est lui aussi un coup de génie, puisqu’il pose, enfin, la question que tout le monde se posait depuis le début de la saison : Sherlock, la série, peut-elle continuer sans Moriarty ? Miss me ? nous demande Moriarty… La réponse est un énorme oui, et prouve l’audace de l’écriture : toute une saison d’écran de fumée pour nous montrer que nous avons affaire à deux esprits supérieurs qui ne nous montrent que ce qu’ils veulent que l’on voit. Deux manipulateurs qui ont toujours trois temps d’avance. Holmes et Moriarty ou Moffatt et Gatiss ? Une vertigineuse et ludique mise en abyme du rôle du scénariste!

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