lundi 27 janvier 2014

Etude de cas: Xanadu l’adolescence de la série française





Pourquoi Xanadu, et pourquoi 3 ans après tout le monde. Je ne sais pas, je me suis aperçu que j’avais accès à l’intégrale en VOD et une personne dont je respecte en général le jugement m’en avait dit le plus grand bien. Et, le fait est que ça se regarde bien, agréable, une volonté de voir la suite, 8 épisodes de 40 min, c’est l’affaire d’un dimanche feignasse.

Bien m’en a pris, j’ai trouvé la série particulièrement intéressante non tant pour ses qualités propres que pour l’image qu’elle donne de l’évolution de la série française. Xanadu, c’est un projet d’Arte, faire une série plutôt quali sur le monde du porno. Là où Canal avait abordé le même sujet avec un esprit plus potache avec Hard, qui tenait plus du Weeds français, Xanadu brode avant tout une histoire de famille, pour le coup très française, quasiment chabrolienne, sur le secret.

L’ambition est évidente, dès le générique, et dans la photographie. Image léchée, lumière très filtrée, décor de château vieillissant, la forme est conçue pour servir le fond. A savoir une réflexion sur la transmission et sur un producteur vieillissant, qui refuse de voir que le porno, ce n’est plus Emmanuelle, c’est Youporn. Xanadu, par son titre même qui évoque Kubla Khan de Coleridge ou Citizen Kane, affiche une ambition littéraire et se concentrera donc sur un patriarche, sur sa volonté ou non de transmettre, sur sa conception de la famille et sur sa volonté de postérité.

Cette lumière, et toute l’ambiance sonore qui la souligne, fait furieusement penser aux Revenants. Les deux séries partagent la volonté de créer une atmosphère  douce-amère,une forme étrange de nostalgie du présent qui nimbe tout et désarme la violence. Si je me retrouve dans cet esthétique, je trouve en revanche qu’elle ne sert que partiellement le propos. Oui, elle fait passer le hard pour un milieu pro, qu’il est, et ré-humanise donc ses protagonistes. En revanche, ce décalage adoucit considérablement la violence que la série entend pourtant aussi dénoncer. On ne sait rapidement pas vraiment ce que Xanadu entend nous dire.

Même cette esthétique atteint souvent ses limites, quand elle nous envoie de la métaphore de plomb, ce qui est souvent le cas. Je pense notamment au cimetière sous la bretelle d’autoroute, histoire de bien nous faire comprendre à quel point la célébrité de la hardeuse est un faux semblant. Mouais.

Le jeu des acteurs est convainquant, sauf quand les personnages sont trop manifestement mal écrits, ce qui n’est pas malheureusment pas si rare dans la série (je pense ici au frère réalisateur arty et décalé, insupportable, ou à des personnages de passage, comme le diplômé d’HEC). Elle offre notamment un beau retour improbable à Vanessa Demouy (pas évident) dans un personnage de hardeuse fragile et terrifiée par l’âge. La réalisation gagnerait cela dit à moins poser ses personnages « à la française » avec ses jolis mais beaucoup trop nombreux plans américains de leur regard dans le vide, en train de fumer une cigarette ou de boire un verre, pour suggérer leurs tourments.

La lumière très crue d’Engrenages et son intrigue tortueuse autour de la folie du frère et de la mort de la mère, l’étrangeté onirique assumée de Pigalle la Nuit, le retour de la fille et l’émergence d’une femme dans un monde d’homme piqués à Mafiosa… La série mélange trop ouvertement une intrigue policière à une lecture qui se veut sociale du porno, le tout en ajoutant dans la tambouille dès le pilote des éléments fantastiques qui arrivent de façon prévisible. C’est toute la différence avec les Revenants qui, eux, assument parfaitement leur étrangeté, parce que la série n’a pas l’ambition de réalisme que Xanadu affiche par ailleurs malgré toutes ses affèteries. 

C’est à cause de ce refus de prendre une direction claire que l’intrigue finit par retomber comme un soufflé. Entre des personnages dont l’histoire devient risible tant elle n’a plus ni queue ni tête, au point que l’acteur part en roue libre (Julien Boisselier, suivez mon regard), et du fantastique totalement incongru Xanadu nous offre par exemple une amourette lesbienne très épate bourgeois. Le tout est entortillé dans une série de réflexions au fond assez débiles sur l’avenir du porno (la 3D, les webisodes…) en abandonnant son interrogation de départ sur le gonzo qui elle était porteuse de sens. Le volet policier de l’intrigue, qui comprend le secret devant tout expliquer du rapport entre les membres de la famille s’appuie sur des ellipses tellement énormes que sa résolution est totalement incompréhensible, ce qui conclut la série sur une note d’inabouti très tenace.

L’un dans l’autre, malgré des qualités de forme indéniables, le fond de Xanadu n’est jamais à la hauteur. Pourquoi, donc, disais-je que cette série est révélatrice d’un moment de l’histoire de la série française ? Parce que Xanadu est la tentative d’Arte de « faire du Canal », et que finalement ça ne tient pas la route. Quoiqu’agréable et par son ambiance assez attachante, Xanadu pioche dans toutes les recettes des séries Canal mais peine à se définir.

Loin de moi l’idée de tirer sur l’écurie Canal, je trouve que ses fictions sont parmi ce qui se fait de mieux en France et je suis un inconditionnel de la première saison d’Engrenages, de Pigalle et de Kaboul Kitchen. Mais, en se concentrant uniquement sur ce modèle, ne passe-t-on pas à côté de quelque chose? La série française est-elle forcée de devenir un cinéma bis, très intellectualisée et esthétisante, sur les démons qui nous agitent, et condamnée de ce fait au format court, et, même si ça me convient, et à un traitement dramatique, voire glauque ?

Le monde de nos séries est fragmentée entre la série populaire à pas cher de TF1, qui multiplie les clones de séries policières américaines (RIS, Sections de Recherche, Paris Enquêtes Criminelles ou encore le très récent et très bancal Crossing Lines), le format court initié par Caméra Café et décliné ad nauseam, la série franchouillarde type Joséphine Ange Gardien ou Famille d’accueil, et enfin  ce type de série qualité.
Cette segmentation laisse à penser que le public ne serait pas prêt pour des séries grand public ambitieuses. Et c’est à mon avis une erreur, quand on voit l’engouement du public pour les séries US. Alors, continuez à faire de la bonne série one-shot (un Pigalle la nuit, malgré toutes ses qualités, n’est pas viable sur plus d’une saison), mais à quand une vraie série française de qualité et grand public ?

mardi 14 janvier 2014

Sherlock, l'oeil vivant





Attention, je le précise, comme pour mes autres revues de saison de série, à moins d’être fan de spoilers, il vaut mieux avoir vu les épisodes en question. C’est d’autant plus vrai pour Sherlock que ce que je trouve intéressant dans le show tient à l’écriture et notamment à la vision rétrospective des faits que donnent d’autre faits, une technique chère à ce bon vieux Steven Moffat, déjà largement en œuvre dans Coupling. Je dévoile donc allègrement certains des plus gros twists, soyez prévenus.

La saison 2 de Sherlock nous laissait finalement peu sur notre faim, Moffat refusant clairement le cliffhanger à l’américaine pour offrir à ses spectateurs une réflexion plus intellectuelle pendant leur (longue) attente. Le dernier plan de la saison 2 levait donc toute ambigüité possible, Sherlock a survécu à sa chute, tout n’était qu’une mise en scène. La question en suspens n’était donc pas tant de savoir s’il était vivant, que de voir comment ses proches réagiraient quand ils découvriraient qu’il est vivant. Au suspens classique, le scénariste substitue un questionnement élégant sur le travail de deuil et la colère.
Il fait donc démarrer sa saison 3 sur les chapeaux de roues, dans un épisode qui multiplie les hypothèses sur comment Sherlock a maquillé sa mort. On notera d’ailleurs qu’il n’en confirme aucune, la dernière avancée par Sherlock pouvant tout à fait être un mensonge, ce qui a son importance pour la suite.
Dès le début, Moffat donne d’ailleurs le ton en refusant tout sentimentalisme, et en se moquant des changements de vie de Watson pour désarmer l’émotion. Il lance d’ailleurs le running gag de la saison sur la relation trouble qui unit Holmes et Watson, que tout le monde supposait en couple. Ce refus du sentiment est particulièrement intéressant, notamment dans la scène de retrouvailles traitées avec un humour nonchalant, puisqu’il confirme ce que le visuel ne cesse de nous rappeler, à savoir que la série épouse, à tout moment, le seul point de vue de Sherlock, et donc ne nous montre que ce que lui veut voir.

C'est bien Sherlock, cet oeil vivant de la série, et pas un narrateur. C'est d'ailleurs un renversement narratif profond et ironique, puisque dans les romans et, dans une certaine mesure dans la série, celui qui raconte c'est Watson. Mais toute la saison, principalement dans son 3ème épisode tend à prouver que Watson, quel que soit l'affection sincère et profonde que lui porte Sherlock, n'est pas du tout celui qu'on croit, ce dont Sherlock n'a jamais été la dupe. Il ne l'a simplement pas présenté comme ce qu'il est, à savoir un accro au danger, parce que la narration était plus intéressante de cette façon, mais c'est bien Sherlock qui ordonnance l'histoire, pas Watson.
 
Ce principe de réalisation par l'oeil du personnage ouvre la voie plusieurs scènes virtuoses qui nous font pénétrer dans l’esprit du détective, notamment dans le dernier épisode, où le temps se décompose quand son esprit réalise qu’il n’a que quelques secondes pour survivre. De la même façon que le temps se dilate quand, selon l’imagerie populaire, on voit défiler sa vie au moment de mourir, l’esprit de Holmes dilate le temps pour mieux réfléchir, puisque le souvenir n'a pour lui que valeur d’information, pas d’émotion. Même chose dans l’hilarante scène où Sherlock mène une enquête ivre mort et cherche, visuellement, ses mots sur une scène de crime.
Du point de vue du rythme, la série, et c’est peut être sa faiblesse, calque ici la saison 2 avec le même défaut. Le premier épisode répond au cliffhanger, le deuxième meuble avec une enquête quasiment sans rapport et le final est éblouissant. Une structure cela dit proche du Prestige de Nolan, où Moffat détourne sans même s'en cacher notre attention dans le 2nd épisode, pour nous faire détourner les yeux sur la machinerie du final, qui commence pourtant à se dessiner, comme dans un tour de magie.
Peu importe, en réalité, tant le final est riche. Dès les premières secondes, Moffat et Gatiss (coscénariste et acteur qui joue Mycroft) imposent un rythme permanent de montées puis de désarmement de l’émotion. Comme Sherlock qui voit tout le monde s’agiter alors qu’il connaît la fin de l'histoire, dans le 1er épisode. Ils jouent très consciemment à envoyer leur spectateur, ou leur personnage principal sur les mêmes fausses pistes, et essaiment les images qui auraient dû nous alerter dans les deux précédents, confirmant que la série épouse bien un point de vue unique, celui de son héros, dans un fascinant jeu de miroir entre l'action et l'écriture de l'action.

La victoire finale, encore un sacrifice de Holmes est en permanence contrebalancée par l’humour, notamment dans la scène d’adieu sur le tarmac, ce qui est logique, et conforme au ton de la série. Cette émotion indéfinissable, celle en réalité de Holmes qui refuse de l’exprimer, et que Moffat nous fait ressentir.

Tant dans la fond que dans la forme, la série prend de l’épaisseur quand nous comprenons que Sherlock, si intelligent qu’il soit, a un train de retard sur le nouveau méchant – impeccable Lars Mikkelsen, peut être encore meilleur comme négatif de Sherlock que ne l’était Moriarty, trop proche dans sa folie de Holmes. On note d’ailleurs qu’un petit élément visuel dans les lunettes de Magnusson légitime le temps de latence entre les deux saisons, indiquant que Holmes était présumé mort de 2011 à 2013. C’est là encore un élément qui a son importance, puisqu’il inscrit donc clairement la série dans une temporalité contemporaine.

Et pourtant...le générique de fin se lance sur ce Sherlock qui a du se résoudre à la violence pour éviter de perdre la partie. Et là, coup de génie, il s’interrompt pour consacrer le retour de Moriarty! Et là, la réaction des personnages est intéressante. Mycroft, Watson et Lestrade se décomposent, mais Holmes ne s’étonne pas du demi-tour de son avion, traité d’ailleurs avec le même humour finalement très détaché et désarmant au milieu d'une scène clé, par la réplique sur la leçon retenue de Mycroft. Ce qui laisse supposer, qu’en réalité, Holmes s’est encore bien foutu de nous, et ce, toute la saison. En mentant sur ce qui s’est passé sur le toit pour commencer, puis sur ce qu’il attendait vraiment depuis le début. Car après tout, qui a vu le corps de Moriarty ?
Le plan final post-générique est lui aussi un coup de génie, puisqu’il pose, enfin, la question que tout le monde se posait depuis le début de la saison : Sherlock, la série, peut-elle continuer sans Moriarty ? Miss me ? nous demande Moriarty… La réponse est un énorme oui, et prouve l’audace de l’écriture : toute une saison d’écran de fumée pour nous montrer que nous avons affaire à deux esprits supérieurs qui ne nous montrent que ce qu’ils veulent que l’on voit. Deux manipulateurs qui ont toujours trois temps d’avance. Holmes et Moriarty ou Moffatt et Gatiss ? Une vertigineuse et ludique mise en abyme du rôle du scénariste!