vendredi 6 décembre 2013

Casse tête chinois, ennui français





Le genre : Pomme C, Pomme V

Revenons aux sources. Ce qui a fait le succès de l’Auberge Espagnole, outre ses qualités d’écriture et ses nombreuses trouvailles visuelles (l’empilement des formulaires et autres), c’est le côté foncièrement générationnel du film et la capacité d’identification avec le héros. Tout le monde a vécu, ou a des amis qui ont vécu, cet Erasmus parenthèse enchantée, la rupture avec le copain/la copine restée en France, l’impression d’être jeune et d’avoir la vie à ses pieds. Et tout le monde a rêvé de faire comme Xavier, d’arracher sa cravate (sauf moi, j’ai horreur de sortir sans cravate, mais passons) et de dire merde au conformisme, au costard gris et de repartir faire la teuf.

Les Poupées Russes perdaient déjà une partie de sa force d’identification, mais la retrouvait ailleurs, dans le quotidien de ses trentenaires qui continue à galérer, qui doit jouer du pipeau à sa banquière, qui n’arrive pas à se stabiliser dans le couple. De façon intéressante, le premier film pouvait parler aux générations X et Y, mais celui-là perdait déjà les Y, qui eux se maquent plus jeunes que leurs aînés. Peut-être parce nous sommes nés dans des années 80 encore winneuses, là où eux n'ont toujours été confrontés qu'à un discours parano sur la crise, qui invite à se sécuriser autant qu'on peut.

Casse-tête chinois perd pour le coup tout le monde, avec une intrigue qui s’est encore invraisemblablement compliqué, pour ne plus ressembler à la vie de personne. Sauf si, bien sûr, la moitié de vos amis sont divorcés, ont habité dans deux pays, puis déménagent dans un troisième pour être près de leurs enfants que leur ex-femme a emporté, puis inséminent un couple de potes lesbiennes et épousent en mariage blanc une chinoise pour avoir des papiers. 

Le plus triste là dedans est qu'il présente en réalité un tableau d’une banalité à pleurer, sous couvert de modernité: le couple de lesbiennes sert de paravent moderne à une bonne vieille intrigue d'adultère vue et revue, l'hymne ravi à la famille recomposée est parfaitement grotesque et le dialogue sur le côté imprévisible de l'amour masque mal une célébration du couple finalement très traditionnelle. Un film qui n'a pas le dixième de la charge satirique sur le conformisme d'un volume au hasard de Balzac. 

Je n’ai pas totalement détésté Casse-Tête Chinois. Mais c’est avant tout un Klapisch très feignasse, qui se contente de reprendre mollement ses vieilles recettes. Les plans sont toujours très travaillés, il faut le reconnaître, Klapisch reste un cinéaste qui pense beaucoup plus son storyboard que beacoup d’autres. Mais à part ça, je suis quand même très peu emballé.

Au-delà de la faiblesse d’écriture, Klapisch nous propose quasiment un reboot de l’Auberge Espagnole, en recopiant méthodiquement la construction de son ancien film, et en le bourrant de ce qui ressemble à des références, mais sont en fait des pures redites. On aura donc de l’anim et des trouvailles visuelles inutiles dans la 1ère demi-heure, des philosophes en costume d’époque qui interviennent, des plans calqués mais dans un décor New-yorkais (le soulevage de cuisse si cher à Cécile de France), et même une répétition de la scène de quiproquo sexuel que tout le monde cherche à empêcher. Certes, cette scène est marrante, mais Klapisch n’a-t-il pas d’autres choses à nous raconter ?

Le tout est saupoudré d’une réflexion sur la construction des intrigues en général, puisque, ce que nous voyons, Xavier le raconte en même temps à son éditeur par Skype, lequel commente en se demandant si c’est un bon roman que le personnage nous concocte, avec de sérieux doutes. Klapisch nous fait ici un gros clin d’œil type "la fiction n’est jamais aussi folle que la vie, ha ha". Sauf que voilà. Son intrigue, justement, perd tout réalisme et est, de fait, un produit littéraire très pensé, ce qui tend à justifier le point de vue de l’éditeur. Le film, par sa forme un peu méta vient donc contredire son propre fond, mais ça ne gêne personne. 

En voulant à tout prix être libre, différent, Klapish a perdu l’aspérité de ses débuts, notamment sa jolie galerie décalée de Chacun cherche son chat, ou son vrai histrion radical du Péril jeune, pour ne faire qu’un film français de plus sur les problèmes d’engagement sentimental de jolis quarantenaires, doublé d’une pub pour Apple assez délirante.

A part quelques très bonnes scènes, où il retrouve son décalage de situation, et son humour, notamment l’hilarante scène de réunion en chinois non sous-titrée, ça ronronne, c’est mignon, mais le film manque quand même sacrément de sel et de rythme. A mon avis largement dispensable au cinéma.

La minute sériephile : sériephile, je ne sais pas si on peut aller jusque-là, mais pour compléter son casting de bilingues, pour jouer la copine de Cécile de France, Klapisch est allé rechercher une routière de la série de merde en coprod internationale, qui a enchaîné Les repentis, Witchblade ou autres Poltergheist les aventuriers du Surnaturel. Si vous avez été insomniaque dans les années 2000 et que vous regardiez Série Club ou 13ème Rue la nuit, ce visage vous est familier.

La minute geek : quand il ne pianote pas sur son MacBook (la moitié des plans du film), Xavier téléphone dans un téléphone à clapet. Une vision curieusement très 2003 de la coolitude.

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