Le genre: déchaînement de folie un peu trop sage
A voir la bande-annonce des Amants Passagers, on pouvait augurer d’un retour à un Almodovar
moins sombre et torturé que dans ces précédents films. Peut-être aussi moins
subtil et imbriqué du point de vue narratif, mais peu importe. Même si je
trouve que Talons Aiguilles et La Mauvaise Education, par exemple, sont
deux très beaux films, je leur ai toujours préféré les premières comédies d’Almodovar,
notamment Qu’est-ce que j’ai fait pour
mériter ça ou Femmes au bord de la
crise de nerf.
Ce que j’y aime, c’est à la fois le décalage et l’excentricité
des personnages et des situations, et l’incroyable énergie qui s’en dégage, le
plaisir un peu sadique qu’Almodovar prend à jouer avec ses personnages et à les
enfoncer dans des situations sur lesquelles ils n’ont pas prise. Evidemment,
les rencontres improbables, les mains tendues par des gens différents ont aussi
un rôle important, qui contribue à la chaleur de ses films.
Pour ces Amants
passagers, on revient donc aux fondamentaux, une galerie de personnages tous
différents, confrontés à un événement dramatique et bloqués dans la cabine de
première d’un avion qui tourne en rond en attendant une piste libre pour tenter
un atterrissage en catastrophe, potentiellement fatal. En attendant l’issue
fatale, on picole sec et on essaie de mettre de l’ordre dans sa vie, notamment
sexuelle, au cas où elle prendrait fin.
On ne sait pas trop si ce décor unique relève de la
contrainte économique ou d’une volonté ambitieuse de récréer un environnement
volontairement limité, proche de la scène de théâtre, voire de cabaret. Je comprends
aussi qu’Almodovar a voulu faire là une métaphore d’une Espagne qui va droit au
crash et qui préfère détourner le regard, mais le problème, c’est que ce choix
plombe un peu tout le film.
La galerie de personnages hystéros y est, entre les 3
stewards gay, la dominatrice SM célèbre, la voyante vierge à 40 ans, le tueur à
gages mexicain…Malheureusement, la contrainte de lieu limite les rencontres
fortuites, les chocs habituels, et fait perdre le sens du le vaudeville des
vieux Almodovar… L’imagerie, volontairement très kitsch tout comme l’outrance
de certaines scènes prêtent à sourire, mais avec un côté plus épate-bourgeois
que vraiment transgressif.
Chaque personnage aura son moment de bravoure, la révélation
de ses motivations, mais le film peine à susciter un véritable intérêt, d’autant
que la construction manque pas mal de liant entre les scènes. Je veux bien
admettre que le liant, ce sont précisément les passages « en coulisse »
dans l’office avec les stewards, acteurs d’un petit théâtre de cabine, mais ça
reste un peu mou. A quelques moments fugaces, on se prend à penser qu’il existe
un lien entre les personnages, plus
profond que celui qui finira par apparaître. Ces moments sont trop rares et ce
lien, trop artificiel, prend une partie du temps que l’auteur aurait dû
consacrer à peaufiner ses jolis personnages de cinglés.
Là où le film trouve son rythme, c’est précisément dans les
scènes où un personnage se révèle, dans les dialogues, particulièrement la
scène où Norma raconte son parcours, ou dans le touchant dialogue final entre
Joserra et le capitaine de l’avion. Beaucoup aussi de moments drôles
ponctuellement, soit de pur délire visuel, quand les stewards décident de faire
un show pour distraire les passagers, soit de dialogues virtuoses, quand la
moitié des personnages discutent bisexualité avec les pilotes dans la cabine
pour éviter le sujet qui fâche, à savoir un possible crash de l’avion.
J’ai aussi bien aimé le petit clin d’œil d’Almodovar à
Antonio Banderas et Penelope Cruz, qui n’apparaisse comme personnages très
secondaires que pour provoquer l’incident qui touche l’avion. Ce petit retour
comme moteur chez celui qui les a lancé, c’est à la fois drôle et bien vu.
Mais bon, l’ensemble reste décousu et l’intrigue secondaire « émouvante »
sur la folie et l’amour, la seule filmée hors de l’avion, tombe complètement à
plat.
Dans cette cabine, pendant 2 heures, on va beaucoup picoler, prendre de
drogues, souvent parler cul et pas mal pratiquer. Un film qui manque de la
noirceur des précédents, notamment du fait de sa cascade de happy ends, de leur
ambition narrative -ici pas de flashbacks ni de mélange entre fiction et
réalité- et de l’énergie WTF des premières comédies d’Almodovar. Agréable, sur le moment, mais ne laisse pas un souvenir impérissable, comme un plan cul, en somme. Ca tombe bien, c'est le titre.
La minute sériephile :
le fait de présenter les stewards, comme les pilotes, comme d’insatiables
obsédés, alcooliques et combinards m’a immanquablement fait penser à la série
anglaise Mile High, sur les aventures
de l’équipage d’une compagnie low-cost. Plutôt rafraîchissant, pas toujours
très fin dans la provoc, mais marrant. Et certainement moins tarte qu’une série
française du même type, comme La
Croisière, que TF1 a intelligemment remisé dans ces cartons à tout jamais
au bout de 4 épisodes.
La minute geek :
Profitez donc de votre nouvel amour pour Cécilia Roth, qui joue Norma, la
dominatrice SM, pour regarder Epitafios,
l’incroyablement poisseuse et dérangeante série d’HBO Argentine. Après, si
cette vision cauchemardesque de Buenos Aires vous a plu et que vous voulez
faire dans le geek chic snob et hispanisant, dépassez Del Toro ou Amenabar et
faites un tour du côté de Moebius de
Gustavo Mosquera, dont j’avais découvert l’existence à l’occasion de la sortie
de Mobius de Rochant. Un film assez
fascinant sur la vie du réseau de métro de Buenos Aires, quasiment traité comme
un personnage, qui a décidé de s’étendre au-delà de ses limites, et commence à
exister dans des dimensions parallèles.
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