Le genre : Le vieux "Tu ne connais rien à la vie" rencontre le jeune "Tu es devenu un vieux con".
Looper est
clairement un film de SF qui s’inscrit dans la lignée de Blade Runner, puis plus récemment de Gattaca. On va y voir des plans fugaces sur ce qu’est devenu le futur,
des impressions générales de la ville de demain mais pas de cours d’histoire.
Pareil pour la technologie, rien de radicalement novateur ou impossible :
des téléphones portables plus petits, des écrans tactiles, une motojet. Évidemment, le voyage dans le temps a été inventé, mais le comment n’est pas
détaillé et n’a, foncièrement, aucune importance. C'est un parti-pris qui ne fonctionne pas toujours, comme le démontrait brillamment le très raté In Time, mais ici, ça fonctionne plutôt bien.
Je ne dirai pas de l’histoire qu’elle est simple. Elle l’est
pour un fan de SF. Pour un novice, c’est déjà un brin plus déroutant : en
2075, le voyage dans le temps existe, mais est illégal et il est devenu quasi
impossible de faire disparaître un cadavre. La mafia renvoie donc ses victimes
trente ans dans le passé, ligotées et bardées de lingots d’argents, à un
endroit précis où un tueur les réceptionne et les abat, récupère l’argent et
détruit le corps. Ces tueurs sont des « loopers ». Un jour quand leur
contrat prend fin, la mafia leur renvoie comme victime leur moi du futur avec
des lingots d’or. Globalement, ils savent alors qu’ils ont trente ans de vie
devant eux, et de l’argent. La boucle est bouclée, d’où le titre. Ne pas tuer
son moi futur expose à des sanctions assez violentes (une des excellentes idées
visuelles du film, d’ailleurs, je n’en dirai pas plus). Le héros va évidemment
se trouver dans ce cas de figure et doit rattraper son moi futur et le tuer,
mais également échapper à la mafia contemporaine qui veut le chopper pour
contraindre son moi futur à se rendre (vous suivez ?).
Looper joue beaucoup avec son propre scénario et avec les
routes qu’il ouvre. C’est assez dangereux quand on traite du voyage dans le
temps, mais Looper s’en tire avec les
honneurs et avec de belles idées. Le héros se scarifie par exemple pour
laisser un message-cicatrice à son double, idée intéressante. Là où le film va
plus loin, c’est sur le fait que toute action trouble les futurs potentiels. En
défaisant la temporalité qui a fait que le jeune Joe (Gordon Levitt) est devenu
le vieux Joe (Willis), les souvenirs du vieux Joe s’effacent, mais celui-ci
sait immédiatement ce que le jeune fait, puisque cela crée un nouveau souvenir.
Jolie idée, plutôt bien exploitée.
Le film pèche un peu plus sur la forme, avec une
construction assez inégale et quelques longueurs. Je ne dis évidemment pas que
le film doit être tout action, ou son contraire, mais je trouve le dosage assez
curieux. Certaines scènes ne présentent aucun intérêt, notamment la scène de
cul, totalement gratuite et dénuée de sens. Le problème c’est qu’un peu toute
la demi-heure centrale tient du remplissage. J’ai, en outre, du mal à avoir de
la sympathie pour les personnages, qui, jeune ou vieux, et quoi que dise Bruce
Willis sur la rédemption, restent tous les deux le même connard de base.
Sur la forme, la transformation physique de Joseph
Gordon-Levitt ne me pose pas de problème en soi, il ne fait pas artificiel,
mais l’intérêt m’échappe… Ah, c’est pour qu’il ressemble à Bruce Willis jeune ?
A mon avis, sans maquillage il ressemble plus au Bruce Willis de Clair de Lune, qui avait exactement l’âge
actuel de Jojo, mais peu importe. Et ce n’est pas le vieux montage où le voit
vieillir qui me convaincra du contraire.
Attention, ce
paragraphe comprend un vieux spoiler dégueulasse. La fin, en revanche, me
laisse assez perplexe aussi. Le sacrifice de Joe est noble, OK, il croit avoir
mis fin au fameux cercle vicieux. Mais, foncièrement, dans la temporalité
originelle, le môme n’avait pas vécu tout ça, et il est bien devenu méchant,
alors qu’il était avec sa maman. Alors,
oui, il sait maintenant que Sara est sa mère et il est blindé de pognon. Mais
ça ne protège pas des accidents de la vie. C’est un peu le concept de Batman.
Et ce môme ne sait clairement pas gérer la pression. Vu le peu qu’on voit du
niveau d’insécurité dans le futur, je souhaite bonne chance à la mère
célibataire pour se taper la route pour New York en Twizy avec 900 kilos de
lingots d’argent. A mon avis, cette histoire tournera mal quand même. Donc oui, Joe, tu as raison, c'est un cercle, mais à part passer à coté de ta vie tu n'y changes pas grand chose. La bonne
nouvelle pour l’Asie, c’est que la mafia chinoise n’aura pas Bruce Willis comme
homme de main.
Bref, pas mal, un peu longuet, certainement pas la puissance
de l’Armée des 12 singes, et pas l’innovation
formelle de La Jetée, mais plus de
cohérence que, mettons, Timecop (OK,
comparons ce qui est comparable) ou Inception
(j’aime beaucoup Inception, mais il
faut admettre que ça n’a un peu ni queue ni tête). Dans la veine des films de
SF américains produits par des Français, je trouve Source Code un peu mieux dans l’ensemble, plus original et plus
radical dans le fond comme dans la forme.
La minute geek :
ce film pose une question très curieuse, quand Jeff Daniels ne comprend pas
pourquoi, en 2040, certains jeunes portent des cravates, héritages de la mode
du passé. Je ne révolutionnerai rien en disant que chaque présent imagine la
mode du futur comme une sorte de continuité de la sienne. Les fringues de 2015
dans Retour vers le futur 2 sont
furieusement 80’s, comme les costumes de Al dans Code Quantum sont très début des 90’s. Même parti pris ici, la mode
de 2040 sera une poursuite du retour du retro 60’s. Finalement, seule Star Trek a su dépasser cette idée en
partant du principe que passé 2600, on sera tous en pyjamas ou en sari.
La minute du
sériephile : le saviez-vous, il fut un temps où John Lithgow n’était
pas que le meilleur méchant de Dexter,
et où Joseph Gordon-Levitt n’alternait pas hit SF et comédie indé (certes, Mysterious Skin n’est pas vraiment une
comédie) ? Ils étaient le moteur de l’excellente sitcom 3ème planète après le soleil,
qui mérite d’être revue.