jeudi 15 novembre 2012

Un film sur le voyage dans le temps doit-il forcément faire une boucle ?




Le genre : Le vieux "Tu ne connais rien à la vie" rencontre le jeune "Tu es devenu un vieux con".

Looper est clairement un film de SF qui s’inscrit dans la lignée de Blade Runner, puis plus récemment de Gattaca. On va y voir des plans fugaces sur ce qu’est devenu le futur, des impressions générales de la ville de demain mais pas de cours d’histoire. Pareil pour la technologie, rien de radicalement novateur ou impossible : des téléphones portables plus petits, des écrans tactiles, une motojet. Évidemment, le voyage dans le temps a été inventé, mais le comment n’est pas détaillé et n’a, foncièrement, aucune importance. C'est un parti-pris qui ne fonctionne pas toujours, comme le démontrait brillamment le très raté In Time, mais ici, ça fonctionne plutôt bien.

Je ne dirai pas de l’histoire qu’elle est simple. Elle l’est pour un fan de SF. Pour un novice, c’est déjà un brin plus déroutant : en 2075, le voyage dans le temps existe, mais est illégal et il est devenu quasi impossible de faire disparaître un cadavre. La mafia renvoie donc ses victimes trente ans dans le passé, ligotées et bardées de lingots d’argents, à un endroit précis où un tueur les réceptionne et les abat, récupère l’argent et détruit le corps. Ces tueurs sont des « loopers ». Un jour quand leur contrat prend fin, la mafia leur renvoie comme victime leur moi du futur avec des lingots d’or. Globalement, ils savent alors qu’ils ont trente ans de vie devant eux, et de l’argent. La boucle est bouclée, d’où le titre. Ne pas tuer son moi futur expose à des sanctions assez violentes (une des excellentes idées visuelles du film, d’ailleurs, je n’en dirai pas plus). Le héros va évidemment se trouver dans ce cas de figure et doit rattraper son moi futur et le tuer, mais également échapper à la mafia contemporaine qui veut le chopper pour contraindre son moi futur à se rendre (vous suivez ?). 

Looper joue beaucoup avec son propre scénario et avec les routes qu’il ouvre. C’est assez dangereux quand on traite du voyage dans le temps, mais Looper s’en tire avec les honneurs et avec de belles idées. Le héros se scarifie par exemple pour laisser un message-cicatrice à son double, idée intéressante. Là où le film va plus loin, c’est sur le fait que toute action trouble les futurs potentiels. En défaisant la temporalité qui a fait que le jeune Joe (Gordon Levitt) est devenu le vieux Joe (Willis), les souvenirs du vieux Joe s’effacent, mais celui-ci sait immédiatement ce que le jeune fait, puisque cela crée un nouveau souvenir. Jolie idée, plutôt bien exploitée.

Le film pèche un peu plus sur la forme, avec une construction assez inégale et quelques longueurs. Je ne dis évidemment pas que le film doit être tout action, ou son contraire, mais je trouve le dosage assez curieux. Certaines scènes ne présentent aucun intérêt, notamment la scène de cul, totalement gratuite et dénuée de sens. Le problème c’est qu’un peu toute la demi-heure centrale tient du remplissage. J’ai, en outre, du mal à avoir de la sympathie pour les personnages, qui, jeune ou vieux, et quoi que dise Bruce Willis sur la rédemption, restent tous les deux le même connard de base.

Sur la forme, la transformation physique de Joseph Gordon-Levitt ne me pose pas de problème en soi, il ne fait pas artificiel, mais l’intérêt m’échappe… Ah, c’est pour qu’il ressemble à Bruce Willis jeune ? A mon avis, sans maquillage il ressemble plus au Bruce Willis de Clair de Lune, qui avait exactement l’âge actuel de Jojo, mais peu importe. Et ce n’est pas le vieux montage où le voit vieillir qui me convaincra du contraire. 

Attention, ce paragraphe comprend un vieux spoiler dégueulasse. La fin, en revanche, me laisse assez perplexe aussi. Le sacrifice de Joe est noble, OK, il croit avoir mis fin au fameux cercle vicieux. Mais, foncièrement, dans la temporalité originelle, le môme n’avait pas vécu tout ça, et il est bien devenu méchant, alors qu’il était avec sa maman.  Alors, oui, il sait maintenant que Sara est sa mère et il est blindé de pognon. Mais ça ne protège pas des accidents de la vie. C’est un peu le concept de Batman. Et ce môme ne sait clairement pas gérer la pression. Vu le peu qu’on voit du niveau d’insécurité dans le futur, je souhaite bonne chance à la mère célibataire pour se taper la route pour New York en Twizy avec 900 kilos de lingots d’argent. A mon avis, cette histoire tournera mal quand même. Donc oui, Joe, tu as raison, c'est un cercle, mais à part passer à coté de ta vie tu n'y changes pas grand chose. La bonne nouvelle pour l’Asie, c’est que la mafia chinoise n’aura pas Bruce Willis comme homme de main.

Bref, pas mal, un peu longuet, certainement pas la puissance de l’Armée des 12 singes, et pas l’innovation formelle de La Jetée, mais plus de cohérence que, mettons, Timecop (OK, comparons ce qui est comparable) ou Inception (j’aime beaucoup Inception, mais il faut admettre que ça n’a un peu ni queue ni tête). Dans la veine des films de SF américains produits par des Français, je trouve Source Code un peu mieux dans l’ensemble, plus original et plus radical dans le fond comme dans la forme.

La minute geek : ce film pose une question très curieuse, quand Jeff Daniels ne comprend pas pourquoi, en 2040, certains jeunes portent des cravates, héritages de la mode du passé. Je ne révolutionnerai rien en disant que chaque présent imagine la mode du futur comme une sorte de continuité de la sienne. Les fringues de 2015 dans Retour vers le futur 2 sont furieusement 80’s, comme les costumes de Al dans Code Quantum sont très début des 90’s. Même parti pris ici, la mode de 2040 sera une poursuite du retour du retro 60’s. Finalement, seule Star Trek a su dépasser cette idée en partant du principe que passé 2600, on sera tous en pyjamas ou en sari.

La minute du sériephile : le saviez-vous, il fut un temps où John Lithgow n’était pas que le meilleur méchant de Dexter, et où Joseph Gordon-Levitt n’alternait pas hit SF et comédie indé (certes, Mysterious Skin n’est pas vraiment une comédie) ? Ils étaient le moteur de l’excellente sitcom 3ème planète après le soleil, qui mérite d’être revue.