Deux heures de
tension éprouvantes, qui rivent
le spectateur à son siège dans un film quasiment sans dialogue. Le film
paradoxalement le plus humain de Nolan ?
Christopher Nolan a un sens aigu de l’image et un goût
prononcé pour les narrations complexes et imbriquées. Avec Dunkerque, il pousse
à l’extrême les deux passions dans une sorte d’épure de film d’action et
revisite la notion de film de guerre. Immersif, violent, éprouvant
physiquement, Dunkerque scotche littéralement le spectateur à son siège, tout
en lui donnant envie que tout ça se termine. Exactement comme ses jeunes
personnages.
Et on fait quoi
maintenant ?
Je ne dis pas jeunes héros à dessein, dans la mesure où Dunkerque n’est pas un film de guerre,
et encore moins une reconstitution historique, mais un film de survie. Son sujet, c’est des gens dépassés et harcelés par un
ennemi aussi implacable qu’invisible et qui n'ont qu’une hâte, qu’on vienne enfin les tirer du bordel.
Nolan prend le parti de ne pas contextualiser historiquement l’action pour
ne montrer que la terreur, l’instinct de survie, les barrières mentales qui
craquent les unes après les autres, mais aussi l’héroïsme dérisoire. Il plonge
littéralement son spectateur, surtout en Imax, dans un bourbier bruyant,
oppressant, dont on ne peut vouloir sortir, tant son film n’est qu’une tension
magistrale sonore et visuelle de deux heures, accentuée par la BO très appuyée
de Zimmer.
En écrivant un film quasiment sans personnages ni dialogues,
Nolan peut se concentrer sur son obsession de l’image et du son, jouer un
somptueux contraste permanent entre l’espace infini de la mer et la prison des
cales de bateaux en perdition où des centaines de soldats meurent noyés, entre
la lumière blanche du petit jour et la nuit de ces cales de bateaux, entre l’ordre
apparent de l’évacuation et la panique que cause soudainement le bruit du moteurs
des avions allemands.
Par de nombreux aspects, Dunkerque tient plus de
l’expérience que du film classique, tant ses
personnages sont peu développés. Même visuellement, en prenant en toile de fond permanente un Dunkerque
irréel, le Dunkerque moderne mais vide et fantomatique, Nolan utilise à plein
son terrain de jeu pour développer son imagerie terrifiante et son histoire à
tiroir, qui ne parle pas au fond de l’opération Dynamo, mais de l’instinct de
survie le plus viscéral et irrationnel.
La narration kaléidoscope
Dunkerque joue sur trois temporalités différentes annoncées
dès l’entrée, pour mêler trois approches différentes de son action. Une semaine
sans fin d’épuisement, d’espoir déçus et de mort au tournant pour les évacués, un
jour dans le destin des civils qui décident qu’il ont le devoir d’aider les soldats sans savoir dans quoi il s’embarquent, et une
heure de routine pour les pilotes, habitués à mourir et à voir surgir une mort
quasi instantanée et inattendue.
Nolan joue avec ses trois temporalités et ne cesse de s’appuyer
sur des motifs visuels, le chalutier échoué, le dragueur de mines en perdition,
l’amerrissage du Spitfire pour construire une histoire complexe dont les fragments communs
sont sans cesse réarrangés, ré-éclairés, le plus souvent dans les plans aériens
vertigineux. Le sentiment qui en resort est celui d'être perdu, balloté, de ne pas toujours comprendre, jusqu'à la delivrance. Très exactement le sentiment des personnages principaux.
Narrativement, il multiplie aussi les contrepoints, notamment
avec son traitement des aviateurs, très hollywoodien par ses impressionnantes
scènes de combat. Dans Dunkerque, les
aviateurs sont par définition seuls à bord et ne sont donc pas confrontés au
regard des autres. Ils sont également les seuls à intervenir peu dans la
temporalité du film, une simple heure, une petite mission, contre une semaine d’enfer
sur terre pour les fantassins. Le détail est loin d’être anodin, et quand ils
finissent par être confronté aux autres, le regard des soldats sur leur action
est loin d’être enthousiaste.
Nolan déroule sur deux heures sa narration avec la même logique
de va-et-vient qu’il a appliqué à son image, en allant du dérisoire au
grandiose en permanence, sans jamais donner la priorité à l’un ou à l’autre.
Affranchi notamment, des archétypes de héros de ses films précédents (et des
superstars mondiales qui les jouent), Nolan ne fait pour une fois que raconter
une histoire très humaine, celle de gens qui font ce qu’ils peuvent, tout
simplement, et qui ne se pardonnent pas de ne pas pouvoir faire plus.
A la fois stupéfiant visuellement, mais aussi très humain dans la dimension le plus intime, Dunkerque est un film qui ne peut être envisagé
et vu que sur grand écran. Mais dans ces conditions, c’est un film d’une
maîtrise époustouflante, doublé d’un film utile sur l’horreur de la guerre.
Et puis, quand même, la classe folle des uniformes de la
Royal Navy vaut à elle-seule le déplacement ! Notamment les vestes croisées
des officiers du bateau hôpital et, évidemment, le pardessus croisé d'un Kenneth Brannagh imperial de flegme britannique !
La minute geek :
l’un des aspects frappants de Dunkerque, c’est son cadre spatial si
particulier qui rappelle les limbes d’Inception.
C’est ce Dunkerque d’aujourd’hui filmé comme une ville morte, totalement vide
de civils. C’est évidemment historiquement faux, les habitants n’ont pas quitté
la ville, qui a également été méthodiquement rasé par les bombes allemandes, là
où celle du film est une ville fantôme mais debout.
De la part de Nolan, je vois là une volonté affichée de ne
pas faire un film historique et de lui donner un cadre intemporel, à la limite
de la SF, avec son ennemi invisible (on verra deux soldats allemands, en flou,
dans tout le film). Mais je ne peux m’empêcher d’avoir l’impression que ce
Dunkerque, c’est une map de jeu vidéo, un pur décor vide de civils qui rappelle
furieusement Call of Duty.