jeudi 12 février 2015

Jupiter Ascending

Quand tu as fait Matrix, tu peux tout te permettre, pour le reste de tes jours



Le genre : recette indigeste

Pour le scénar, on va la faire assez courte. Une gentille jeune fille méritante et nettoyeuse de toilettes de son état s’aperçoit un jour qu’elle est l’héritière d’un empire industriel intergalactique de vente d’humains. Hilarity ensues.

S’en suivent deux heures sept très confuses, parsemées de scènes d’action, normal, de punchlines et tentatives d’humour assez incongrues et de jeu calamiteux de la part de l’ensemble du cast. Le tout sur fond de vol assez décomplexé de toutes les idées d’univers SF qui ont marché, ou non, dans les 20 dernières années.

En vrac, Jupiter se fait kidnapper par des Roswell carnassiers, sauver par un loup garou blond platine très queer lors d’un combat de chasseurs spatiaux dans Chicago, Transformers 3 style, puis arrive sur Naboo. Là, elle doit combattre des dragons issus du calamiteux Super Mario Bros, se confronter à l’administration de Brazil, faire face à un complot gréco-romain et enfin combattre le vilain dans un décor qui mixe le vaisseau du méchant de Guardians of the Galaxy et Geonosis de Star Wars. Entre temps, sa famille humaine, d’origine russe, mange de la choucroute en rotant et en parsemant les dialogues de « par les couilles de Staline ». Un film d’art et d’essai, quoi.

Les Wachowski n’ont pas perdu le sens de la scène d’action, c’est indéniable. En fait si, quand on pense que dans Matrix ils avaient réinventé le genre, et qu’ici on est plutôt dans du bon Michael Bay. En dehors de ça, le film pourrait confiner au génie WTF d’un Battleship, mais ne cesse de se prendre au sérieux, notamment son méchant parfaitement grotesque, Eddie Reddmayne. Le pauvre a manifestement eu pour consigne de se faire passer pour Gary Oldman dans le 5ème élément - comprenez de parler très doucement et calmement 4 répliques sur 5 puis de hurler la 5ème.

Tout dans le film sent l’ambition, mais sent aussi qu’à un moment, le studio a compris l’ampleur du désastre et a commencé à essayer de limiter les dégâts. Résultat, à force de coupes mal gérées l’univers ne tient pas la route une seconde, tant les pistes sont lancées puis totalement abandonnées au cours du film.

Deux exemples : pour commencer les méchants enfants dont l’héroïne est la mère réincarnée… Admettons ce postulat débile. La manière de traiter la question légale est plutôt marrante. Mais la question de savoir lequel l’a assassiné est vaguement présentée comme un enjeu, avant que le film ne l’oublie une bonne heure, pour finalement traiter la question par-dessus la jambe. Oui, le méchant est bien le méchant. La sœur n’en pense pas moins, et a manifestement un plan, aussi vite largué qu’évoqué. L’autre frère est traité de la même façon, avec une grosse hésitation entre le porno chic façon Grey et la bitch de teen movie. Puis il disparaît du script et n'est plus mentionné.

Deuxième exemple, le sous-texte vaguement anticapitaliste du film. En gros, les trois méchants se partagent un empire, des planètes dont ils « moissonnent » les humains pour en faire de l’antiride Q10, en mieux. Le film évoque la « concurrence » qui justifie leur lutte sans aller très loin dans sa logique, puisque les principaux concurrents, ce sont les trois mômes eux-mêmes. La logique voudrait qu’ils bossent ensemble, puisqu’ils sont tous actionnaires de la même boîte, mais en fait non. Parce qu’on s’en fout.

Plus largement, la société du futur est présentée comme ultra-légaliste et tracassière, sauf pour les personnages, qui se massacrent allègrement, ouvrent le feu sur les flottes de leur armée et autres. Selon les besoins immédiats du scénario, le film opte pour une société verrouillée par les avocats ou une autre où la noblesse donne tous les droits…

Je passerai charitablement sur l’histoire d’amour parfaitement absurde entre le héros, « mi homme mi quelque chose comme un loup » et l’héroïne « qui adore les chiens »… Et sur les scènes d’humour incongrues sur la famille russe, probablement mise ici en contrepoint, pour faire l’inverse des Gardiens de la Galaxie qui évacuait la Terre dès l’intro.

Bref, à part quelques jolies images pas très originales, pas grand-chose à sauver. En même temps, les Wachowski, à part le premier Matrix et Speed Racer, pour son esthétique, c’est quand même l’histoire d’un naufrage magnifique…

La minute sériephile : triste destin que celui des ados de That 70’s Show. Entre Topher Grace qui cachetonne et la pauvre Mila Kunis qui vient ici ruiner le peu de crédibilité que Black Swan lui avait offert. Il n’y a bien qu’Ashton qui s’en soit sorti, en gigolant. Monde de merde.

La minute geek : c’est un peu compliqué tant tout est pompé à droite à gauche.

                                                                 

mardi 10 février 2015

Les fêtes véntiennes, Opéra Comique

Somptueux et sexy



De quoi ça parle
A Venise, la veille du Carnaval la Folie chasse la Raison et prend le contrôle de la ville.

J'aime 
Les différents tableaux liés par ce thème commun de la tentation, du désir et du plaisir d'y succomber.
Une mise en scène somptueuse, volontairement décalée et sexy, qui sert sans vulgarité ce propos très léger sur le caractère éphémère et violent du désir.
Des idées de mise en scène spectaculaire, de l'arrivée des gondoles au deux ex machina du dernier tableau.
Les tableaux d'ouverture et de fermeture qui jouent avec beaucoup de finesse sur un décalage entre les costumes modernes et les costumes d'époque, pour renforcer le contraste entre la réalité et le monde parallèle que constitue le carnaval.
Un orchestre très en forme, emmené par un William Christie sautillant et très en forme.


J'ai moins aimé
Peut-être un brin long dans les moments de ballet, mais c'est que je ne suis pas forcément très fan d'opéra ballet.

Les cartes du pouvoir, théâtre Hébertot

Efficace et bien mené



De quoi ça parle
48 heures dans une campagne primaire démocrate aux Etats-Unis entre conseillers, politiques et journalistes. 48h qui vont défaire une carrière.

J'aime bien
L'ensemble de la troupe est très juste, dans les rôles principaux comme dans les rôles plus anecdotiques.
Un décor très bien conçu pour multiplier les lieux et les ambiances.
L'utilisation de la musique dans une écriture quasi-télévisuelle, assez intéressante.
Des idées de mise en scène intelligentes pour contourner certains des écueils propres à la modernité du propos. Notamment l'omniprésence du téléphone portable.
Raphaël Personnaz convaincant de bout en bout, notamment quand le personnage perd pied.

Je suis moins convaincu
Par cette difficulté de donner des prénoms américains à des acteurs français. J'ai toujours la curieuse impression de voir du théâtre doublé. Mais c'est assez peu important.
Une dernière partie légèrement moralisatrice en mode "les politiques sont déconnectés des vraies gens". Je suis un peu sévère, cette scène est vite contrebalancée par le très beau monologue de Frémont sur la loyauté.

Pour poursuivre
Plus que House of Cards, dont le scénar US a été écrit par l'auteur de la pièce, les Cartes du Pouvoir m'a donné envie de revoir The Newsroom, notamment sur le rapport ambigu entre presse et staffs politiques dans les bus de campagne.

lundi 9 février 2015

Fragments, aux Bouffes du Nord

Doit-on rire de tout ?



De quoi ça parle
De rien de précis. De solitude, de folie, du temps qui passe, de la vanité de l'existence... Cinq pièces courtes de Beckett, sans personnages, des tranches de réflexion, autant sur la vie que sur le théâtre en soi.

J'aime
La violence radicale des deux pièces féminines sur le radotage et la solitude. Proprement terrifiant.
Le plafond du théâtre, qui est fort joli.


J'aime pas
Je suis pas bien sûr de piger le truc. C'est censé être du Beckett drôle, et une partie de la salle se gondole, mais j'ai surtout trouvé ça affreusement déprimant.
C'est un peu le nœud du problème, ce public qui fait exactement ce qu'on lui dit. Le programme dit que c'est du Beckett drôle alors on rigole. Sans savoir de quoi ni pourquoi.
Ce postulat forcément moderne de "revisiter" Beckett, comme dans Top Chef, pour dire qu'il est drôle. Alors que ces fragments portent sur une forme d'entraide désespéré, ou sur une croyance érigée en mode de vie, qui ne sont que deux pis-aller pour faire face à un constat sur la très profonde solitude de l'homme.

vendredi 6 février 2015

Interstellar



Démonstration magistrale d'écriture

De quoi ça parle
L'humanité a fini par flinguer la planète, mais, fort heureusement, la coolitude nonchalante et l'attitude un peu connard de Matthew McConaughey vont sauver notre avenir, contrairement aux moues pleureuses d'Anne Hathaway.

J'aime:

  • Complexe dans son univers mais remarquablement cohérent, comme tout Nolan. 
  • Le retour de sa petite obsession de se foutre du monde, en annonçant au bout de 5 minutes par des interviews d'anonymes que, oui, l'humanité sera sauvée, puis en le faisant oublier pour créer un suspense évident. Et bien évidemment la solution qui est dans le plan d'ouverture.
  • De la vraie émotion, si rare dans la SF... 
  • Un génie marketing assez poussé qui vient renforcer l'effet de surprise, quand un personnage clé majeur débarque alors que la star qui le joue n'a jamais fait aucune promo. 
  • Michael Caine, bah, Michael Caine, quoi. 
  • Hans Zimmer qui pousse le bouchon loin en osant l'orgue. 
  • Le cast impeccable, notamment McConaughey, parfait, comme toujours, ai-je envie de dire.
  • Le parti-pris d'effets spéciaux peu numériques et en 2D. L'idée de faire monter une tension juste avec le plan d'une aile qui tremble. Ou comment Nolan démontre en une seconde et demie.  la vanité d'un Gravity condamné à devenir ringard parcequ'il repose à 100% sur sa technologie 


J'aime moins: 
  • 45 bonnes minutes de trop, notamment la section centrale (la première planète) qui n'a strictement aucune fonction dans le récit. Ne me dites pas que si, puisqu'un personnage disparaît. Ce personnage n'avait lui-même aucune fonction. Il n'aurait pas été là, ça ne changeait rien au film. 
  • Nolan qui a toujours du mal avec ses scènes majeures, la scène de révélation clé du film étant parfaitement grotesque. Oui je parle de Jessica Chastain jetant ses feuilles Clairefontaine en hurlant Eurêka! Incroyable similitude avec Sophie Marceau à la fin de l'Etudiante de Pinotteau. Pas exactement une référence de fin réussie... 


Une parenthèse geek tout de même: de façon intéressante, les années 10 sont en train de revoir totalement le paradigme du voyage dans le temps. Des romans comme Blitz de Connie Willis (trop long mais cool) ou des BD comme UW1 (cool et cool), et bien entendu Interstellar partent désormais du principe que le temps est immuable, que le présent est déjà la résultante de tous les efforts de voyageurs du futur pour le changer. Et c'est très intéressant en termes de narrativité, dans la mesure où, concrètement, ça veut dire créer un suspense alors qu'il n'y en a pas. Interstellar s'en sort magistralement, Looper s'était un peu méchamment pris les pieds dans le tapis, malgré d'autre qualités.

Un illustre inconnu



Et si je faisais un meilleur toi que toi ?

De quoi ça parle
Monsieur Gris est chiant, gris et invisible. Oui mais voilà, il est capable d'imiter n'importe qui, et s'est créé un atelier de masques digne de Fantomas. Il espionne puis devient quelqu'un d'autre quelques heures, juste comme ça, c'est son truc. Jusqu'au jour où il à l'occasion de voir à plus long terme.

J'aime

  • Un polar français assez curieux mais bien conçu, qui explore un territoire inattendu (tout le contraire en somme de Elle l'adore). On ne sait jamais trop où Delaporte veut nous emmener, ce qui crée une tension fine mais réelle. 
  • Kassovitz excellent dans ses deux rôles, le mec insignifiant jusqu'au creepy et le violoniste snob. 
  • Une fin très douteuse moralement, mais totalement assumée, ce qui me plaît.

J'aime moins

  • De petites facilités dans l'intrigue policière qui rendent le propos très peu crédible (l 'absence d'autopsie dans l'enquête, qui aurait immédiatement éventé l'affaire).
  • Quelques petites afféteries qui sentent bien le Sciences Po, genre les noms de toutes les personnes dont Kassovitz emprunte l'identité, qui sont tous les noms réels d'écrivains connus sous leurs pseudo. Ha! Ha! Wink! Wink, mais tout ça n'amène pas grand chose.

Hiatus

Oui, j'ai été un peu silencieux quelques semaines. C'est principalement lié à un changement professionnel et à un changement technologique. Bref, la magie sous forme d'un nouveau laptop me permet de revenir en forme.

Comme ma haine peut refroidir vite (pas toujours, cela dit, dix ans après, je trouve toujours que La Revanche des Siths est un film au message politique particulièrement dangereux), je ne vais pas chroniquer dans le détail ce que j'ai vu ces derniers temps.

On va plutôt faire une série de  j'aime/j'aime pas rapides. Go! Go! Go!