lundi 25 novembre 2013

Cartel, le soleil noir de Ridley Scott





Le genre : poésie sombre

Le parallèle entre Nerval et Scott ne m’est pas venu immédiatement, mais il est pourtant pertinent, tant le dernier film de Ridley Scott est radical et poétique dans sa forme, et d’une insondable noirceur dans son fond. Le film tout entier est marqué par ce « soleil noir » tiré du Desdichado, par une intrigue très noire, et sans concession, mais toujours filmé dans des lumières éblouissantes. Et, comme en miroir, malgré sa violence, son cast all-star lui donne un glamour incroyable, là encore dans ce double rapport fascination-répulsion. Comme Nerval, il choisit des raccourcis stylistiques pour n’aller qu’à l’essentiel, l’image, le ressenti, et non l’intrigue.

De quoi nous parle Cartel ? D’un deal de drogue qui tourne mal, un concurrent volant la marchandise. Mais, premier parti-pris radical, Scott dépouille son film de toutes les affèteries propres à ce type de film noir, et coupe notamment tous les dialogues d’exposition. A sa manière, il nous dit, « cette histoire vous la connaissez par cœur, concentrons-nous sur autre chose ».

Ici, il ne garde donc que deux types de scènes, celles qui font avancer l’intrigue pure, mais en ne nommant ni les personnages, souvent hommes de main, ni les lieux, et sans nous dire qui est dans quel camp. Pas de scène sur le bling ou sur la misère, juste l’itinéraire d’un convoi. Les autres scènes sont essentiellement des confrontations entre ses stars, sur des dialogues ciselés et philosophiques. 

En gros, tout le monde essaie de convaincre le héros que rentrer dans le monde de la drogue est une décision dont il faudra à terme assumer toutes les conséquences. Le tout à base de dialogues très noirs, violents ou poétiques (de la torture à la vie du poète Machado), selon les interlocuteurs. Sur ce point Scott se rapproche de James Gray, dans une approche tragique, au sens littéraire, de son héros. L’orgueil, le refus de son destin d’homme cause une chute prévisible et inévitable, contre laquelle il va pourtant se débattre.

On sait dès la deuxième scène qu’aucune rédemption n’est envisageable. Dans cette scène, tout le film est condensé : le héros veut acheter un diamant hors de prix pour sa fiancée, et le diamantaire lui indique que le diamant, par sa nature, est un « avertissement » de l’homme à Dieu, un symbole intangible du refus de la décadence des corps pour les amants. Cette mention de la rébellion envers Dieu place donc effectivement le trajet du héros sous le signe de l’hubris : ce diamant  c’est également l’avertissement que s’enfoncer vers cette vie de luxe effrénée l’amènera irrémédiablement à sa chute.

Ridley Scott filme le tout, y compris des scènes ultra-violentes, dans une lumière magnifique, et nimbe le tout d’une élégance encore plus glaçante. De la lumière aveuglante du désert texan à la lumière blanche des tours de verre et acier de Londres, des riches patios mexicains au villas modernes des trafiquants, il baigne tout dans une photo somptueuse, en plaçant souvent son action, très éclairée, dans un cadre à contre-jour symbolique, rappelant la scène du théâtre où s’agitent en vain ses personnages.

Il s’affranchit également de tous les codes de bon goût et de bienséance, notamment lors de l’incroyable scène d’orgasme de Cameron Diaz. C’est là aussi un parti-pris radical, dans la mesure où, chose rare, Scott ne va ainsi définir ses personnages que par quelques scènes et dialogues clés, en refusant de nous donner leur histoire (voire même leur nom dans certains cas, comme celui du héros). 

Son film est de ce fait complexe à appréhender, tant on est tenté d’attendre et de chercher des réponses qui ne viendront pas. Le scénario de McCarthy est pourtant d’une simplicité, d’une épure incroyable : le deal a mal tourné, le cartel va se venger et tuant tout le monde, sauf celui qui a volé la marchandise et sait donc qu’il doit se planquer. Il est d’ailleurs d’autant plus simple que la clé nous est donnée au bout de 20 minutes, et que le méchant est le seul personnage dont un autre dit constamment qu’on ne peut pas lui faire confiance. Mais on refuse de croire à un truc si simple. Et c’est là l’un des messages de Scott, quasiment un manifeste contre la manie des sub-plots pour donner de l’épaisseur. Une bonne histoire peut être très simple, tout est question de savoir la raconter, nous dit Ridley.

Son cast est impeccable, autant Fassbender dans sa panique désespérée devant un destin contre lequel tout le monde l’a mis en garde, que Cameron Diaz, glaçante, ou Brad Pitt dans sa coolitude assez Tyler Durdenienne. Javier Bardem est le seul à être plus faible, son jeu étant trop proche de celui de Skyfall, où je l’avais déjà trouvé outrancier. Mêmes les seconds rôles sont impeccables, du diamantaire Bruno Ganz au magnifique monologue de Rubén Blades sur le fait que toute réflexion sur ce qu’on aimerait changer est vaine. Au moment où l’on s’aperçoit que l’on a fait un choix, il est déjà trop tard pour revenir en arrière.

Quand arrive la scène finale, d’une classe folle, dans un palace londonien, par le propos d’un des personnages sur l’élégance du guépard quand il tue, Scott boucle sa boucle en nous renvoyant à notre condition de spectateur de ce type de film. En allant voir un film sur un deal de drogue violent, que cherchions-nous ? 

Le voyeurisme, comme ceux qui payent les snuff-movies que l’intrigue mentionne ? Oh non, bien sûr, nous ne sommes pas de cette engeance, nous voulons une réflexion sur la violence, une stylisation de ses aspects graphiques. Et bien c’est justement ce que je vous ai offert, c’est dérangeant, non ? semble nous dire Scott, n souriant, dans son final radical et nihiliste. Un film qui ne plaira pas à tous, mais un très grand film.

La minute sériephile : amusant de croiser Margarye Tyrell, la princesse du peuple de King’s Landing dans un rôle de pétasse californienne blonde. Cette jeune fille a décidemment du potentiel.

La minute geek : point de geekerie, voire de références à quoi que ce soit ici, Scott est trop occupé à nous jeter au visage la cruauté du monde contemporain.

mardi 19 novembre 2013

Ender's Game, le Full Metal Jacket geek ?





Le genre : Harry Potter à l’école des criminels de guerre

Petite précision, je n’ai pas lu les romans, et je ne traiterai pas du positionnement de leur auteur, sympathique mormon à côté duquel Christine Boutin est une ardente militante du mouvement LGBT. Je ne le traiterai pas précisément parce que le film présente plutôt une idéologie humaniste, voire tolérante. Dans ce sens Ender’s Game est plutôt dans la lignée de Starship Troopers, dans une construction qui entend plutôt dénoncer que glorifier la militarisation de l’humanité.

De quoi parle-t-on ici ? Cinquante après une attaque extraterrestre qui a failli rayer l’humanité de la carte, une flotte internationale choisit les enfants les plus intelligents et les envoie dans une école militaire ultra bad-ass dans l’espoir de former le commandant ultime, seul à même d’anticiper les mouvements ennemis et de protéger la Terre.

Harrisson Ford joue (sans vraiment se fouler, il faut bien le reconnaître)  le directeur de cette école, fasciné par son jeune élève Ender, dont le parfait profil de sociopathe l’enthousiasme au plus haut point. Ender, de son côté est un bambin charmant, doté d’un solide esprit analytique et d’une grande capacité d’empathie mais qui ne s’en sert que pour manipuler les autres, puisqu’il ressent le poids de ses actes, mais juge ensuite de ce poids selon un ratio coût/efficacité assez glaçant. 

Ender varie ainsi les traitements qu’il inflige à ses petits camarades, de la violence physique sans la moindre retenue à l’humiliation publique en fonction de ses assaillants, son seul but étant que chaque fois qu’il est attaqué, sa réponse doit être adaptée à l’adversaire pour que celui-çi n’aie plus l’idée saugrenue d’y revenir. Le tout joué par Asa Butterfield avec une violence contenue et un calme que ne renierait pas Dexter.
Encore une fois, je n’ai pas lu le bouquin, mais je pressens que sa forme est plus adaptée à l’histoire que n’est le film, qui enfile pépère les scènes, où Ender gagne à chaque fois pour nous montrer à quel point il est balèze. On est donc dans une progression très linéaire, parfaite pour le jeu vidéo de la franchise, tant elle suit la logique niveau, puis boss.

Je fais un petit écart, mais je ne m'étonne qu'à moitié de l'attrait des romans sur la culture nerd. C'est essentiellement la revanche de l'intello crevette introverti persécuté sur tout le monde. Cela dit, si Ender finit par triompher des méchants bullies du lycée, c'est aussi parce que c'est aussi un désaxé ultra-violent. A vrai dire, je ne suis pas très convaincu qu'il soit un modèle à suivre. Si l'Etat ne lui avait pas offert de devenir criminel de guerre ce qui canalise sa violence, ce pauvre garçon aurait certainement fini en tueur de lycéens, type Colombine.

Mais je m'égare. Là où le film est cela dit plus vicieux, intéressant et subtil, c’est qu’Ender pense jouer à un jeu, à une simulation pour se préparer, alors qu’il commande sans le savoir une flotte réelle. Seul les officiers savent que son rôle sera clé, et débattent entre eux de la moralité de leurs actions. Comme souvent dans ce genre de film, le point de vue de Ford est que le sacrifice de l’âme de ses enfants est un prix acceptable par rapport à la destruction de l’humanité. C’est finalement un discours sur la fin justifiant les moyens qui prévaut dans beaucoup de film, mais sans être souvent posé en termes aussi radicaux. 

Sur ce point, déjà, Ender’s Game offre une lecture plus contrastée qu’on pourrait le penser. En allant plus loin, la réaction d’Ender quand il comprend non seulement qu’il a envoyé des milliers d’homme à la mort, et accessoirement ordonné un génocide contre une race dont les motivations belliqueuses ne sont pas, ou plutôt plus, clairement établies est révélatrice. Ce qu’Ender’s Game suggère avec une aridité qu’on ne voit plus si souvent, c’est que cette dialectique de justification de l’emploi de la force est idiote et, fondamentalement, inhumaine. Parce que le seul qui peut prendre des décisions aussi violentes n’est pas le commandant parfait, mais le commandant qui ignore la portée de ses actes. Ender le dit, en temps réel, il n’aurait pas pris les mêmes décisions, l’enjeu étant différent.

En approchant la question par les yeux de l’enfant qui joue, et ne cherche donc qu’à gagner, par vanité et par plaisir, sans prendre en compte la morale ou la dimension réelle de ses actes, notamment la portée des sacrifices qu'il consent, le film dénonce la non prise en compte des impacts d’une décision et/ou le refus de la prendre par ceux qui ont toutes les cartes en main. Le sujet du film n’est pas tant la guerre, que la capacité d’une démocratie à agir en tant de guerre, dès lors qu’elle doit prendre les intérêts de tous en compte, réflexion qui poursuit celle de Battlestar Galactica. La réponse qu’apporte le film est d’ailleurs ambigüe et laisse la question ouverte.

Je ne reviendrai pas là-dessus, mais je répète que le sous-texte du plus récent Star Wars est nettement plus dérangeant, dans sa façon de confier la définition du bien, en morale pure comme en politique concrète, à un ordre religieux armé qui ne répond à personne et rejette toute contradiction. Certain ont trouvé Ender fascisant, je lui trouve au contraire le mérite de poser que ce qui caractérise l’humain, c’est l’indécision, la pitié et l’espoir, et non la certitude de ses croyances.

Alors Ender’s Game, pourquoi pas ? Certes, la linéarité et les dialogues ne sont pas très enthousiasmants, quitte à mettre en permanence le spectateur dans l’attente de quelque chose qui ne vient pas vraiment. Mais le film fait le job visuellement, notamment pendant la bataille finale et les scènes d’entraînement sans gravité. Et surtout, il offre une lecture plus originale que celle du space opéra béat et met le doigt sur des zones un peu sensibles. Et c’est déjà beaucoup.

La minute geek : toujours intéressant de voir dans les films d’anticipation comment les designers se concentrent sur certains aspects mais rejettent la réflexion sur tout le reste. Ici, on se bat en zéro gravité sans soucis dans des combinaisons en tissu intelligent, on construit des vaisseaux interstellaires équipés de canon qui détruisent le lien entre les molécules, mais les mômes ont des Ipads et les bagnoles roulent encore sur des routes en asphalte. Je préfère mon bon vieux Gattaca et sa SF low-tech, qui finalement était le plus proche de la réalité (téléphone montre, voiture électrique et scanner biométrique).

La minute nanarphile, à défaut d’être sériephile : Ben Kingsley cachetonne ici, ce qui n’est pas exactement tout à son honneur (encore qu’il ait fait bien pire, notamment un consternant navet sri-lankais A Common Man.