mardi 16 avril 2013

Les amants passagers, titre remarquable de lucidité d'un film sympa mais oubliable


Le genre: déchaînement de folie un peu trop sage



A voir la bande-annonce des Amants Passagers, on pouvait augurer d’un retour à un Almodovar moins sombre et torturé que dans ces précédents films. Peut-être aussi moins subtil et imbriqué du point de vue narratif, mais peu importe. Même si je trouve que Talons Aiguilles et La Mauvaise Education, par exemple, sont deux très beaux films, je leur ai toujours préféré les premières comédies d’Almodovar, notamment Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ou Femmes au bord de la crise de nerf

Ce que j’y aime, c’est à la fois le décalage et l’excentricité des personnages et des situations, et l’incroyable énergie qui s’en dégage, le plaisir un peu sadique qu’Almodovar prend à jouer avec ses personnages et à les enfoncer dans des situations sur lesquelles ils n’ont pas prise. Evidemment, les rencontres improbables, les mains tendues par des gens différents ont aussi un rôle important, qui contribue à la chaleur de ses films. 

Pour ces Amants passagers, on revient donc aux fondamentaux, une galerie de personnages tous différents, confrontés à un événement dramatique et bloqués dans la cabine de première d’un avion qui tourne en rond en attendant une piste libre pour tenter un atterrissage en catastrophe, potentiellement fatal. En attendant l’issue fatale, on picole sec et on essaie de mettre de l’ordre dans sa vie, notamment sexuelle, au cas où elle prendrait fin.

On ne sait pas trop si ce décor unique relève de la contrainte économique ou d’une volonté ambitieuse de récréer un environnement volontairement limité, proche de la scène de théâtre, voire de cabaret. Je comprends aussi qu’Almodovar a voulu faire là une métaphore d’une Espagne qui va droit au crash et qui préfère détourner le regard, mais le problème, c’est que ce choix plombe un peu tout le film.  

La galerie de personnages hystéros y est, entre les 3 stewards gay, la dominatrice SM célèbre, la voyante vierge à 40 ans, le tueur à gages mexicain…Malheureusement, la contrainte de lieu limite les rencontres fortuites, les chocs habituels, et fait perdre le sens du le vaudeville des vieux Almodovar… L’imagerie, volontairement très kitsch tout comme l’outrance de certaines scènes prêtent à sourire, mais avec un côté plus épate-bourgeois que vraiment transgressif. 

Chaque personnage aura son moment de bravoure, la révélation de ses motivations, mais le film peine à susciter un véritable intérêt, d’autant que la construction manque pas mal de liant entre les scènes. Je veux bien admettre que le liant, ce sont précisément les passages « en coulisse » dans l’office avec les stewards, acteurs d’un petit théâtre de cabine, mais ça reste un peu mou. A quelques moments fugaces, on se prend à penser qu’il existe un lien  entre les personnages, plus profond que celui qui finira par apparaître. Ces moments sont trop rares et ce lien, trop artificiel, prend une partie du temps que l’auteur aurait dû consacrer à peaufiner ses jolis personnages de cinglés. 

Là où le film trouve son rythme, c’est précisément dans les scènes où un personnage se révèle, dans les dialogues, particulièrement la scène où Norma raconte son parcours, ou dans le touchant dialogue final entre Joserra et le capitaine de l’avion. Beaucoup aussi de moments drôles ponctuellement, soit de pur délire visuel, quand les stewards décident de faire un show pour distraire les passagers, soit de dialogues virtuoses, quand la moitié des personnages discutent bisexualité avec les pilotes dans la cabine pour éviter le sujet qui fâche, à savoir un possible crash de l’avion.

J’ai aussi bien aimé le petit clin d’œil d’Almodovar à Antonio Banderas et Penelope Cruz, qui n’apparaisse comme personnages très secondaires que pour provoquer l’incident qui touche l’avion. Ce petit retour comme moteur chez celui qui les a lancé, c’est à la fois drôle et bien vu. Mais bon, l’ensemble reste décousu et l’intrigue secondaire « émouvante » sur la folie et l’amour, la seule filmée hors de l’avion, tombe complètement à plat.

 Dans cette cabine, pendant 2 heures, on va beaucoup picoler, prendre de drogues, souvent parler cul et pas mal pratiquer. Un film qui manque de la noirceur des précédents, notamment du fait de sa cascade de happy ends, de leur ambition narrative -ici pas de flashbacks ni de mélange entre fiction et réalité- et de l’énergie WTF des premières comédies d’Almodovar. Agréable, sur le moment, mais ne laisse pas un souvenir impérissable, comme un plan cul, en somme. Ca tombe bien, c'est le titre.

La minute sériephile : le fait de présenter les stewards, comme les pilotes, comme d’insatiables obsédés, alcooliques et combinards m’a immanquablement fait penser à la série anglaise Mile High, sur les aventures de l’équipage d’une compagnie low-cost. Plutôt rafraîchissant, pas toujours très fin dans la provoc, mais marrant. Et certainement moins tarte qu’une série française du même type, comme La Croisière, que TF1 a intelligemment remisé dans ces cartons à tout jamais au bout de 4 épisodes.

La minute geek : Profitez donc de votre nouvel amour pour Cécilia Roth, qui joue Norma, la dominatrice SM, pour regarder Epitafios, l’incroyablement poisseuse et dérangeante série d’HBO Argentine. Après, si cette vision cauchemardesque de Buenos Aires vous a plu et que vous voulez faire dans le geek chic snob et hispanisant, dépassez Del Toro ou Amenabar et faites un tour du côté de Moebius de Gustavo Mosquera, dont j’avais découvert l’existence à l’occasion de la sortie de Mobius de Rochant. Un film assez fascinant sur la vie du réseau de métro de Buenos Aires, quasiment traité comme un personnage, qui a décidé de s’étendre au-delà de ses limites, et commence à exister dans des dimensions parallèles.