lundi 28 janvier 2013

Zero Dark Thirty, une percée fascinante dans le quotidien d'employés de bureau qui mangent des Snickers





Le genre : Ce soir En quête d’action revient sur l’incroyable traque qui a passionné le monde pendant dix ans.

Zero Dark Thirty, bien avant sa sortie, arrivait précédé par la polémique qu’impose son format. En se voulant documentaire et ultra-réaliste, le film sur la traque de Ben Laden ne laisse pas dans l’ombre le fait que la CIA a torturé pour obtenir des informations. Soit. Le film dit ne pas faire l’apologie de la torture, puisqu’il ne présente que des faits bruts et non une analyse. C’est là où je commence à être un peu circonspect.

En ne montrant qu’un côté de l’histoire, et en refusant notamment de montrer le terrorisme des ennemis, le film est de fait de parti-pris. Les premiers sons du film sont des morceaux d’enregistrements réels lors des attaques du 11 septembre. Or le choix des enregistrements ne met ni en avant les secours, ni même le déroulement des attentats, mais uniquement le pathos de victimes innocentes. Pour un film sans biais, on repassera. Tout le monde sait ce qu’est le 11 septembre, se souvient du choc ce jour-là. Les images des tours, sans commentaires auraient été plus habiles. 

C’est là tout le problème de ce film. Les seuls attentats montrés à l’image, celui du Mariott d’Islamabad ou de Camp Chapman, sont des attentats contre les personnages du film ! Rien de la folie des talibans ou d’Al Qaïda, des bombes sur les marchés (OK, soyons honnêtes, il y a peut-être bien une bombe sur un marché dans la première heure, mais je m’étais endormi, on y reviendra). Sous ses airs bonnasses, le film est donc bien de parti-pris, celui de ses personnages, pour qui la torture n'est pas exactement un problème.

La seule évocation de la torture dans la seconde partie du film, post-Obama, sera pour constater, certes sans s'en plaindre, que c’est quand même moins facile d’avoir des renseignements maintenant que les détenus ont des droits. Pas exactement une condamnation. Je ne suis pas analyste de renseignement, je ne sais pas si le coût moral de la torture l’emporte sur les vies épargnées, mais ce que je sais, c’est que Kathryn Bigelow, elle, a une position très claire sur la question, quoi qu’elle s’en défende.

A la rigueur, ce parti-pris, en soi, ne me dérange pas, tant qu’il est assumé. Après tout, la totalité de la série 24 repose dessus. Ce qui m’ennuie plus, c’est justement l’ennui. En refusant de faire un choix clair entre documentaire et scénarisation, Bigelow a surtout fait un film très chiant, décousu et mal rythmé.

C’est logique, si on y réfléchit. En gros, des analystes bureaucrates ont passé dix ans à se fader des vidéos d’interrogatoire et à lire des rapports en mangeant des Snickers pour trouver une piste. Bingo, celle qu’ils ont fini par dégotter, après un travail bien relou par la stagiaire pour retrouver un suspect qui s’appelle en gros Jean Martin, est la bonne. Après une filature chiante (ben ouais, suivre une bagnole dans les embouteillages, c’est relou), ils ont trouvé une maison. Ils ont regardé la maison avec des satellites depuis d’autres bureaux, avant de déterminer que Ben Laden y était sûrement caché.

Donc après deux heures très excitantes de vie de bureau, on passe au fameux raid. Mais là encore, pourquoi filmer comme si un téléfilm d'action la réalité ? La réalité n’est pas un film, il n’y a pas de suspense. Vingt mecs surarmés et surentraînés, avec le meilleur matériel du monde, qui attaquent une maison où sont endormis 3 mecs armés, dont un vieillard, surtout quand on sait pertinemment que le commando n’a pas subi de pertes, c’est chiant. N’oublions pas que le principe de l’entraînement et des procédures de ces commandos est justement de réduire au maximum tout risque inattendu.

Au lieu de faire un film sur l’attente et le doute, Bigelow a tenté de faire un film de cowboys, mais sans avoir le matériel pour. Résultat, c’est à la fois complaisant et très longuet. Je ne m’étendrai pas sur les dialogues grotesques, tirés de The Expendables, mais sans la moindre ironie, à base « I’m gonna find him and kill the bastard », et sur la totale absence de profondeur des personnages, réduits à leur hystérie de trouver Ben Laden, sans que l’on comprenne leur motivation, autre que leurs ordres, à part peut-être pour l'héroïne, dont une scène évoque vaguement quelque chose de plus personnel, avant d'oublier de creuser la piste. 

Zero Dark Thirty, c'est un gros épisode d’En quête d’action, sans voix off pour meubler les nombreuses longueurs. Quand on veut faire un film sans gadgets et sans technologie sur le jeu intellectuel de l’espionnage et l’obsession, on réfléchit un brin à son écriture et on fait La Taupe. Sinon, on fait un Bourne. Mais pas ça.

La minute du sériephile : gros casting de guests-stars qui ont trois répliques. Mentions spéciales à John Barrowman (4 saisons de Torchwood, ici deux répliques, littéralement), James Gandolfini (6 saisons des Soprano, 8 répliques, dont 6 avec « fuck »), Jessica Collins (de l'excellente série Rubicon, précisément sur le thème des espions de bureau, ici dans le rôle de la stagiaire et dont une des trois seules répliques porte sur le chich kebab) et Reda Kateb d’Engrenages, qui fait partie des acteurs français parlant arabe cantonnés aux rôles de caïds de cité, si la série est française, et de terroristes si la production est américaine. On croise aussi Harold Perrineau, de OZ et Lost, et Kyle Chandler, de Friday Night Lights et Demain à la Une qui ont presque des vrais rôles. IMDB prétend que Simon Abkarian a trois répliques, mais je devais dormir à ce moment-là.
La minute geek : apparemment la NSA utilise pour le traçage des portables des vieux IBM moisis à cristaux liquides en sépia, ambiance le premier ordi portable de ton père en 1988. Et le gadget le plus high tech du film, c’est un vieux Nokia qui sonne quand celui du méchant sonne. Ah ouais, y’a aussi un hélicoptère furtif de la mort, mais bon il s’écrase comme une merde. D’ailleurs, il prenait quoi comme somnifère Ben Laden ? La CIA a crashé un hélicoptère dans son jardin et il ne s’est pas réveillé ?

mercredi 23 janvier 2013

Django Unchained: attention, ceci n'est pas un film engagé!



Le genre :western Grolsch 



Vous n’imaginerez pas les âneries que j’ai entendues dans la file de sorties de la part d’un petit couple, sur « l’humanité plus humaine » des esclaves noirs et le fait que l’esclavage, ce n’est pas cool. Le propos de Django Unchained n'est pas là, c’est une histoire de vengeance, qui joue sur les codes du western, point barre.

Pourquoi Grolsch alors? Parce que Django Unchained ne peut pas être un western spaghetti, même si le film rend hommage au genre. Mais cette hommage est teinté d'une ironie tellement prononcée qu’elle frise le hipster. Le hipster, buveur de Grolsch, comme chacun sait, la Heineken étant trop bourgeoise et la 8.6 encore un peu trop clocharde pour son sens du confort. Et puis Grolsch file des badges. Et les badges, c'est cool, mais je m'égare.

Après  Inglourious Basterds, que je continue à lui préférer, Django Unchained revient à une construction plus classique, à la fois moins en bloc et moins déconstruite que les précédents Tarantino. Narrativement plus faible, mais plus aisé  à appréhender. 

L’histoire est simple, un chasseur de primes allemand s’allie avec un esclave qu’il libère, pour l’aider à retrouver des fugitifs,puis ils partent retrouver l’épouse de Django, aux mains d’un méchant planteur raciste. L’intérêt ne réside évidemment pas tant dans cette intrigue que dans les dialogues qu’elle suscite et des performances des acteurs qui s’en donnent à cœur joie.

Le duo fonctionne bien entre un Christoph Waltz, élégant,cultivé, adepte des bons mots, mais aussi tueur de sang-froid, et un Jamie Foxx qui cherche à ressembler à son mentor, et trouve au fur et à mesure son style propre, y compris dans le costume et dans la vanne avant chaque meurtre. Leonardo Di Caprio s’amuse très visiblement dans son rôle d’ordure convaincue d’avoir raison et ne supportant pas la défaite, tout comme Samuel L. Jackson, dans celui du valet noir qui a épousé la cause de ses maîtres esclavagistes. Je ne sais pas trop quoi penser du fait que Tarantino l’ait calqué en termes de style et de voix sur Uncle Ben’s. Peut-être un traumatisme d’enfance lié au riz, ou au marketing, allez savoir...

Les dialogues sont comme toujours très bien écrits, et forment les vraies confrontations du film, plus que le gunfight. C’est dans cette arène que tout se joue,  même si, comme dans ses derniers films, Tarantino entretient un rapport ambigu avec le dialogue. La supériorité intellectuelle se marque dans le dialogue, mais si l’on songe à Bill, à Hans Landa ou ici du Dr Schültz, ça ne suffit pas pour gagner d’être le plus malin. C’est bien l’homme (ou la femme) d’action, qui a, très littéralement, le dernier mot. Une notion intéressante, quand on y réfléchit.La réponse d’un Tarantino à un cinéma d’auteur plus intello et moins amoureux de la culture populaire, mais qui a aussi moins de succès ?

Tarantino lui aussi s’amuse, notamment avec son cast de« gueules » habituelles, dans des petits rôles de proie des chasseurs de primes, avec toute la panoplie texane, tabac à chiquer en tête. Il joue aussi avec des guest stars plus connue, Don Johnson et Jonah Hill et s’amuse comme toujours à faire à manier le décalage dans la violence. Je pense par exemple à l’hilarante avec et très girly dispute entre membres du KKK naissant sur les uniformes, qui désamorce par la farce la violence du propos du KKK.

Il se permet également quelques innovations et effet visuels empreints d’une ironie dédaigneuse qui me plaît bien. C’est le cas de l’ensemble des flashbacks du film, dont les filtres utilisés font immanquablement penser à de la photo Instagram. C’est peut-être l’ironie qui est toutefois la faiblesse de ce film. Certains effets très typés ne passeraient pas vraiment dans le film d’un autre, comme le plan du héros tournant le dos au ralenti au repaire des méchants qui explose, mais il y ajoute toujours une couche d’ironie, comme pour montrer qu’il n’est pas dupe : les lunettes de soleil de nuit, les applaudissements de Brunhilde… OK, mais un jour il va falloir passer outre, ça devient un peu facile, voire feignasse, ce second degré. Mettre une paire de couilles dans le premier plan d’une  scène, c’est aussi assez courageux dans un film US, même si je suis moins convaincu de l’intérêt.

C’est un point intéressant, Tarantino semble ici également grandir et faire une différence entre une violence pour rire, celle des« gentils », qui flinguent les méchants par centaines, et une violence avec laquelle il a du mal à rire, celle des esclavagistes, qui regardent depuis un douillet canapé deux hommes se battre à mort à leurs pieds ou jettent un esclave aux chiens. Le traitement de l’image diffère, cette violence-là, Tarantino n’ose pas la regarder en face, et la met hors champ,comme pour nous dire qu’il y a certaines choses qu’on ne peut pas montrer, parce qu’elles sont malheureusement bien réelles.

L’autre violence, il joue avec. Il nous refait la scène du restaurant de Kill Bill, mais cette fois-çi au six coups : les murs sont maculés de sang, les personnages font des bonds en arrière de plusieurs mètres quand ils sont touchés. On est en terrain connu et jouissif.

Si on aime Tarantino, son sens de la punchline, du dialogue  et sa violence joviale, on y va les yeux fermés. Et on évite de chercher le « message » de ce film.

La minute geek :j’ignore si c’est de l’ironie ou de l’hommage déguisé, mais le look de Django oscille entre des moments très Arthemus Gordon au début et le James West deWill Smith à la fin.

La minute dusériephile : grâce à la magie des internets, on pourra se féliciter que quelqu’un ait finalement sorti de son bourbier Christoph Waltz, qui est apparu dans des épisodes de Derrick, de Tatort et du Renard. Dommage qu’il n’ait pas joué dans l’Empreinte du crime, qui est une série allemande très regardable (OK,regardable si on est un peu insomniaque le dimanche. C’est ça ou le Club de l’Economie de Séguillon)

mardi 22 janvier 2013

The Master, est-il vraiment si chic d'éviter à tout prix le sujet de son film ?





Le genre : film bien filmé ?

J’ai un peu de mal, là, je dois dire. Je ne sais ni trop quoi dire, ni par quel bout prendre ce film. Je ne peux pas commencer cette critique en essayant de résumer l’histoire, l’intrigue de ce film, faute d’être certain d ‘avoir compris de quoi ça parle. D’un mec qui revient de la guerre, un peu cinglé et violent, très doué pour faire de l’alcool avec n’importe quoi. Et du chef d’une secte type Scientologie, à ses débuts. Ils se rencontrent et deviennent amis. Ou ennemis. Ou peut-être ni l’un ni l’autre.

The Master est un film à l’évidence très maîtrisé, très esthétique, mais devant lequel je reste un brin sceptique. PT Anderson sait très bien diriger ses deux acteurs, Joaquin Phoenix dans sa folie imprévisible, à la fois rigolarde et destructrice, et Phillip Seymour Hoffman, patriarche débonnaire en apparence mais qui masque mal sa violence dès que la situation lui échappe. Mais je ne comprends pas le sens de l’affrontement entre ces deux natures. Je ne suis pas même certain qu’il y ait un affrontement. Que veut dire le film ? Que Freddie Quell (Phoenix) est trop radicalement libre pour tomber sous la coupe d’un gourou, malgré les efforts de Lancaster (Hoffman) ? Que les sectes ne sont finalement que le produit d’une forme de volonté de contrôle personnel de leurs créateurs (waouh ! quelle trouvaille !) ?

Quoiqu’il ait été vendu comme tel, le film ne porte pas sur la Scientologie. Malgré une scène qui remet en question les théories farfelues sur le voyage dans le temps du gourou, le film n’est pas vraiment là. Il parle vaguement de la mainmise du gourou sur sa famille et sa communauté, mais sans vraiment aborder le sujet. Il est souvent onirique, mais sans jamais basculer dans le monde fantasmé. Dans l’une des scènes, sans que l’on sache pourquoi, tout d’un coup, toutes les femmes sont nues. Délire visuel de Freddie l’obsédé, rituel de la secte, dénonciation de la dérive potentielle de ce type de communauté, la question n’est pas tranchée... Pareil pour la scène Lynchienne du cinéma vide, même si celle-ci est clairement indiquée comme un rêve.
C’est un peu ce qui m’intrigue. Ce n’est pas un film sur les sectes, pas un film sur la liberté, pas un film sur la famille, pas un film sur la guerre, sur l’amour, sur l’alcool. Je ne vois pas quel est le thème, le fil conducteur. 

C’est d’autant plus curieux que dans Magnolia ou Boogie Nights, Anderson maniait plus de personnages, d’intrigues peu liées mais creusées, en créant un ensemble, un thème, une réflexion. Ici, rien. Les Cahiers du Cinéma peuvent dire autant qu’ils veulent que c’est un film sur la fuite ou l’impossibilité de corriger le passé, ce ne sont que deux des micro questions que le film pose, sans vraiment y apporter de réponse.
A la rigueur, la fuite est l’un des motifs esthétiques, voire le running gag du film, avec un parallèle  permanent entre deux notions de fuite, les poursuites comiques dans lesquelles Quell se retrouve et le nomadisme de luxe de la famille.

Bref, c’est joli, mais curieusement vide de sens. Concrètement, à force de n’aller nulle part, on s’emmerde un peu quand même. Un emmerdement doucereux, paisible, pas désagréable. Un peu comme mourir de froid.  Pas inintéressant, mais pour moi à ranger dans la même catégorie que les biopics, en plus chic. Toujours bien faits, jolis costumes, performance des acteurs, mais à quoi bon ?

La minute du sériephile : Um, j’ai beau fouiller, les liens ne se font pas.

La minute geek : c’est intéressant, les deux jeunots de la famille, le fils et le gendre, jouent tous les deux dans Battleship. Le plaisir coupable de PT Anderson ? Je ne pourrais pas l’en blâmer.