Le genre : Ce
soir En quête d’action revient sur l’incroyable
traque qui a passionné le monde pendant dix ans.
Zero Dark Thirty, bien avant sa
sortie, arrivait précédé par la polémique qu’impose son format. En se voulant
documentaire et ultra-réaliste, le film sur la traque de Ben Laden ne laisse
pas dans l’ombre le fait que la CIA a torturé pour obtenir des informations.
Soit. Le film dit ne pas faire l’apologie de la torture, puisqu’il ne présente
que des faits bruts et non une analyse. C’est là où je commence à être un peu circonspect.
En ne montrant qu’un côté de l’histoire,
et en refusant notamment de montrer le terrorisme des ennemis, le film est de
fait de parti-pris. Les premiers sons du film sont des morceaux d’enregistrements
réels lors des attaques du 11 septembre. Or le choix des enregistrements ne met ni en avant les secours, ni même le
déroulement des attentats, mais uniquement le pathos de victimes innocentes.
Pour un film sans biais, on repassera. Tout le monde sait ce qu’est le 11 septembre,
se souvient du choc ce jour-là. Les images des tours, sans commentaires
auraient été plus habiles.
C’est là tout le problème de ce
film. Les seuls attentats montrés à l’image, celui du Mariott d’Islamabad ou de
Camp Chapman, sont des attentats contre les personnages du film ! Rien de
la folie des talibans ou d’Al Qaïda, des bombes sur les marchés (OK, soyons
honnêtes, il y a peut-être bien une bombe sur un marché dans la première heure,
mais je m’étais endormi, on y reviendra). Sous ses airs bonnasses, le film est
donc bien de parti-pris, celui de ses personnages, pour qui la torture n'est pas exactement un problème.
La seule évocation de la torture dans la
seconde partie du film, post-Obama, sera pour constater, certes sans s'en plaindre, que c’est quand même moins facile
d’avoir des renseignements maintenant que les détenus ont des droits. Pas
exactement une condamnation. Je ne suis pas analyste de renseignement, je ne sais
pas si le coût moral de la torture l’emporte sur les vies épargnées, mais ce
que je sais, c’est que Kathryn Bigelow, elle, a une position très claire sur la
question, quoi qu’elle s’en défende.
A la rigueur, ce parti-pris, en
soi, ne me dérange pas, tant qu’il est assumé. Après tout, la totalité de la
série 24 repose dessus. Ce qui m’ennuie
plus, c’est justement l’ennui. En refusant de faire un choix clair entre
documentaire et scénarisation, Bigelow a surtout fait un film très chiant,
décousu et mal rythmé.
C’est logique, si on y réfléchit.
En gros, des analystes bureaucrates ont passé dix ans à se fader des vidéos d’interrogatoire
et à lire des rapports en mangeant des Snickers pour trouver une piste. Bingo,
celle qu’ils ont fini par dégotter, après un travail bien relou par la stagiaire pour retrouver un
suspect qui s’appelle en gros Jean Martin, est la bonne. Après une filature chiante
(ben ouais, suivre une bagnole dans les embouteillages, c’est relou), ils ont
trouvé une maison. Ils ont regardé la maison avec des satellites depuis d’autres
bureaux, avant de déterminer que Ben Laden y était sûrement caché.
Donc après deux heures très
excitantes de vie de bureau, on passe au fameux raid. Mais là encore, pourquoi
filmer comme si un téléfilm d'action la réalité ? La réalité n’est pas un film, il n’y
a pas de suspense. Vingt mecs surarmés et surentraînés, avec le meilleur
matériel du monde, qui attaquent une maison où sont endormis 3 mecs armés, dont un
vieillard, surtout quand on sait pertinemment que le commando n’a pas subi de
pertes, c’est chiant. N’oublions pas que le principe de l’entraînement et des
procédures de ces commandos est justement de réduire au maximum tout risque inattendu.
Au lieu de faire un film sur l’attente
et le doute, Bigelow a tenté de faire un film de cowboys, mais sans avoir le
matériel pour. Résultat, c’est à la fois complaisant et très longuet. Je ne m’étendrai
pas sur les dialogues grotesques, tirés de The Expendables, mais sans la
moindre ironie, à base « I’m gonna find him and kill the bastard »,
et sur la totale absence de profondeur des personnages, réduits à leur hystérie
de trouver Ben Laden, sans que l’on comprenne leur motivation, autre que leurs
ordres, à part peut-être pour l'héroïne, dont une scène évoque vaguement quelque chose de plus personnel, avant d'oublier de creuser la piste.
Zero Dark Thirty, c'est un gros épisode d’En quête d’action,
sans voix off pour meubler les nombreuses longueurs. Quand on veut faire un
film sans gadgets et sans technologie sur le jeu intellectuel de l’espionnage et
l’obsession, on réfléchit un brin à son écriture et on fait La Taupe. Sinon, on fait un Bourne. Mais
pas ça.
La minute du sériephile : gros casting de guests-stars qui ont
trois répliques. Mentions spéciales à John Barrowman (4 saisons de Torchwood, ici deux répliques, littéralement),
James Gandolfini (6 saisons des Soprano,
8 répliques, dont 6 avec « fuck »), Jessica Collins (de l'excellente série Rubicon, précisément sur le thème des espions de bureau, ici dans le rôle de la stagiaire et dont une des trois seules répliques porte sur le chich kebab) et Reda Kateb d’Engrenages, qui fait partie des acteurs
français parlant arabe cantonnés aux rôles de caïds de cité, si la série est
française, et de terroristes si la production est américaine. On croise aussi
Harold Perrineau, de OZ et Lost, et Kyle Chandler, de Friday Night Lights et Demain à la Une qui ont presque des vrais
rôles. IMDB prétend que Simon Abkarian a trois répliques, mais je devais dormir
à ce moment-là.
La minute geek : apparemment la NSA utilise pour le traçage
des portables des vieux IBM moisis à cristaux liquides en sépia, ambiance le premier ordi portable de ton père en 1988. Et le gadget
le plus high tech du film, c’est un vieux Nokia qui sonne quand celui du
méchant sonne. Ah ouais, y’a aussi un hélicoptère furtif de la mort, mais bon
il s’écrase comme une merde. D’ailleurs, il prenait quoi comme somnifère Ben
Laden ? La CIA a crashé un hélicoptère dans son jardin et il ne s’est
pas réveillé ?