mercredi 13 septembre 2017

Petit Paysan, The Yards à la ferme





Formellement réussi, Petit Paysan traite le quotidien des agriculteurs comme un thriller étouffant et décalé. Le polar français le mieux écrit depuis des années.


Petit Paysan, ce n’est pas une histoire de fermier, c’est l’histoire d’une servitude volontaire et d’une spirale infernale. Pierre, jeune éleveur, comprend que l’une de ses vaches est atteinte de fièvre hémorragique et que tout son troupeau est donc légalement condamné à l’abattoir. Une seule solution pour sauver son élevage, faire disparaître le corps et mentir aux vétérinaires, un mensonge qui en entraîne un autre…

C'est bien simple, Pierre consacre toutes ses heures à sa ferme et les quelques bribes de sa vie extérieure y sont rattachées elles-aussi : ses amis, eux-aussi exploitants, sa famille, entre des parents qui restent l’œil sur leur ferme, littéralement, et sa sœur, vétérinaire chargée, entre autres de l’application des normes sanitaires. Il ne peut pas la voir disparaître : le sujet de Petit Paysan, c’est cette étrange lutte d’un homme pour la survie d’un monde qu’il aime mais qui l’étouffe pourtant.

La ferme entre tradition et modernité        

Non ce n’est pas juste un plan de dissert peu inspiré. C’est le parti-pris réaliste du film, mettre en images deux façons de répondre à la même exigence, produire toujours plus pour survivre, puisqu’il s’agit bien là de survie du monde agricole, forcé de se transformer, même à contrecœur. Le film oppose en permanence une vision plus intimiste, celle de Pierre, soucieux du bien-être de ses vaches, qu’il connaît toutes, à la vision de son ami d’enfance, exploitant d’une énorme ferme ultramoderne avec trayeuse laser pour viser les pis et contrôle du rendement par smartphone. Mais au fond, les deux sont embarqués dans la même galère.
Là où la plupart des films sur le monde agricole souffrent de la même difficulté, l’incapacité des cinéastes, malgré leur bonne volonté, à filmer un monde qui leur est étranger, Hubert Charuel fait précisément le contraire. Ce monde, c’est celui de sa famille, il le connaît par cœur, mais il ne veut pas le filmer uniquement sous un angle misérabiliste ou documentaire, et préfère en faire le cadre d’un thriller psychologique réaliste et réussi. Et c'est là toute la force de son film.


Vertigo bovin

Le personnage lunaire de Pierre donne au film ses trois qualités majeures, son intimité, sa tension et sa force burlesque. On le suit, en s’identifiant d’un côté à la spirale de mensonges absurdes  qu’il déploie, comme un enfant  pour cacher sa faute, tout en assistant ahuris à ce polar rural sur les meilleures façons de faire disparaître, physiquement comme légalement, une vache. L’intrigue le suit, dans son rapport avec les autorités et les autres paysans, avec un humour absurde et poétique (notamment chez les gendarmes ou quand Pierre devient un caïd de basse-cour qui intimide les autres fermiers), tout en créant suspens dans laquelle on se laisse piéger.
Swann Arlaud, qui interprète Pierre, compose en dans Petit Paysan un personnage complexe, à la fois totalement seul et étouffé par le peu de contact qu’il a avec les autres. Incompris, il se réfugie et s’enferme dans la lecture de vidéos sur Youtube qui alimentent sa paranoïa et devient un prisonnier volontaire, prêt à toutes les folies pour défendre ce monde qu’il sait condamné. Il n’est pas heureux mais n’a pas le choix, tout simplement parce qu’il ne connaît rien d’autre que ce monde.
Et au bout du compte, sous ses airs de polars, Petit Paysan signe un beau film sur une agriculture attachée à la terre qui est en train de mourir face au productivisme et, plus généralement, un constat dérangeant sur notre déconnexion croissante de la réalité.

La minute sériephile : Swann Arlaud est un acteur complexe, que j’aimais déjà bien dans la 2ème saison d’Engrenages. Il y jouait avec ces mêmes yeux concentrées mais terrifiées un jeune flic passionné par son métier, mais déboussolé par sa violence. Il jouait aussi dans Xanadu, mais là, c’était moins réussi…


La minute geek : Je passe mon tour sur celle-là.