lundi 14 novembre 2016

Pourquoi Black Mirror s’est perdu en allant sur Netflix


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En étant racheté par Netflix, l’excellente et terrifiante série Black Mirror, qui nous mettait face aux dangers de notre usage des nouvelles technologies a gagné en budget et en longueur, en passant de 3 à 6 épisodes par saison, et certainement un rythme annuel, là où la saison anglaise est une unité de mesure plus narrative que strictement temporelle. Le créateur de Black Mirror explique à longueur d’interviews que cette évolution lui permet de varier les plaisirs, d’explorer des territoires nouveaux (la romance, l’action, le thriller).

Sur le papier, pourquoi pas, mais est-ce franchement servir le propos de la série ? Malheureusement pas. Six épisodes, six arguments.

Chute libre

Peut-être le seul épisode de la saison qui vaille vraiment le coup, une réflexion qui vire du rose-bonbon au noir sur l’importance que prend le storytelling de nos vies sur les réseaux sociaux, au point de changer nos comportements et donc de modifier la société dans son ensemble. Dommage que l’élection de Trump tende plutôt à prouver exactement l’inverse, à savoir que les réseaux sociaux ne policent pas la société, mais au contraire augmentent les tensions sociales.

Playtest

Une vision noire de ce que pourrait devenir le jeu vidéo en devenant de plus en plus immersif. Je n’adhère pas trop à la partie film d’horreur, qui est un genre que je n’apprécie pas particulièrement, mais c’est justifiable sur la forme comme sur le fond, qui est valable. Cheap, mais pourquoi pas.

Tais-toi et danse

Que feriez-vous si on menaçait de divulguer vos secrets à vos contacts ? Certainement pas la moitié de ce qui se passe dans cet épisode bancal et dont, au fond, on ne voit pas précisément où il veut en venir, dans la mesure où les secrets en question sont plutôt des vrais crimes. La vraie question à poser elle était sur le curseur entre nos pensées réelles et notre personnage social et ce qu’on est prêt à faire pour protéger le second. Mais non, cet épisode tient plutôt du remake 2.0 pas terrible de Phonebooth en raté (en même temps, Phonebooth était déjà raté, c’est pas très compliqué).

San Junipero

Le seul épisode que j’ai vraiment aimé est également le seul qui donne le sourire. Même si au fond, ce n’est pas vraiment un épisode de Black Mirror, mais passons. Quel rapport avec notre relation à la technologie ? Aucun, tant la technologie présentée ici serait le choix évident de tout le monde. Là encore, la question à traiter était l’au-delà religieux contre l’au-delà techno présentée dans cet épisode. La croyance spirituelle contre la jouissance individualiste. Et même si l’épisode m’a plu, il n’offre aucune piste valable de réflexion. On sent bien qu’il a fallu se torturer l’esprit pour sortir un épisode positif et casser l’image de la série. Mais pourquoi faire ?

Tuer sans état d’âme

De la SF cheap sur le soldat parfait. L’hypothèse de base de cet épisode serait certainement intéressante si elle n’était pas déjà le socle du (mauvais) film La 5ème vague. Le tournage dans les conifères canadiens rappellent furieusement la SF à petit budget des 90’s (X-Files, Au-delà du Réel et Stargate en tête). C’est peut-être un hommage mais en tout cas, cet épisode n’a quasiment aucun intérêt. Sauf bien sûr si dans la vie de tous les jours, au lieu de jouer à Candy Crush, vous préparez une guerre civile.

Haine virtuelle

Un épisode de CSI : Cyber, en moins réaliste (si, si, je vous assure) sur fond de réseaux sociaux et d’abeilles drones tueuses… Mal mené, cousu de fil blanc et avec quoi à dire ? Que les gens sont méchants sur les réseaux sociaux et pensent que leurs paroles n’ont pas de conséquences ? Wow, merci Black Mirror.

Verdict : non, ça n’est pas une bonne chose. Paradoxalement, la liberté créative de la série et ses nouveaux champs d’exploration lui ont fait totalement perdre son objet, à savoir le rapport intime, beaucoup trop intime, justement, que nous entretenons avec nos téléphones et nos réseaux sociaux.

En sortant de son esthétique très ancrée dans le quotidien, Black Mirror perd son effet coup de poing, et oublie le malaise qu’elle entretenait chez le spectateur, pour le mettre plutôt face à des situations de SF plus classique, un champ déjà très largement exploré.

Comme trop de séries, Black Mirror est victime de son succès qui exige des nouveaux épisodes, là où elle n’avait manifestement déjà plus grand-chose à dire. Toujours agréable à regarder, mais Black Mirror vient de basculer de la série qu’on attend à la série qu’on ne zappe pas si on tombe dessus par hasard.

C’est ballot, il y avait pourtant un bon épisode à faire sur comment Netflix banalise la politique et en fait une question de personne uniquement, via House of Cards, Marseille ou même The Crown. Comment un éditeur de contenus, réputé progressiste et cool est très gentiment en train de façonner dans l’esprit de plusieurs générations cette idée qu’il est normal de ne pas raisonner politiquement sur la justesse des programmes mais plutôt sur les qualités qu’on apprécie chez les personnes, puisque la politique ne sert à rien.
Mais bon, quelque chose me dit que Netflix ne va pas s’aventurer sur ce terrain...