mardi 14 juin 2016

Warcraft, injustement boudé par la bien-pensance cannoise

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Le genre : fresque écologique désespérée


Warcraft, c’est avant tout l’un des plus tristes naufrages marketing de ces dernières années. Un film au contenu politique très fort, qui méritait un traitement à Cannes, pour sa poésie sombre, et que l’on a marketé uniquement pour les fans. Une occasion ratée.


Au cœur de Warcraft, un constat poignant sur l’avenir bouché de nos sociétés face à la menace du réchauffement climatique, doublée d’une interrogation passionnante sur la capacité réelle des régimes actuels à traiter l’urgence écologique, une question de fond, par les outils classiques de la politique.


Le film s’ouvre par une scène d’intimité familiale touchante, qui servira de contrepoint permanent, de point de référence d’un monde souhaitable et responsable. Sous l’apparence d’un film de fantasy, le scénario de Warcraft s’appuie en effet sur une métaphore filée, qui structure solidement son propos. La Horde des orcs a ravagé son monde, poussée par le Fel, cette « magie qui se nourrit de la vie », miroir critique évident des sociétés qui sacrifient leur avenir à une vision court-termiste de l’utilisation de nos ressources.


Sur ce constat sur l’urgence écologique, le film suit cette Horde hébétée, en manque de repères et menée par un leader infusé (littéralement) par cette idéologie. Elle se confronte à Azeroth, une société de paysannerie classique, dont la prospérité repose sur l’agriculture raisonnée.


Mais le film contourne habilement l’écueil d’une vision simpliste d’Azeroth comme un idéal perdu, qui pourrait ouvrir la porte à une condamnation de la démocratie. De fait, sous le royaume d’Azeroth, ce que Warcraft dénonce, c’est également le pourrissement du cœur des institutions de supervision technocratique d’Azeroth,  représentée par le Gardien. Contaminé lui aussi par le Fel, ce gardien s’impose au pouvoir local, dénonçant par là non la légitimité du pouvoir en soi, mais bien l’imposition de normes au pouvoir par des organismes dont le mandat et le processus de nomination sont pour le moins opaques, OMC et Commission Européenne en tête.


Quelle forme pour la contestation écologique aujourd’hui ?


Tout l’enjeu du film devient alors de voir comment une poignée de citoyens et de dirigeants politiques vont pouvoir créer un sursaut citoyen et une alliance avec ces migrants, face aux déchaînements de violence des deux camps, rappel malheureux des émeutes allemandes sur fond de crise migratoire.


Ce thème de l’alliance, de l’acceptation de la différence, ouvre une série de scènes passionnantes sur le besoin de consensus malgré les différences culturelles, tout en concluant à la difficulté de trouver ce compromis, un réalisme que refuse encore trop souvent le cinéma contemporain.


Tout autant le roi Llanne que le chef de clan Durotan comprennent d'ailleurs la nécessité de leur sacrifice politique pour créer un mouvement d’ampleur et bousculer les cadres classiques de leur société. C’est peut-être là d’une des limites du propos, tant les élites politiques occidentales semblent aujourd’hui bloquées dans des logiques de parti et incapables de ce sacrifice. Pourtant, le scénario se montre par la suite à la hauteur, en montrant bien les limites des deux voies politiques alors ouvertes.


D’un côté, les humains, elfes et nains, dans une scène subtile, tout en regards échangés, démontrent largement la limite d’un pouvoir qui accepte une Alliance qu’il désapprouve, par calcul politique et sous la pression d’un peuple qui reprend peu à peu sa légitimité. De l’autre côté du spectre, Garona et Durotan sont tentés par le repli sur soi et l’appui sur la tradition religieuse, seule à même de basculer l’échiquier. L’une comme l’autre rachète une paix sociale dans chacun des camps, mais dont aucun leader politique n’est dupe de la faible valeur.


Une nécessaire alliance populaire solidaire et internationale sur la base de la démocratie participative


La menace est provisoirement écartée, au profit d’un équilibre instable entre une nouvelle théocratie et un pouvoir démocratique fragile et redouté par son propre establishment politique. La faible implication du Kirin Tor, le corps international des mages, démontre d’ailleurs l’incapacité des organismes internationaux à poser les bases d’une réconciliation qui ne peut que s’appuyer sur les peuples et non sur les élites, un thème du metissage qui parcourt le film.


La conclusion désespérée, c’est pourtant bien que cette réconciliation ne peut se faire qu’au prix d’une guerre longue, qui sera porté par Thrall, le bébé orc vert, si celui-ci accepte son rôle de leader conciliateur. Mais cette position impliquera de se défaire de son bagage idéologique symbolisé par la couleur verte de sa peau, rappel du Fel, et denunciation de l'acceptation du système que nous impose l'éducation et le cadre normatif social.


Dans cette pirouette finale, par un parallélisme avec le berceau de Moïse, Warcraft ouvre une dernière réflexion qui me semble aujourd’hui plus que jamais salutaire sur la place qu’ont eu les religions dans la mise en place d’un système foncièrement inégalitaire et obsédée par sa croissance, sans réflexion de long terme sur les ressources. Le propos renforce ainsi le constat irrévérencieux  fait par Orgrimm le Marteau du Destin sur le fait que les dieux se soucient plus de leur statues que des morts nécessaires pour les élever.


Un film sombre et radical, servi par une réalisation fluide et classique, qui ne fait que souligner la noirceur de son propos. Peut-être le moment de lucidité dont nos intellectuels auraient bien besoin. Certainement plus que les arguties trompeuses de ce faiseur d’Asghar Farhadi.


Plus sérieusement : franchement, Warcraft n’est pas plus mauvais que beaucoup d’autres action movies, et se trouve curieusement servi par son manque d’ambition total. Pépère dans le déroulement de son histoire sans surprises et dénué de toute tentative d’innovation visuelle, le film évite même l’écueil de l’auto-parodie. Ça se regarde gentiment.


Il est même plus subtil que le dernier Star Wars dans ses clins d’œil, discrets, aux fans, ce qui, certes, n’était pas trop dur, vu la subtilité de 33 tonnes de Star Wars. La musique, en revanche, qui est un élément culte de Warcraft, est tristement plate. Bref, pas vraiment réussi, pas bon non plus, mais je m’attendais à franchement pire.   


La minute sériephile : pauvre Ben Foster, le meilleur ami bi de Claire Fisher dans 6 Feet Under, un joli rôle tourmenté, qui échoue là, dans ce casting de 14ème zone. Au moins, lui n’a pas dû jouer avec un dentier comme Paula Patton, dont l’élocution dans le film est, pour le moins, embarrassée. Ce qui n’est pas trop grave vu la qualité générale des dialogues.