mercredi 11 mai 2016

Maaaaarseeeeille, ta production impitoyable


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Marseille est l’une des séries les plus intéressantes que j’ai vues récemment. C’est un objet de télévision proprement fascinant dans lequel le moule Netflix de production et les habitudes françaises de production se livrent un combat acharné, que Netflix perd. L’enfant maudit de Navarro et the The Wire. 

Ce qui est très étonnant, et, je dois dire, un peu accrocheur à la longue, c’est de voir à quel point rien ne fonctionne. L’écriture, le jeu, la photo, la réalisation. Tout en se drapant dans des ambitions délirantes.

Marseille, tes personnages éléphantesques

Le premier plan donne le ton, au moins c’est honnête. Dipardiou, de dos, sniffe de la coke dans son costume trois-pièces, Légion d’Honneur à la boutonnière, avant de débarquer au Vélodrome pour un mach de l’OM. La série annonce qu’elle ne va trop tenter de se poser la question du rôle du politique dans une ville, pour faire plutôt un gros vaudeville qui tâche, autour de personnages de politiciens totalement caricaturaux.

Magimel rélaise une belle performance comique involontaire, en s’appuyant sur le running gag de son accent marseillais qui va et qui vient. Au bout d’un moment, au dérushage certainement, quelqu’un a fini par s’en apercevoir ; un autre  personnage explique alors que ces accès impromptus de « peuchère, bonne mère » sont une stratégie pour faire populaire auprès des électeurs. Il aurait peut-être été judicieux d’appliquer la même logique à l’ensemble du cast, mais ne soyons pas pointilleux. Après tout, la réplique avé l’accent « Tu trouves pas ça bizarre, qu’on se touche le zob en parlant de Picasso » m’a fait littéralement hurler de rire.

Je pourrai continuer longtemps, mais je vais juste faire une mention spéciale tout de même à Nadia Farès, dans le rôle totalement grotesque de maîtresse Salopa Vanessa d’Abrantes, présidente du Conseil Général. Un magnifique rôle sur la place des femmes en levrette politique, qui a sans doute fait chaud au cœur de Simone Veil.

Marseille, ton écriture invraisemblable

En fait, à aucun moment l’écriture ne laisse entrevoir une réflexion sur le rôle du maire ou sur la bonne gestion d’une ville. Tout est une question d’hommes, toutes les rivalités se résument à des rancœurs idiotes ou des questions de sexe. Pour masquer sa totale absence de fond, la série botte régulièrement en touche la question du politique, à coup de dialogues écrit avec les pieds, type « Il n’aime pas le pouvoir, il n’aime que Marseille… ».

je ne vais pas rentrer dans le spoiler lourd, mais le postulat de la série, la lutte entre deux politiciens dont l'un cherche à se débarrasser de l'autre, après avoir été 20 ans son protégé, pour une mystérieuse raison (en fait vue et revue), tient plus de Revenge que du, je cite "thriller shakespearien". Au moins, quand Depardieu tombe des nues en comprenant à l'épisode 6 ce que le spectateur a compris au 2, on se sent très malin.

Et c’est dommage… Parce que le vrai objet de la série, ça devait être Marseille. L’évolution de cette ville, l’ouverture de Marseille au tourisme de luxe et sa place de ville européenne, la spécificité de sa culture, de ses communautés, la difficulté à gérer sa réputation et ses ambitions…. Mais non,  Siri préfère nous offrir une vision incroyablement caricaturale et superficielle, qu’il a certainement vu comme un sommet de subtilité, à savoir que le camp anti casino est le camp de la mafia... Parce que dans sa vision chaleureuse de Marseille, à part politicien ou mafieux, il n’y pas de mtier possible à Marseille.

Le plus curieux, d’ailleurs, c’est que les dialogues viennent en permanence contredire les événements de la série. Par exemple quand les dealers expliquent qu’ils font voter les cités des quartiers Nord comme ils veulent (c’est bien connu, les pauvres ne savent pas réfléchir). Une manœuvre qui n’a aucun sens, puisque, dans la série, comme d’ailleurs dans le vrai monde, la mairie est en réalité tenue par le FN. Pourquoi donc un politique prendrait-il le risque de s’afficher à des dealers pour un territoire déjà perdu ?

Enfin, pour une série qui s’annonce réaliste et amoureuse de Marseille, les marseillais apprécieront la manière dont leur approche du vote est traitée. Bureau de votes murés la veille par des dealers, meetings interrompus, meurtre devant un bureau de vote… Je suppose que la série a voulu s’éloigner de Plus Belle La Vie, mais réussit le tour de force d’être finalement encore moins ancrée dans le réel.

Marseille, ta réalisation d’un autre âge

Enfin, comment Netflix a-t-elle pu autant se fourvoyer et accepter une réalisation aussi indigente ? La série aligne les remplissages, notamment les plans aériens avec un effet de déformation, pour donner l’impression que la ville bouge. Une métaphore de la ville comme être vivant qui est aussi pataude que triste, tant elle tente malhabilement de masquer l’incapacité de la série à traiter Marseille comme un personnage. Astuce : pour la saison 2, pour faire au moins semblant que la série se passe à Marseille, il serait pas mal de ne pas attendre l’épisode 7 pour qu’un nom de quartier ne soit mentionné…

Même les bruitages sont ridicules et inutiles. Ha, ce petit son quand Depardieu sniffe de la coke… Quelle modernité 80’s ! Ça me rappelle Levy & Goliath ! Ha, ces merveilleux rappels de dialogues en voix-off avec écho dramatique, au cas tu sois tellement abruti que tu aies oublié la scène d’avant... 

Il y aussi la question des textos. Quand House of Cards les a intégré dans son intrigue en surimpression, en 2012 pourquoi pas. Malheureusement, depuis, Plus Belle La Vie, encore eux, a largement pris le train en marche. Ce qui a du paraître d’une insondable modernité à Siri est en fait déjà ringard.

Tout ça ne nous rendra pas Gaston Defferre

Quoiqu’en dise Netflix, la production n’a pas dû être une grande partie plaisir. Déjà, le fait que la série utilise le terme showrunner dans le générique affiche une volonté navrante de « faire américain ». Tout d’abord parce qu’aucun showrunner américain ne se désigne comme tel dans un générique, au profit plutôt des termes d’Executive Producer ou de Creator.

Ensuite, quand je lis cette édifiante interview d’octobre dernier, dans laquelle Dan Franck, le génie de l’écriture derrière Marseille, explique à quel point c’est cool et intéressant d’être le showrunner de la série. Sauf que, malaise, au générique, Netflix a finalement changé d’avis et annonce que le showrunner, c’est Florent Siri. Dan Franck précise aussi qu’il est directeur artistique, rôle que le générique donne encore à Siri, enfin, pardon « Créateur Visuel ». On ne devine aucune bataille d’égo quand on songe qu’au moment de cette interview, le tournage était déjà terminé…

Alors mystère, la série est-elle devenue miraculeusement catastrophique en post-prod ? Ce qui est clair, c’est que tout là-dedans pue l’ambition française de faire du Netflix « à la française ».  Comme si le nom pouvait magiquement être un label de qualité qui efface les défauts d’écriture habituels des séries françaises. Comme si copier malhabilement des éléments, comme le générique qui lorgne sur True Detective, mais fait plutôt penser à un générique de James Bond très premier degré, faisait tout. Une fascinante exploration des limites l’exception culturelle française !

La minute sériephile : si vous voulez voir comment de la technique de production américaine peut créer localement du show de qualité, tournez-vous plutôt voir la très poisseuse mais géniale Epitafios, produit au début des années 2000 en Argentine par HBO.

La minute geek  : une phrase seulement pour la bonne bouche. Un personnage fait fuiter des documents sur un Internet pour nuire à son adversaire. Son assistant lui dit « les petits malins qui font de l’upload le trouveront dans quelques minutes. Dans une heure c’est sur Twitter. » Quoi le fuck ?