mardi 3 mars 2015

Kingsman


Le charme discret de l’élégance tapageuse

Le genre : académisme sale gosse

Je dois admettre que je partais avec peu d’objectivité voir Kingsman. Matthew Vaughn avait pour moi réussi à faire de loin le meilleur X-Men, en bazardant la photo sombre et les dialogues pompeux de Bryan Singer pour revenir à un esprit pop plus proche de l’idée du comics. Alors, évidemment, si on y ajoute des costumes croisés chalkstripes, des fauteuils clubs et toute la galerie des acteurs anglais classieux, je ne pouvais que partir conquis.

Ici donc, nous suivons les Kingsman, une agence de gentlemen espions, dont la couverture est un tailleur de Saville Row, dans leurs efforts pour sauver le monde d’un milliardaire du net mégalo. Avec ce postulat, on est dès le début dans une volonté de jouer avec le concept de James Bond, en le poussant dans ses retranchements les plus extrêmes. Et c’est ce Vaughn va faire avec une joie tapageuse pendant tout son film, de la première à la dernière scène.

Les deux premières scènes, dans le moindre détail, vont par exemple très loin dans cette nouvelle mouture du mythe de Bond qui mêle respect et ironie. La première nous montre, pour donner le ton, que les héros qui viennent d’infiltrer violemment un complexe militaire irakien portent, sous les gilets pare-balles et les cagoules, de détonnants costumes à rayures de banquiers. La deuxième poursuit la gamme avec l’entrée fracassante d'un Kingsman, tout de tweed vert et pochette rouge, le parfait Jack Davenport, puis l’entrée de la méchante, armée de prothèses de jambes/sabres, comme un hommage au haut de forme/scie de Goldfinger. D’une violence extrême, la scène tourne avec un humour détonnant autour d’un enjeu absurde, ne pas renverser un verre de whisky hors d'âge. Le ton est donné.

Le héros, fils racaillou d'un ancien Kingsman va nous servir de guide dans ses efforts pour intégrer l’agence (la scène où Colin Firth annonce à l'enfant la mort de son père et lui transmet la médaille fait d'ailleurs un joli clin d'oeil à Tarantino, dont l'esprit n'est pas loin). Il va donc nous faire découvrir par son regard décalé, le côté feutré et absurde de ce monde d’un espionnage aussi violent que suranné et snob. Procédé classique, mais le choix des décors, des costumes et accessoires, notamment les invraisemblables combinaisons à carreau de la Seconde Guerre Mondiale et le carlin Jack Bauer, est parfait pour maintenir cette dynamique goguenarde.

Vaughn met évidemment au centre de son meta film la discussion classique entre son Bond et son méchant, en la poussant très loin, avec un Samuel Jackson zozotant, casquette vissée sur la tête, qui invite Colin Firth en smoking à partager un big mac. La discussion porte sur ce que chacun voulait être en étant enfant : méchant mégalomane et flamboyant pour Firth, gentleman espion pour Jackson. Evidemment.

Mais tout en conservant sa trame d’archplot ultra-classique, Vaughn décide de partir dans un délire visuel absolu et de déconstruire dans les dialogues les codes, qu’il respecte pourtant à la lettre, en les exagérant. C’est là toute la force de Kingsman, cette volonté sale gosse de tout balancer. De faire du costume croisé un uniforme de super héros et de livrer en costume une série de scènes de baston plus délirantes les unes que les autres. Quitte à aller même très loin, quand, au centre du film, le héros massacre joyeusement une bande de civils. Certes bien fachos, mais civils, malgré tout.

Tous les ingrédients du Bond y sont finalement: la bond girl, la scène de cul finale, la base secrète du méchant, le responsable des gadgets mi-amusé, mi consterné par son poulain (Mark Strong, pince sans rire à souhait), mais Vaughn prend tout à contre-pied. La Bond girl n’a aucun intérêt pour le héros, la princesse (littéralement) à sauver est à la limite de la nymphomanie, les gadgets ne fonctionnent pas et Q refuse de prêter ses jouets…

Jusqu’au bout, avec un sens de la mise en scène consommé, Kingsman mène avec brio cette partition paradoxale, respecter le code et le pervertir, jusqu’au traitement très ironique des punchlines, qui sont pourtant présentes. Je sais que c’est une de mes marottes, mais même le traitement de la musique y est très pensé, notamment dans la bataille finale où la musique disco n’est pas un habillement, mais un enjeu de scénario, là aussi méchamment décalé.

Même dans l’approche de ses deux personnages principaux, Vaughn est là aussi à la fois classique et moderne, tant il passe le film à suggérer, ce que les Bond ne font jamais, que la personne importe peu devant sa fonction, son nom de code. La scène finale suggère d’ailleurs par un parallélisme rigolard à quel point le maître et l’élève sont interchangeables. L’un est devenu l’autre.

Parce que son humour distancié et très british est omniprésent, Kingsman peut se permettre son outrance et sa violence. Comme dans son précédent film, Vaughn signe à la fois un vibrant hommage à la saga Bond, tout en s’en moquant ouvertement. C’est un numéro d’équilibriste, mais que le style sauve en permanence. Et après tout, n’est-ce pas logique dans un film dont la devise des deux scènes clés est « manner maketh man » ?

La minute sériephile : Jack Davenport est un acteur qui gagne à être vu en série. Autant dans la brillante sitcom Coupling, de Steven Moffat, où il excelle en anglais upper middle class coincé, que dans Smash, où il est plus étonnant en compositeur playboy tête à claque.


La minute geek : dans l’armurerie des Kingsman, Colin Firth fait une curieuse réflexion sur le fait que les Ipads des Kingsman ne sont que des Ipads, la technologie les ayant rattrapés. Intéressante réflexion à tiroir de Vaughn, encore une fois, puisqu’au final, ce n’est pas le hack qui sauvera le monde mais bien un gadget vieux comme le monde, la chaussure avec lame intégrée, déjà présente en 1963 dans Bons baisers de Russie