mardi 18 décembre 2012

Le titre français de Cogan a-t-il été modifié pour nous éviter de nous souvenir du tragique été 96 où nous écoutions les Fugees en boucle ?




Le genre : du néo-noir très convenu, ça fait du néo-classique noir ?

Avec Cogan, on est clairement dans la veine de ces nouveaux polars sur fond d’Amérique en crise. Tout se passe dans une ville pourrie, non mentionnée dans les dialogues. Une affaire classique de règlement de compte mafieux, où les personnages sont globalement tous des losers. C’est sale, triste, pluvieux, et personne n’en sortira grandi.

Suite au braquage d’un tripot, la mafia fait appel à Cogan, Brad Pitt, pour se débarrasser des braqueurs, du commanditaire et du gérant de la salle pour faire bonne figure. Cogan accepte, mais ne veut pas tuer directement les gens qui le connaissent pour éviter les supplications et les doutes. Sa méthode c’est de tuer sans qu’on s’y attende, ça évite le sentiment.

Sur cette trame, Andrew Dominik ajoute un sous-texte politique un peu lourd, en plaçant son film pendant les élections de 2008. Pourquoi lourd ? Tout simplement parce que dès qu’un personnage est en voiture ou dans un bar, on a en fond les discours d’Obama et Bush sur la crise du système américain. S’y ajoutent les décors de quartiers vides et déshérités. Pourquoi pas, mais quel est le message ? La crise et la misère engendrent le crime ? Si c’est le cas, Dominik rate le coche, tant le film a plutôt l’air de dire que c’est la crise pour tout le monde, même les tueurs à gage.

Sur la forme, c’est très stylisé et assez contemplatif, y compris dans les scènes les plus violentes. Un patchwork de styles, plutôt qu’une ligne directrice artistique mais pourquoi pas. La scène de tabassage est visuellement et auditivement très rare, extrêmement dérangeante, mais offre une empathie qu’on voit rarement. Je suis un peu moins convaincu par le meurtre au ralenti sur du soft jazz ou par les scènes de conduite de nuit à la Lynch. La scène du braquage est revanche est assez remarquable, crée une vraie tension, une vraie fébrilité, on est aussi nerveux et sur le fil que les deux abrutis de braqueurs peu sûrs d’eux.
Un des points forts du film, mais ça me touche directement, est la réflexion sur le pourrissement de la mafia classique par un esprit « corporate », qui donne lieu à des scènes de dialogues très drôles, sur la difficulté de faire valider le principe du meurtre par l’organe de gouvernance. Décalé, comme pas mal de petites touches comiques.

Reste le jeu des acteurs, caricatural pour dire le moins. Ray Liotta et James Gandolfini sont en roue libre, font du mafieux classique par rapport à leurs parcours respectifs. Pas désagréable, mais pas non plus bien original. Brad Pitt joue la coolitude avec nonchalance. Soit, mais ça ne casse non plus trois pattes à un canard. Dans le même registre, je trouve que McConaughey était bien plus élégant, et beaucoup plus inquiétant, dans sa coolitude étudiée de Killer Joe.

Bref, pas inintéressant, un polar mafieux assez classique, mais un peu bavard et longuet. Je sais que l’époque ne se prête pas à une fresque mafieuse épique, mais je ne peux m’empêcher de trouver que tout ça manque un peu de souffle, ou de tragique, puisqu’on sait dès le début que rien ne finira bien. Si l’on compare des films noirs qui fonctionnent sur une histoire très simple, ça n’a clairement pas l’intelligence tragique de The Yards de James Gray.

La minute geek : on ne peut pas dire que Cogan brille par sa culture geek. Cela dit, le titre brille peut-être d’une ironie insoupçonnée, puisque pour moi, le cogan, dans le monde de l’Incal de Moebius, c’est un modèle d’arme plutôt puissant. Tout le monde devrait avoir lu l’Incal, ne serait-ce que pour sa fin incompréhensible.

La minute du sériephile : évidemment, je pourrais parler de James Gandolfini et vous dire que les Sopranos, c’est bien (ce qui est vrai). Mais je préfère rebondir sur le rôle de Richard Jenkins, qui jouait le patriarche Fisher dans Six Feet Under. Ce qui intéressant quand on songe à ces deux séries, c’est le parti-pris de fin de chacune. Les Sopranos s’arrête en milieu de phrase, pour nous dire que cette histoire n’avait pas de début et ne peut avoir de fin, ou suggérer que sa fin ne peut être que brutale. Six Feet Under préfère nous emporter dans le futur et nous montrer la mort de chacun des personnages, avec le fondu au blanc caractéristique de ses débuts d’épisodes, parti-pris inverse. Nettement plus émouvant avec des personnages qu’on a suivis, mais aussi moins ambitieux. 

Cela dit, je fais partie des gens qui ont aimé le final de Lost et sa conclusion qui nous dit foncièrement que dans une série, ce n’est pas la destination qui importe, c’est le voyage. C’est également le sens du final de Oz, qui ne résout qu’une partie des intrigues, tant il serait absurde de vouloir fermer toutes les boucles. C’est intéressant que la seule de ces séries qui aient pour thème la mort n’ait exploité le thème du surgissement violent et disruptif de la mort dans le parcours de vie de chacun que comme un argument de lancement, abandonné ensuite. Parce que, oui, je suis désolé, mais Nate Fisher qui n’arrête pas de frôler la mort mais est sauvé par miracle médical pendant 4 saisons pour mourir au dernier épisode, c’est grotesque. Je me refuse à parler du suicide/meurtre de son épouse, qui tenait plus du soap opera que d’une série de cette exigence.